68.3
La lune nimbait sa silhouette du plus parfait de ses halos. Ses cheveux en paraissaient faits d’argent. Au milieu du chaos provoqué par sa propre magie, elle se tenait les doigts enfoncés dans le sol retourné, les débris de roche et de mousse.
Léopold devina que la fabuleuse s’efforçait de reconstituer ses réserves de magie. Ses épaules tremblaient, sans doute d’épuisement et de froid. Yue ne s’était pas trompé : Sanaeni représentait une moindre menace dans l’immédiat. Le climat inhospitalier du nord devait avoir sérieusement entamé ses forces. La résolution du problème qu’elle lui posait s’annonçait rapide.
Elle ne réagit pas à leur approche. Tout en gardant une distance raisonnable entre eux, le baron l’interpella.
— Balle soirée, n’est-ce pas ? J’aurais des questions à vous poser. Vous devez bien avoir une minute.
La fabuleuse leva la tête, ouvrant de grands yeux lumineux, aussi blanc que la neige poudreuse que le vent soufflait des arbres. Le sol se mit à trembler sous elle, juste assez pour faire tressauter le gravier autour d’elle.
Le baron recula d’un pas. Un pan de roche jaillit du sol à l’endroit où s’était trouvé sa botte, suivit de deux autres.
Remis de sa première surprise, Léopold vit que l’arcanne s’était voulue plus défensif qu’offensif, les parois s’étant étroitement refermée sur elle. Sa stratégie aurait probablement fonctionné à la perfection face à quelqu’un d’autre, songea Léopold.
Il confia son fusil à Bard, retira ses gants et aplatit les paumes sur la pierre froide. Le frétillement sous la surface se propagea à sa peau.
Léopold n’usait activement de ses implants qu’à de rares occasions. Cela ne l’empêchait pas de d’apprécier ces moments. Il cala sa repirations au rythme du flux de magie qu’il percevait, ignora la douleur qui lui perçait les tempes et se concentra pour faire forligner l’arcane.
La roche se fissura entre ses doigts, se désagrégea en une avalanche de de gravas.
Un poing jaillit du nuage de poussière encore opaque, cueilli le baron menton, assez fort pour le lui désaxer le cou et lui faire gouter le fer du sang à sa bouche, pas assez pour le déstabiliser. Il enferma la main se le poignet de la fabuleuse, sentit le chaos pulser en elle, sang et magie confondus.
— Je vous demandais seulement une conversation. Ce n’est pas une façon très polie de refuser.
Sanaeni s’arracha à lui, recula d’un bond d’au moins trois mètres. Le souffle court, les yeux écarquillés, elle ne paraissait pas comprendre ce qui venait d’arriver. Léopold n’avait pas l’intention de lui laisser le temps d’y parvenir. Il réclama son fusil d’un bras tendu. Bard le lui remit, l’air aussi hagard que leur cible.
Léopold prit la fabuleuse en joue, visa une jambe, déterminé à lui ôter l’avantage que lui conférait ses aptitudes physiques…
— Sani !
Le cri ne fit pas dévier son tir, ce qui n’empêcha pas les sa balle de se ficher dans un énième bouclier de roche. Il réfléchissait à l’endroit ou tirer sa seconde balle lorsque qu’un idiot claudiquant s’avisa de lui boucher la vue.
— Laissez-la tranquille ! aboya Jarolt. Sani fait de mal à personne !
Léopold l’avait presque oublié. Il aurait préféré ne pas avoir à verser de sang inutilement, surtout si cela devait se traduire en excès de paperasse.
Tant pis.
Il prépara son second tir.
— Monsieur Makara. Je vous conseille de baisser votre arme.
Sa vigilance baissait dangereusement toutes les fois qu’il manipulait de la magie. Il n’entendait qu’à travers un acouphène strident, pas les bruits de pas de ceux qui l’approchaient, donc. Une nouvelle silhouette entra sans son champ de vision, celle d’une haute femme aux traits sévères et asséchés par l’âge. Sa peau olivâtre et ses cheveux bruns ondulés situaient assez formellement ses origines hors du Tjarn, peut-être au Menèg. Une seconde la rejoignit, petite de taille et carrée d’épaules, revêtant un mentaux gris qui avait pu être noir sous deux gros bissacs.
Léopold se renonça à tirer pour réévaluer la situation.
— Nous connaissons-nous ? s’enquit-il.
— Nous vous connaissons, rectifia la première. L’inverse n’est probablement pas vrai. Vous autres Collectionneurs intéressez beaucoup notre bureau.
— Oh. Une Archiviste, comprit le baron.
Il enfouit le bout de son canon entre ses deux bottes, appuyé sur la crosse comme sur une canne.
— Que puis-je pour vous, Mesdames ?
— Rentrer chez vous. Cela nous ferait plaisir. Votre épouse doit se languir de vous. Combien cela fait-il, sept lunes, qu’elle est grosse ? Certains enfants sont pressés de voir le jour. Votre sœur n’est-elle pas née plusieurs décans avant terme ? Personne ici n’a besoin de vos talents de chasseurs.
— Je ne suis là pour assister personne.
Il montra le bleu qui lui fleurissait la mâchoire.
— Vous connaissez la loi aussi bien que moi, sinon mieux. Une fabuleuse m’a attaqué, je suis en droit de me défendre ; de la blesser, de l’asservir ou de la tuer si tel est mon plaisir. Avant ça, elle s’en est aussi prise à ma pupille de onze ans. Allez-vous m’empêcher d’exercer mon droit.
— Oui, répondit l’Archiviste, catégorique. Ce qui n’est pas écris n’a pas été. Je n’ai rien vu des agressions dont vous parlez. Je n’en écrirai rien, par conséquent.
Un florilège d’insulte se pressa contre les lèvres difficilement closes du baron. Il siffla entre les dents, amer.
— Qu’avez-vous l’intention d’écrire, dans ce cas ?
— Que Monsieur Makara, baron de Haut-Castel et neuvième prince de Tjarn, s’est montré tout à fait coopératif lorsqu’une représentante du Bureau des Archives l’a prié de ne pas interférer avec son travail.
— Votre serment de vérité ne vous interdit-il pas d’écrire de mensonge ?
— Avez-vous l’intention de me faire mentir ?
Ce qui se jouait entre le Collectionneur et l’Archiviste tenait autant du combat de ce qui l’avait opposé à la fabuleuse. Bard restait sidéré en marge de ce spectacle. Le baron se para d’un sourire de convenance qui lui rappela celui de sa mère.
— Bien sûr que non, Madame.
Léopold jeta l’œil par-dessus l’épaule de son interlocutrice. Sanaeni, droite, digne et impavide, ne bougeait plus d’un cil, à la croire très au-dessus de tout ce qui se jouait à quelques autours d’elle.
— Puis-je vous demander ce que vous comptez faire d’elle ?
— Vous donner ou vous refuser cette information n’est pas de mon ressort. Vous adresserez vos requêtes à un de nos relais, qui les transmettra au Bureau. Faut-il vous mettre la démarche par écrit ?
— Ne vous donnez pas cette peine, je m’y entends en administration.
L’Archiviste tourna les talons sans cérémonie, entrainant la fabuleuse et son apprentie dans son sillage. Jarolt, penaud, les suivit avec un temps de retard. Vite, bien trop vite, un bouillard de neige les avala. Leurs silhouettes se confondre à celles de la forêt.
Un filet de sang coulait de l’oreille du baron. Il s’étira la mâchoire, frustré d’avoir souffert tant de coup pour une défaite.
— Il est tard. N’inquiétons pas la baronne plus longtemps.
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