AU LECTEUR / ADIEU PLEIADE, ADIEU NOBEL !
Figurez-vous que l'autre jour,
Alors que j'étais à ma rime,
Ma muse et dévorant amour
Dit soudain à mon pseudonyme :
« Si je veux bien que dans tes vers
Tu dises sur moi quelque chose,
Je ne veux pas que l'univers
Se rince l'œil ou que l'on glose.
Alors, mon poète, promets
Qu'étant la seule inspiratrice
De tes stances et de tes sonnets,
J'en demeure unique lectrice.
Envoie au diable l'éditeur
Qui sème au vent le mot intime
Et donne en pâture un auteur,
Sa muse et leur amour en prime.
Songe qu'Elsa, comme Aglaé,
Muses d'hier fort inspirantes,
Demeurent en postérité
Au rang de pâles figurantes.
Ne laissons personne entre nous
Abîmer cet élan suprême
D'une âme qui tombe à genoux
Et donne le jour au poème.
Et tes poèmes je les veux
De l'un à l'autre sans partage,
De bouche à oreille en aveux,
Comme un secret ou davantage. »
Reconnaissez que j'ai de quoi,
A l'aube d'une œuvre immortelle,
M'affliger de l'esprit étroit
D'une muse honnête et cruelle !
Ma plume étant sans résultat
Sitôt qu'elle s'éloigne d'elle,
Je fais donc ici le constat
Qu'il me faut souffler la chandelle
De mes espoirs et rêves fous
De gloire et d'honneurs littéraires,
Pour hélas m'éloigner de vous,
Vaste public des grands libraires.
C'est donc un peu sous le manteau
Que cet humble recueil se passe,
N'en dites rien car aussitôt
Je crains que ma muse s'agace !
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