Chapitre 6 : L'Œuf d'Or (3)
L'œuf était lié aux selkies. C'est ce qu'Adrian lui expliqua pendant qu'ils marchaient. Le son qu'il produisait était semblable au langage aquatique, il avait seulement quelque chose de plus musical. Et il les attirait aussi. C'était eux les créatures qu'ils avaient aperçues à la fenêtre. Adrian les avait reconnus à leur queue argentée. Et il comptait maintenant aller leur demander des explications, puisque c'était leur seul piste.
— Voilà pourquoi la plume d'Augurey, conclut-il.
— Je ne vois toujours pas pourquoi, à vrai dire, avoua Cassius.
Ils étaient revenus sous l'arbre qui bordait le lac et Dumbledore et la chef des selkies étaient hors de vue, apparement partis depuis longtemps.
— Elles écrivent avec de l'eau, pas de l'encre. C'est sûrement pour ça que les Augurey chantent quand elle approche, expliqua Adrian.
Cassius comprit alors ce qu'il avait en tête.
— Et tu comptes aller voir les selkies... sous l'eau ? demanda-t-il.
— Je ne vais pas trop loin, ne t'inquiète pas, assura Adrian qui avait correctement interprété l'angoisse dans la voix de Cassius.
Mais rien de ce qu'il aurait pu dire n'aurait réussi à le calmer. Lorsque Cassius essaya de hocher la tête d'une manière qui se voulait rassurante, il ne réussit qu'à produire un tremblement de la tête dépité.
— Tu sais que je ne t'oblige pas à rester, Cassius, si jamais tu veux...
— Non, coupa-t-il fébrilement, je vais m'asseoir là et je vais t'attendre. Juste au cas où.
Une fois qu'il se fut installé sous l'arbre, il ferma les yeux et chassa les images qui l'assaillaient déjà. Il était incapable de regarder mais cette fois, au moins, il serait prêt à aider si besoin. Les sons arrivèrent alors jusqu'à lui. D'abord Adrian qui retirait sa robe de sorcier, la laissait tomber sur l'herbe. L'eau qu'il remuait en marchant. Le plongeon. Le lac qui l'aspirait, les éclaboussements, le silence. Puis le silence, encore, encore. Cassius compta jusqu'à trente, ne sut plus quoi faire, bloqua sa respiration. Tant qu'il tiendrait, Adrian pouvait encore remonter. Un silence encore plus profond. Puis les battements de son cœur s'accélérèrent. Son esprit s'affola, paniqua. Il devait tenir. Encore un peu. Oublier la brûlure dans sa gorge, ses poumons en feu. Mais avant même qu'il n'en soit conscient, son corps s'était gorgé à nouveau d'air.
Cassius bondit sur ses pieds et ouvrit les yeux. C'était trop tard. Adrian n'avait pas pu s'immerger aussi longtemps. Il courut vers le lac, dont aucune bulle ne déformait la surface trop lisse.
— Adrian ! cria-t-il.
Il revivait la scène, exactement la même, encore une fois. Mais ce n'était pas réel. Ça ne pouvait pas l'être. L'air était trop lourd, la lumière trop fade, l'eau trop légère entre ses doigts. Il devait être dans un cauchemar. Il se laissa tomber. Ses mains s'enfoncèrent dans la boue vaseuse. Son regard erra autour de lui.
Les minutes passèrent et passèrent et détruisirent le peu d'espoir qui restait encore à Cassius.
Adrian appartenait au lac désormais. Il n'en ressortirait plus jamais. Cassius ne parvenait pas encore à réaliser pleinement ce que cela pouvait vouloir dire. Il s'extirpa de l'eau et vint se poser contre le tronc de l'arbre. Ses vêtements mouillés lui collaient à la peau et le froid le faisait encore plus frissonner. Que fallait-il faire maintenant ? Il sentait ses paupières s'alourdir, toute énergie le quitter.
Il avait perdu Adrian. Pour toujours. Tout perdu.
Quelque chose s'agita dans l'eau à ce moment-là. C'était un corps, qui en émergea lentement, et se révéla être celui d'Adrian. Cassius crut rêver. Il secoua la tête mais Adrian n'avait toujours pas disparu. Il était bien là, à s'approcher de la berge. C'en était presque étrange, il était tellement comme d'habitude. Cette façon de marcher si déterminée, son regard fuyant, ces fossettes mystérieuses. Comme s'il ne s'était rien passé. Comme s'il n'avait pas disparu du monde pendant d'interminables minutes.
Cassius fut pris alors d'un élan de colère contre son ami. Il se précipita vers lui et lui hurla dessus des mots qu'il ne s'entendit même pas prononcer. Il voulait juste faire disparaître de son visage cet air innocent et lorsqu'il y arriva, il se sentit tellement honteux, tellement en colère contre lui, et contre Adrian, qu'il le frappa au torse et tomba dans son étreinte trempée, et il avait tellement cru qu'il l'avait perdu, et les larmes se mêlèrent aux mots, de colère, de soulagement, d'effroi. Adrian le rassura, le souffle de sa voix lui frôla le cou mais Cassius n'entendait rien. Il le repoussa brutalement, puis il le serra dans ses bras. Il se turent tous les deux et restèrent figés ainsi au milieu des eaux noires un long moment.
Adrian lui expliqua qu'il avait pu respirer sous l'eau grâce au sortilège de Têtenbulle. Cassius ne se rappelait plus de ce sort. Il lui fit confiance. Et le nom parlait pour lui-même. Adrian s'excusa pour la frayeur qu'il lui avait donnée, qu'il aurait dû savoir. Cassius lui dit que ce n'était rien. Puis Adrian lui tendit un parchemin, qu'il avait apparemment emporté sous l'eau, puisqu'il avait écrit dessus avec la plume d'Augurey.
— Qu'est-ce que c'est ? haleta Cassius en fronçant les sourcils.
— L'énigme de l'œuf, répondit Adrian. Je ne trouvais aucun selkie sous l'eau alors je l'ai ouvert pour les attirer, comme dans le dortoir, mais à la place l'œuf a... chanté ça. C'était plutôt particulier.
Cassius lut alors les paroles de la chanson, qui avaient été écrites d'une encre émeraude.
« Descends nous visiter et entends nos paroles
Nous devons pour chanter être au-dessous du sol. »
Les selkies, encore une fois, se dit Cassius avant de reprendre sa lecture.
« À présent, réfléchis, exerce ton esprit,
Ce qui t'est le plus cher, nous te l'avons ravi,
Pendant une heure entière il te faudra chercher
Si tu veux trouver ce qu'on t'a arraché.
Après l'heure écoulée, renonce à tout espoir
Tes efforts seront vains car il sera trop tard. »
Cassius n'arrivait pas à y croire. Il reprit sa lecture depuis le début, espérant qu'Adrian ne remarquerait pas qu'il avait déjà fini. Lorsqu'il arriva une seconde fois au bas des paroles, qui n'avaient toujours pas changées, il ne put plus se leurrer.
Pendant une heure, il allait devoir descendre visiter les selkies pour récupérer ce qui lui avait été ravi. Dans ce lac, qui était le dernier endroit dans lequel il souhaitait passer une heure entière.
Il secoua la tête et rendit le parchemin. Sous le poids du regard inquiet d'Adrian, il aperçut alors la surface menaçante du lac et tout lui revint. Tout ce qu'il s'était passé. C'est à ce moment qu'il perdit le contrôle, que tout s'effondra autour de lui. Il ne pensa plus à Adrian, il ne pensa plus à l'énigme de l'œuf, il ne pensa plus à rien. Il ne pensa plus qu'à courir le plus vite possible, sa vision brouillée par les insupportables images de son passé qui l'assaillaient.
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