67.2
Yue leva les yeux au ciel, affligée par les haillons enflammés auquel l’uniforme de Bard se trouvèrent réduits. Elle se retint de rappeler au fabuleux que ses petits effets dramatiques avaient un prix et que Yue aurait à le payer sur les fonds que lui allouait le mestre, ce en plus du docteur et des médicaments pour Io Ruh.
Plus inquiet pour sa vie que pour sa comptabilité, Jarolt gesticulait toujours, désespéré par l’embranchement de racines et de troncs massifs qui l’acculait. Aveuglé par les éclats magmatiques et adamantins de la cuirasse du vulcanien, c’était à peine s’il distinguait ses mains sales du sol noir de boue que ses paumes râpaient.
Consciente qu’elle ne tirerait rien de lui dans son état, Yue se plaça entre le dragon et lui pour le rasséréner.
— Calme-toi. Il ne te fera pas de mal sans mon accord.
— Il fait trois fois ta taille, souligna Jarolt, incrédule.
— Qu’est-ce que ça change ?
— Tout !
— Tu veux une preuve qu’il m’obéit ? Bard, couche-toi.
Le dragon s’aplatit en un grognement sourd, aussi docilement qu’un chien d’arrêt.
— Comment tu fais ça ? se récria Jarolt.
— J’ai fait que parler.
Encore une fois, il se demanda si elle se moquait de lui ou parlait sérieusement. Peut-être un mélange des deux.
— T’as dis que j’étais libre, lui rappela-t-il. Pourquoi vous m’avez suivi ?
Yue balaya la clairière de ses yeux vairons.
— Je voulais être sûre que tu m’avais dit la vérité, mais j’ai l’impression que t’as menti. T’aurais dû rentrer chez toi. Ici, c’est un endroit bizarre pour quelqu’un qui a rien se reprocher. Si je demande à Bard de fouiller autour de nous, est-ce qu’il trouvera quelque chose ou quelqu’un que tu venais retrouver ?
Jarolt peinait à deviner ce qu’elle espérait entendre. Il lui avait déjà donné tous les éléments de vérité possible sans mentionner Sanaeni. Que pouvait-il dire de plus ?
— Bard. Jette un œil.
Ses ailes repliées, bas sur ses pattes, le dragon fureta entre les arbres jusqu’à se confondre à leurs ombres. Jarolt déglutis, conscient que la grotte de Sanaeni ne se trouvait qu’à quelques dizaines de mètres. Il essaya de se lever sans y parvenir.
En face de lui, sans barreau pour les séparer, la petite fille lui parut immense. La cage dont il avait été si heureux de sortir lui manquait subitement, comme le bouclier manque à un soldat désarmé en pleine bataille.
— Écoute, supplia-t-il au bout de plusieurs minutes de silence étouffant, si j’suis pas rentré chez moi, c’est juste que j’avais b’soin d’me vider la tête et je… j’reviendrais jamais vous embêter, j’te l’jure. J’peux m’en aller pour de vrai, cette fois ? S’il te plait ? S’il vous plait, reformula-t-il en se souvenant qu’il parlait à une mestresse.
Le dragon revint agité de sa patrouille. Il piétina autour de sa mestresse pour attirer son attention, l’air de vouloir être suivit. Yue toisa Jarolt avec plus de morgue que jamais.
— Ne bouge pas, ordonna-t-elle.
Un tremblement secoua la terre sous son premier pas, assez violent pour lui faire plier les genoux pour solidifier ses appuis. La roche craquela perceptiblement. Un réseau de fissure aussi large qu’une toile d’arachné se déploya autour de la fillette et son dragon. Le sol s’ouvrit dans un éboulement de terre et de neige, se hérissa dans un gisement de granit et une volte de débris végétaux.
Jarolt de recroquevilla, sa cape rabattue sur le visage pour se protéger des projections. Il entendait distinctement le dragon rugir et le sol en révolte gronder sous lui. Il tremblait encore lorsque l’onde se dissipa.
La clairière ne ressemblait plus à rien de comparable à ce qu’il connaissait, sinon à une forêt de menhir bien trop rectilignes pour en être. Le dragon gisait sur le flanc, ronflant d’un souffle rauque, l’éclat entre ses écailles vacillant comme des braises de feu mourant.
— Hé, gamine ? s’inquiéta Jarolt. Où t’es pas…
Un corps tomba du sommet d’un des édicules. Un corps frêle de petite poupée, les yeux ouverts, le nez en sang.
— Oh, merde…
Il sursauta au contact froid d’une main sur son épaule : celle de Sanaeni.
— Pars. Vite.
Jarolt lui aurait obéi s’il en avait la force.
— La petite…. Elle est….
Sanaeni se penchait déjà sur elle, lui caressait la joue d’un geste désolé. Yue s’anima entre ses doigts, Son visage lisse se crispa de douleur et de confusion.
Le soulagement rendit un peu de force à Jarolt, assez pour se lever en s’aidant d’un tronc renversé qui lui servait ordinairement de point de repère.
— Tu crois qu’elle va s’en sortir ?
Sans cesser de fixer la blessée, Sanaeni lui signifia de taire d’une main levée. Le visage de Yue paraissait la subjuguer.
— Sanaeni ? bredouilla Yue.
Prouvant qu’elle se portait infiniment mieux que le l’avait craint Bard, la petite se redressa sur ses coudes, puis sur ses mains.
— Tu ressembles à… Sanaeni…
Les yeux de la fabuleuse s’arrondirent de stupeur. La terre ravala les armes brandies par sa magie en une nouvelle vague sismique qui effraya visiblement la gamine – Jarolt aussi.
— Toi, répliqua Sanaeni, tu es le sang de Yogaela.
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