47.2

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Leopold fit bonne figure en dépit de la rumeur qui s’éleva autour d’eux. Remis de sa surprise, il alla au bout de son discours avec éloquence et siffla son vin pétillant d’un trait avant de faire signe aux musiciens de jouer plus fort, puis aux animateurs de présenter les différentes activités aux petits et aux grands. Chacun trouva à s’occuper.

— Tu peux y aller aussi, permit-il à Yue.

La main de la petite fille se contracta dans la sienne.

— Je suis obligée ?

— Si tu es fatiguée, il a aussi des jeux calmes. Moi, je dois m’occuper des adultes, expliqua-t-il en lui redressant une barrette. Va.

Yue acquiesça d’une révérence et s’éloigna, d’abord incertaine, puis résolument, vers un bassin autour duquel s’organisait une pêche au trésor. Restait Denève, qui souriait de toute la rougeur de ses lèvres. Sa fille non plus n’avait pas bougé, ses grand yeux bleus pleins d’espoirs déçus d’avance, plus lucides ou seulement moins confiants que ceux du grand modèle.

— Aline, je dois discuter avec votre mère. Ne nous laissez pas vous ennuyer, allez jouer avec les autres.

Moins rétive que Yue, elle partit sans poser de question et Léopold fit signe à Denève de le suivre à l’intérieur.

— Je suis surpris, Madame, récrimina-t-il sitôt qu’ils furent enfermés dans un petit salon vide. Je ne me rappelle pas vous avoir invité.

— Je m’en suis doutée à votre air, le railla-t-elle. Sachez pourtant que vous l’avez fait.

— Expliquez-vous.

— Mestre Raulet n’a-t-il pas été convié, ainsi que ses enfants ?

— Si fait.

— Par retour de missive, ils vous ont prié d’accepter que la cousine de la fratrie se joigne à la fête, ainsi que sa mère. Vous avez accédé à cette demande en faisant parvenir un second billet à leur adresse. Ignoriez-vous qu’Aline était cette cousine ?

— Cela a pu m’échapper, reconnut-il.

— Vous êtes toujours si occupé, l’excusa Denève. Organiser une telle fête dans un délai si court est une prouesse en soi, sans parler de vouloir tout contrôler.

Elle posa son verre encore à moitié plein sur une table et s’attarda sur le mobilier.

— Pourquoi êtes-vous venue ? s’impatienta le baron.

— Pour vous narguer, admit-elle. J’essaie aussi de savoir ce que vous comptez faire sans votre Héliaque. Votre collection est amputée, votre marque est altérée, votre statut social à redéfinir… Je ne crois pas à votre comédie de philanthrope qui se serait découvert des sentiments humains pour une petite orpheline. Mignone, si je puis me permettre. Une vraie poupée. À quoi va-t-elle vous servir ? Promouvoir des jouets ? Un service privé du secteur évènementiel ?

— Je ne trouve pas convenable de discuter de cela à un goûter d’anniversaire, s’aggaça-t-il.

— Si vous tenez à vous réinventer une image plus familiale, je vous conseille de vous marier. Il faut une mère à votre fille et une épouse pour vous implanter dans les cercles de femmes. Un mariage en grande pompe vous fera une bonne publicité, meilleure qu’un petit goûter d’anniversaire.

— Allez-vous m’obliger à me répéter ?

Denève soupira.

— Et voilà les menaces. Vous ne me ferez pas croire que mes idées sont mauvaises. Si vous ne les avez pas eu avant moi, vous êtes au moins en train de les…

Il lui saisit le bras avec force, si subitement qu’elle hoqueta de peur.

— Soyez attentive, Vicomtesse, articula Léopold. Au regard de mon étourderie, je suis disposé à tolérer votre présence à la seule condition qu’elle ne trouble pas ma réception. Or, je viens de vous dire que je trouvais votre conversation inconvenante. Tâchez d’en tenir compte.

La surprise passée, Denève se dégagea d’un geste féroce. La trace des doigts du baron rougeoyait sur sa peau.

— Je… Nous vous ferons donner de la pommade, offrit-il d’un ton plus courtois.

— Inutile, déclina-t-elle. Votre sollicitude m’écœure, j’irai chercher mon châle.

— Ne soyez pas si fière.

Elle pouffa.

— Suivez vos propres conseils, Léopold. Vous perdrez moins facilement votre sang froid. M’est avis que vous supportez mal qu’une femme puisse partager vos traits de caractère : qu’elle soit aussi orgueilleuse, obstinée et matoise que vous l’êtes.

Elle fit jouer les diamants de ses deux bagues sous un rayon de soleil pénétrant, jetant des faisceaux colorés sur la figure impassible du baron, et se fendit d’un sourire fiévreux.

— D’un autre côté, vous ne m’aimeriez pas autrement, je me trompe ?

Denève Vassaret et Léopold Makara ne s’étaient plus trouvés seuls ensembles depuis plus deux ans. Elle n’était pas plus disposée qu’alors à lui vendre ses terres. Lui n’avait toujours aucune intention d’en faire sa légitime épouse. À quelque distance se déroulait simultanément une réunion mondaine et un bal d’enfants. Se figurant que rien de tout cela n’avait plus d’importance, ils se prirent à la bouche.

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