86.2
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Yue aurait été moins surprise de voir sa servante revenir seule qu’avec celle de Ye Sol Qilin, mais à bien y réfléchir, cette situation lui passait complètement au-dessus de la tête. Ses devoirs à finir et son entrainement à venir la préoccupait davantage que ce concours de circonstances.
— Tant que personne ne fait rien de dangereux ou de stupide, je suis d’accord pour qu’elle t’aide. Ye Sol a dit combien de temps elle la laissait ?
— Non, Mestresse. Seulement qu’elle laissait cela à votre appréciation et que si nécessaire, l’offre vous serait renouvelée ces prochains jours.
— Mmh. Fais un brouillon de lettre quand tu auras le temps, pour lui dire que je suis reconnaissante pour aujourd’hui mais que pour les jours suivants, je serais plus à l’aise si elle acceptait d’être payée. Je fais revenir Bard dans trois ou quatre jours si tout se passe bien. Qu’elle me dise quel prix lui parait raisonnable pour cette période.
— Ce sera fait, Mestresse.
Yue replongea dans son étude de carte, persuadée d’en avoir fini avec cette parenthèse.
— Mestresse ?
— Mmh ?
— Ma Han ne saurait circuler librement dans la caserne plus longtemps sans une plaque d’identification. Puis-je demander à ma Mestresse de lui en obtenir une ?
— Ah… Oui.
Rabattant son manuel et secouant les fourmis de ses jambes pour quitter son coussin, Yue avisa sa montre. Il lui restait tout juste assez de temps pour se charger de cette formalité avant de devoir…
Une douleur aigue la foudroya de la plante du pied droit jusqu’à la hanche lorsqu’elle voulut s’appuyer dessus. Le souffle coupé, les yeux exorbités par la peur de cette faiblesse subite, elle tituba et resta choquée de longue secondes une fois le mal dissipé.
— Qu’est-ce que…
— Tout va bien, Mestresse ?
— Oui, ça va. Je suis juste un peu engourdie. Occupons-nous de cette plaque, je dois retrouver le commandant Klalade dans pas longtemps.
La question administrative fut vite réglée. Pour Io Ruh, le plus dur restait à faire, cependant : présenter à Ma Han les corvées de la journée et lui en assigner une. L’approvisionnement avait été rapide, mais entre le retard accumulé et les travaux ordinaires, la journée devait encore être longue.
— Au sein de la caserne, en dehors de quartiers privés, nous nous devons de parler réel ou de signer. Il n’est pas nécessaire de saluer les officiers du moment qu’ils nous ignorent : ce qu’ils feront la plupart du temps. Si l’un d’entre eux s’adresse à toi, tu peux…
— Économise ta salive, Ruruh. Dis-moi seulement ce qu’il y a faire. Tenir la petite maison d’une enfant ne doit pas être si difficile.
Io Ruh contint une vive vexation avant de reprendre calmement.
— L’âge de ma mestresse ne la rend pas plus facile à servir. La taille de notre logement non plus. Les espaces restreints doivent être parfaitement organisés, aérés et nettoyés pour rester confortable. Mes responsabilités ne se limitent pas non plus à la sphère privée de ma mestresse. L’entretient des quartiers d’habitation, des équipements pédagogiques et de toutes les structures communes en général sont à la charge des usagers ou de leurs serviteurs s’ils en ont.
— Tu es devenue bavarde, à ce que vois. Avant, tu ne parlais presque pas, mais au moins, tu allais à l’essentiel. Que veux-tu que je fasse, à la fin ?
Cette fois, Io Ruh poussa un soupir audible.
— Pour commencer, tu peux t’occuper de nettoyer la coursive de notre étage ou de balayer la cour attenante pendant que repasse les vêtements lavés hier.
— L’inverse serait plus convenable, tu ne crois pas ?
— En quoi serait-il plus convenable de te laisser manipuler le linge de ma mestresse ?
— Dame Ye Sol ne m’a pas envoyée servir votre caserne, mais ta mestresse. Je ne suis pas habillée pour les travaux pénibles et salissants.
— Je peux te prêter une robe et un tablier.
— Tu es sourde ? Je ne fais pas de travaux d’extérieur. À moins d’avoir mieux à proposer, je vais m’occuper du repassage.
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