I N T E R L O G U E
La nuit et le jour se côtoyaient en une inlassable étreinte qui teintait le ciel de couleurs absurdes et changeantes. La nature ne connaissait plus qu’une saison, idyllique et illogique, où chaque arbre portait des fruits, où chaque fleur donnait de flamboyants pétales et où l’eau courrait pure dans le lit de chaque rivière.
L’air était doux comme un brouillard d’opium. Cela paraissait durer depuis toujours.
Ce pouvait être un rêve.
Ce pouvait être l’Éternité.
Et que dire de cette senteur de glycine ? Elle le suivait partout, pareille à un fantôme. Il passait parfois des heures, sinon des jours, à chercher la plante chère à son enfance dont les effluves le tourmentaient par tant de caresses. Sans succès.
Le reste du temps, il cherchait sa fille.
Qu’était-il advenu de sa raison d’exister ? de ce rire espiègle et contagieux dont il oubliait la mélodie ? de la douceur chatouilleuse de ses cheveux et la tiédeur de son étreinte ? Yue laisserait-elle encore tenir pas la main et serrer dans les bras s’il la retrouvait ? L’avait-il perdu pour toujours ?
Tu ne sais tout simplement pas aimer, Yo Rin. Et tu ne mérites pas d’être aimé.
L’écho lointain de la voix maternelle le hantait de ses invectives. Alors Rin jurait, furieux contre celle qui ne lui avait pas appris ce qu’elle lui reprochait d’ignorer.
Tous ces spectres empoisonnant sa solitude, sans ôter à la solitude son venin. N’aurait-il pas de l’être heureux ? En ce lieu étrange et reculé, il n’avait plus ni famille ni mestre, ni entraves…
Il pouvait être endormi.
Il pouvait être mort.
Mort avec ses chaînes, avant d’avoir pu étrangler ses mestres avec. Mort seul.
Cette idée le fit éclater d’un rire douloureux. Au bout du compte, So Hae devait avoir eu raison.
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