I N T E R L O G U E
Il aurait probablement dû s’arrêter plus tôt. Peut-être dès la première lune. Peut-être dès le premier décan.
Ni les rigueurs de l’hiver ni les tenailles de la faim ne l’avait dissuadé d’avancer. Retrouver Rena. Il devait retrouver Rena. Rien d’autre ne pouvait avoir de sens.
Ses jambes tremblaient, qu’il les sollicitât ou non. La crasse lui brouillait le visage. Son propre reflet lui faisait à la fois peur et pitié toutes les fois qu’un plan d’eau le lui renvoyait.
Sans s’en douter, le demi-ogre avait fait l’erreur de se diriger vers le nord, étirant le froid hiémal jusqu’aux confins du printemps. Il désespérait de revoir l’été, comme il désespérait de revoir les siens. Pour autant, il refusait de mourir autrement qu’en poursuivant son objectif. Il devait retrouver Gerane.
L’odeur de la mort flottait dans son sillage. Il avait eu à la semer pour se nourrir autant que pour se protéger. Être imprégné de cette senteur âcre lui faisait entrevoir sa propre fin.
Togo aurait probablement dû s’arrêter plus tôt. Peut-être dès le soir où, au creux de sa paume, le glyphe tracé par l’huldra s’était estompé. Peut-être dès celui où la relique du refuge s’était défaite de l’empreinte bleuté de Gerane.
Privé de l’éclat de ce pouvoir, Togo aurait dû comprendre qu’il n’avait plus le choix qu’entre se trouver une nouvelle lumière et mourir dans l’obscurité.
Le demi-ogre errait à son insu au cœur de la Vallée des Trois Couronnes, jonction forestière entre le Menèg, le Réel et l’Izie. Perdu dans ses ténèbres tortueuses, il trébuchait à chaque pas. Une énième chute le jeta au sol. La douleur de plusieurs fractures répétées l’y cloua.
Togo ferma les yeux, conscient qu’il ne les rouvrirait plus, sacrifié au service d’une cause qui l’avait toujours dépassé.
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