75.2
La réaction de la sang-mêlé se fit attendre. Pendu à ses lèvres, Bard ne respirait plus.
Tandis que les larmes lui montaient aux yeux, une pensée le traversa : celle qu’il n’avait plus pleuré depuis longtemps. Il serra les dents pour s’en préserver encore quelques instants.
— Toi alors… finit-elle par souffler.
Elle n’échouait jamais à surprendre Bard par ses répliques.
Ses grands yeux illisibles fouillaient le ciel au-dessus d’eux. Bard l’imita songeant que quelque astre lui dirait ce qu’il essayait de savoir ; ce que Cha ne disait pas.
Lors il sentit la main de celle-ci se poser sur son épaules, glisser jusqu’à la base sa nuque, par-dessus la marque qu’il avait encore tant de scrupules à retirer. Il se pencha docilement à masure qu’elle l’y poussait. Leur souffle se mêlèrent ; le sien, saccadé. Le nez de Cha glissa doucement sur l’arrête de sien, de bas en haut, de haut en bas.
— Qu’est que tu…
Natacha mangea les mots à même ses lèvres, se pressa toute entière contre lui en l’embrassant. Ses lèvres avaient le gout ferreux du sang, la tiédeur de l’air et la douceur de l’eau. Il n’aima jamais autant l’amertume qu’en la goutant à sa bouche.
Elle retroussa sa jupe, révélant les cuisses entre lesquelles elle le prit bientôt en étaux, puis s’empara d’une des mains dont le fabuleux ne savait plus que faire pour l’appuyer contre son sein. La surprise n’empêcha pas l’adolescent de dévorer cette offrande des doigts.
Il haletait lorsque Cha lui baisa le cou, s’entendit gémir lorsqu’elle lui mordilla la peau.
Rêvait-il ?
Les larmes qu’il avait si bien retenues finirent par lui dévaler les joues, poussées par une émotion toute différente de celle qui les avait fait naître. Il découvrait un univers de sensation, là où Cha traversait avec aisance un sentier cent fois battu. Il sentit à peine les sangles de son habit se défaire lorsqu’elle entreprit de le mettre à nu.
— Non ! l’arrêta-t-il. Pas…
Figée en plein mouvement, elle le pressa du regard.
— Pas ici, reprit-il. Pas…
Subitement, Bard réalisa que le visage de la sang-mêlé ne trahissait ni passion ni joie, au lieu de quoi elle avait l’air ennuyé. Naguère, il avait vu le regard de Cha s’allumer et son sourire lui frôler les oreilles pour un ruban de soie à se nouer dans les cheveux. Leur étreinte ne valait-elle pas ce bout de tissu ?
— Tu veux qu’on s’éloigne ? suggéra-t-elle.
Sa voix ne dégageait plus rien de substantiel.
— N-non, bredouilla Bard. Je…
Cha rompit progressivement tout contact.
— Je suis gêné. Je ne m’attendais pas à ce que… As-tu aussi des sentiments pour moi ?
Elle se massa le visage des deux paumes.
— Bah… oui. Des sentiments, j’en ai plein. Pas les mêmes, juste.
Bard crut sentir tous les os de son corps se briser tant ces mots lui firent mal.
— Mais… tu m’as…
— Quoi ? C’est pas ce que tu voulais ? le coupa-t-elle. Tu t’es donné du mal pour me sortir de chez Dvalin alors… je pensais…
Le fabuleux n’avait plus la moindre idée de ce qu’il avait bien pu vouloir ou espérer. Sous son regard défait, Cha se leva.
— Y a d’autres filles qui seront gentilles avec toi, regard de braise. Des filles mieux. Ce jour-là, tu te rendras compte que tu m’aimais pour la même raison que même l’eau sale est bonne quand on a soif.
Ce fut tout. Ce fut son au revoir. Natacha s’en alla.
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