57.2

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L’enthousiasme de Yue lui fit rapidement perdre la notion du temps et de ses limites. Fidèle à elle-même, elle insista pour continuer à s’exercer jusque très tard, ce que Selemeg lui permit de la meilleure grâce du monde, fasciné par les aptitudes de la fillette, curieux d’explorer l’étendu de son potentiel et orgueilleux de la faire progresser davantage. Pour ne rien gâcher, Yue n’eut pas à répondre de l’heure avancée à laquelle elle rentra, son tuteur ne lui ayant imposé aucun couvre-feu.

La petite fut d’excellente humeur toute la soirée, ce qui eu le mérite d’apaiser les angoisses de Cha.

— Tu t’en sors bien, la félicita Bard lorsqu’ils se croisèrent dans la pièce centrale de l’appartement.

— Si tu le dis, maugréa Cha. J’ai toujours l’impression qu’elle me hait, mais au moins, elle me hait avec le sourire. T’as toujours pas fini avec ça ?

Le fabuleux était alors occupé à cirer ses propres chaussures en plus de celles de Yue, ensablées pas leur journée d’entrainement. Son état de fatigue lui rendait la tâche pénible et longue.

— J’ai bientôt fini, assura-t-il.

— Prend une pause. Faut que t’ailles lui parler.

Bard se figea, saisit.

— À Yue ?

— À la mestresse, rectifia Cha. S’te plait, fiche pas tout par terre. J’ai pas envie que… Le mestre parle jamais pour rien dire. Quand il t’a dit de te réconcilier avec elle, c’était un ordre.

— Je sais. Je te promets de faire attention à ce que dirai, la rassura-t-il.

Il se leva en s’efforçant d’ignorer le regard incrédule et inquiet de son amie, lui adressa un sourire forcé puis poussa délicatement la porte de la chambre.

Assise sur son lit, Yue écoutait jouer son carrousel, les yeux mi-clos. Bard songea qu’elle devait être épuisée, peut-être sur le point de tomber de fatigue.

— Tu as besoin d’aide ? proposa-t-il.

Elle leva les yeux. Ses sourcils s’incurvèrent.

— Non. Sors de ma chambre.

— Que… pardon ?

— Pardon pour quoi ?

— Tu te moques de moi ?

— Et toi, tu te moques de moi ? Pourquoi t’es dans ma chambre ? T’as même pas frappé.

Subitement, Bard comprit. Il faut que tu ailles parler à Yue, avait dit Cha. Un simple conseil déguisé en ordre. Du point de Yue, il venait de s’inviter chez elle sans sommation. Le fabuleux se figura qu’il avait alors le choix entre pirouetter pour esquiver la confrontation et aller droit au but. La première option lui parut trop lâche, trop vaine. Il prit son courage à deux mains pour assumer la seconde.

— Je suis venu faire la paix. Tu veux bien qu’on discute un peu ?

La cantilène cessa de tinter. Yue, hésitante, porta la main à la clef sans la refaire tourner.

— Je t’en prie, insista Bard.

Elle posa le manège sur sa table de nuit et s’enfouit sous sa couverture.

— Va-t’en, j’ai sommeil.

— Pas avant d’avoir une réponse. Qu’est-ce que je peux faire pour que tu ne sois plus en colère contre moi ?

Pas de réponse. La petite tignasse blanche demeurait immobile sur l’oreiller. Bard se souvins subitement à quel point la fillette l’agaçait.

— Tu ne veux pas essayer de rendre les choses faciles, pour une fois ? s’irrita-t-il.

— Rendre quoi, facile ? explosa-t-elle en se redressant brutalement. Tu veux pas être mon ami alors qu’est-ce que tu veux ?

— Si, je veux être ton ami.

— Tu veux depuis quand ? Pourquoi tu veux jamais quand je te demande de jouer avec moi ? T’es jamais content quand on doit passer du temps ensemble ! J’ai l’impression de t’obliger !

— M’obliger, c’est très exactement ce que tu fais en permanence. Tu le faisais avant même d’être mestresse. Je ne peux pas toujours faire tout ce que tu veux à la minute, ni te laisser faire tout ce qui te passe par la tête. Tu as des idées dangereuses, mais j’aime quand même passer du temps avec toi.

— Tu mens. Tu fais rien pour passer du temps avec moi. Tu voulais même pas qu’on soit ici ensemble. La preuve, dès que je t’ai parlé de l’Exhibition, tu m’as demandé d’emmener Cha.

— Natacha est ici pour s’occuper de toi, pas de moi.

— Tu mens encore ! Elle est là pour toi, parce que tu me l’as demandé et que j’ai demandé au mestre ! Moi, quand je viens vers toi, tu fais que me dire de te laisser tranquille. Et tu me grondes tout le temps, parfois avec des mots que je comprends même pas ! Mon père faisait ça aussi, mais au moins, je comprenais pourquoi il était en colère à la fin. Toi, quand tu me parles, tout ce que je comprends, c’est que je suis stupide et méchante, alors… Alors va-t’en. S’il te plait.

Bard côtoyait Yue depuis suffisamment longtemps pour avoir appris à lire certaine de ses expressions, notamment celle qu’elle revêtait en se retenant de pleurer.

— Ne me fais pas ça, implora-t-il dans un soupir.

Ce fut alors qu’une main discrète frappa à la porte. Yue pris une inspiration profonde.

— En sortant, dit aux autres que je dors.

Elle se renfouit sous sa couverture pour de bon. Bientôt, Bard eut la conviction qu’elle sommeillait bel et bien.

Il se résolut à quitter la chambre, éteignant la lampe au passage.

En ouvrant la porte, Bard s’attendit à tomber sur Natacha venue le supplier d’arrêter le massacre, sinon Frèn, voire Eli, venu lui rappeler que le couvre-feu de la mestresse devait être respecter plus scrupuleusement. En place, il trouva la pièce vide.

— Cha ? appela-t-il.

Une odeur inhabituelle flottait dans l’air. En en cherchant la provenance, Bard remarqua du mouvement sur le balcon.

Accoudée à la balustrade, la silhouette d’une femme se dessinait dans la pénombre d’une nuit sans lune. Elle revêtait une robe de chambre luxurieuse. La façon désordonnée dont ses cheveux clairs ondulait sur ses épaules rappela sa mère humaine à Bard. L’illusion se dissipa promptement, non sans laisser le fabuleux troublé. Son souffle saccadé révéla sa présence.

La femme s’avéra être Denève Vassaret. Passé le premier moment de surprise, Bard s’inclina.

— Pardon, Mestresse. Je ne savais pas que vous étiez ici.

— Ne t’excuse pas. La petite sang-mêlé m’a ouvert, mais je n’aurais pas dû insister pour entrer. Léopold ne doit pas savoir que je suis passée. Puis-je compter sur ta discrétion ?

— Sauf votre respect, je ne peux pas vous promettre de mentir au mestre s’il m’interroge au sujet de votre visite.

— Je le conçois. Cependant, il le faudra. Si Yue est capable de te tenir sa langue, tu dois pouvoir en faire autant.

Elle fit voir une enveloppe qu’elle tendit avec insistance, jusqu’à ce que le fabuleux s’en fût saisi.

— Ton demi-frère me l’a envoyé pour toi. Il se peut que j’en reçoive d’autres au cours des prochains décans. La réponse est payée d’avance alors sens-toi libre d’en rédiger une. Il faudra la confier à Yue. Elle saura quoi faire ensuite.

Le regard incrédule de Bard arracha un sourire à Denève.

— Tâche de t’en remettre, le taquina-t-elle. Je retourne me coucher, le baron risque de me trouver longue à revenir.

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