Chapitre 4 : La Première Tâche (3)
Cassius avait besoin de prendre l'air, pour pouvoir penser clairement à tout ça. C'était beaucoup trop pour lui en un seul mois.
Il se rendit au bord du lac et, pour lutter contre le froid, se mit à courir. Il fixait le soleil qui brillait au-dessus des arbres, son objectif, et courut vers lui sans relâche. Trop vite à son goût, il acheva son tour. Le soleil était désormais caché derrière des nuages, si bien qu'il semblait déjà faire nuit. Cassius n'eut donc aucune idée de l'heure qu'il était. Il savait qu'il avait passé beaucoup de temps à s'entraîner dans le bureau de Rogue, mais il avait perdu toute perception du temps après que celui-ci lui ait apporté son repas.
Cassius regarda autour de lui. Il avait comme un besoin de s'exprimer. Il contenait trop de choses en lui. Mais il ne pouvait rien dire.
Il ne pouvait pas parler.
Alors, elle lui vint à l'esprit, tout d'un coup. Comment avait-il pu oublier d'aller la voir durant tout un mois ? Au pas de course, il retourna dans le château, où il fut instantanément enveloppé par une vague de chaleur, puis à travers les étages, jusqu'à la tour ouest.
Il repensa à la façon dont il l'avait trouvée. C'était les vacances de Noël, durant sa deuxième année, et il s'était retrouvé presque seul dans le château. Il marchait dans la parc recouvert de neige quand il l'avait vue. Un minuscule oiseau aux plumes bleues tachetées de blanc tout comme la neige autour était tachée de sang. Elle ouvrait son bec comme pour crier son agonie mais aucun son n'en sortait. Et c'était le spectacle le plus affligeant auquel Cassius ait pu assister. Il l'avait recueillie et, trop apeuré d'aggraver son cas en essayant de la soigner lui-même, l'avait apportée dans ses mains tremblantes jusqu'au bureau du professeur Rogue. Celui-ci avait réparé ses os brisés puis l'avait rendue à Cassius en le prévenant avec un regard dans lequel il semblait y avoir une certaine empathie qu'il ne devait pas s'y attacher. Et c'est ainsi qu'il l'avait baptisée Hazel et que, quatre ans plus tard, il continuait de lui rendre visite régulièrement.
Il ne sut jamais ce qu'il lui était arrivé. Ce qu'il savait c'est que, depuis l'accident, elle n'avait toujours pas émis le moindre son. Elle était donc un moindre dérangement pour les autres occupants de la volière. Arrivé au sommet de la tour, Cassius put alors entrer dans la grande salle circulaire, venteuse et bruyante.
Il y avait déjà quelqu'un. Une fille aux longs cheveux blonds. Cassius la reconnut, c'était Luna Lovegood. Une fois, avec Adrian, ils avaient réussi à lui faire chacun une tresse en marchant derrière elle sans qu'elle ne s'en rende compte.
Cassius se rendait instinctivement vers la niche de Hazel lorsqu'il se rendit compte que Luna se trouvait justement devant celle-ci. Et qu'elle tenait l'oiseau entre ses mains.
Un poids tomba alors dans son estomac et fit s'enfoncer ses pieds dans le sol. Il ne voulait pas voir qui que ce soit avec Hazel mais la stupeur le rendit incapable de bouger.
— Bonjour, dit la jeune fille en se retournant.
— Rends-moi mon oiseau.
La violence de ses mots semblait l'avoir libéré. Cassius réussit enfin à s'approcher de Hazel et il en profita pour jeter un regard froid et menaçant à Luna. Elle ne sembla pas le remarquer, pas plus que son insigne de maison.
— Ce n'est pas un oiseau, rétorqua-t-elle comme si elle ne venait pas de dire que l'oiseau n'était pas un oiseau. C'est une Jobarbille. Je ne savais pas qu'elle était à toi.
Elle lui rendit alors Hazel sans la moindre contestation, ce à quoi il ne s'était pas du tout attendu. Pris au dépourvu, il ne trouva rien à dire et resta planté là, l'oiseau lové dans ses mains familières.
— On les reconnaît à leurs plumes bleues tachetées, dit Luna en caressant ledit plumage.
Cassius aurait voulu l'en empêcher mais il était trop occupé à essayer de trouver un sens à ses paroles pour faire le moindre geste.
— Mais la principale singularité des Jobarbilles est qu'ils ne produisent pas de son. Tu ne l'as jamais entendue chanter, n'est-ce pas ?
Cassius hocha la tête. En ne disant rien, il n'engageait pas vraiment de contact avec elle. C'était le demi-mensonge qu'il se fit croire.
— On ne les entend qu'à leur mort, où ils produisent un son terrifiant.
Elle avait terminé sa phrase en chuchotant et en s'éloignant d'eux.
— Certains disent qu'il s'agit de tous les sons qu'ils ont entendus, en accéléré et à l'envers. Je n'y crois pas.
Elle lui sourit et, de manière totalement inattendue, sortit de la salle. Plus exactement, elle sautilla jusqu'à la porte avec une légèreté anormale qui semblait tout à fait normale chez elle.
Cassius baissa les yeux vers Hazel. Devait-il croire Loufoca ? C'est vrai que le petit oiseau n'avait jamais chanté. En tout cas pas en la présence de Cassius. Comment Luna aurait-elle pu le savoir ? Cassius caressa à son tour la créature silencieuse.
— Qui es-tu, Hazel ?
Il la reposa dans sa niche et continua de la caresser lentement.
— Tu me feras le plaisir de ne jamais chanter.
Celle-ci tourna sa minuscule tête vers lui et ses yeux d'un noir infini posèrent un regard perçant sur lui.
— Oh ! et puis de toute manière, je mourrai sûrement avant toi. Ils vont me faire affronter des dragons demain. Tu te rends compte, Hazel, c'est de la folie. Quoique, ça peut faire de moi un héros légendaire ! Combien de sorciers peuvent se vanter d'avoir jamais battu un dragon ?
Elle l'écoutait attentivement pendant qu'il continuait de lui parler de tout ce qui le préoccupait, comme elle le faisait toujours.
— … et là, tu ne devineras jamais ce qu'il y a eu. Une tempête. Une tempête dans un couloir. On voit de ces choses ici… C'est comme enfermer des ballons de baudruches farceurs derrière une porte, qui aurait une idée pareille ?
Il s'était appuyé contre le mur de pierre, jouant machinalement avec ses doigts. De temps en temps, Hazel semblait hocher la tête, comme pour compatir à ses inquiétudes.
— … alors que je ne sais même pas si j'en serai capable. Je veux dire, j'y arrivais très bien tout à l'heure, dans son bureau, mais je pourrais oublier la formule pendant la nuit ou sous le coup du stress. Et à ce moment-là, il me restera quoi ? Une baguette de bois face à un dragon qui peut faire de mes os quelques grains de poussière.
Elle ouvrit alors son bec mais ne put lui répondre que par le silence.
— T'as bien de la chance de ne pas connaître tout ça, toi. Ce monde est fou.
À peine avait-elle compris qu'il avait terminé son récit qu'elle commença à sautiller sur place. Cassius la recueillit dans le creux de sa main, appréciant le contact avec ses pattes, ce lien entre elle et lui, si fort et si fragile. Alors, presque à contre-cœur, il la lâcha dans les airs pour qu'elle lui montre toutes les prouesses dont elle était capable. Cela faisait plusieurs années que son aile s'était complètement rétablie mais ils continuaient ce rituel à chaque visite. Elle virevoltait comme une ombre, ses ailes battant avec la douceur des vagues, se faufilant dans les trous de l'escalier en repliant ses ailes gracieusement, disparaissant par ci, apparaissant par là. Hazel ne volait pas, elle faisait de l'air son œuvre d'art.
Finalement, dans un dernier souffle, elle se posa au cœur de sa niche. Sautillant sur ses petites pattes, elle se retourna vers Cassius, qui lui laissa à manger.
— Ne chante pas, lui dit-il en guise d'au revoir, en lui caressant le sommet de sa minuscule tête.
Elle ne sembla pas le remarquer, trop occupée à manger ses graines bien méritées. Alors il sortit en silence et referma la porte sur l'éclair bleutée. Dehors, la silhouette des arbres se dessinait sur le soleil couchant qui faisait baigner le château dans un halo orangé aux teintes presque irréelles.
L'esprit apaisé, Cassius put dormir tranquillement cette nuit-là. Il avait réussi à oublier la première tâche, momentanément. Le lendemain matin, cependant, elle lui fut rapidement remise en mémoire. Il régnait dans tout le château une effervescence sur laquelle on ne pouvait pas se tromper. Tout le monde trépignait d'impatience à l'approche de l'heure tandis que Cassius maudissait chaque seconde qui le rapprochait un peu plus de la dernière.
Quand la cloche sonna, les conversations semblèrent tout d'un coup ne plus parler que d'une chose, comme si elles s'étaient retenues jusque là. Le château avait relâché sa respiration alors que Cassius peinait à trouver la sienne. Assis parmi la foule compacte des autres élèves en train de manger, il se sentait comme pris au piège dans une bulle, flottant à l'écart du monde.
Cette bulle éclata lorsque le professeur Rogue vint le chercher pour l'accompagner jusqu'au lieu de l'épreuve. Adrian lui souhaita bonne chance, Daphné lui lança un sourire depuis l'autre bout de la table et Cassius quitta la Grande Salle dans l'indifférence générale.
— N'oubliez pas de garder votre sang-froid, Warrington, dit Rogue alors qu'ils traversaient le parc en direction de la Forêt Interdite. L'honneur de notre maison repose sur vos épaules.
Avec ça en plus, il avait du mal à voir comment il pourrait garder son sang-froid. Finalement, ils atteignirent une grande tente devant laquelle Rogue stoppa net et Cassius comprit qu'à partir de cet instant, il serait seul. Levant un bras pour écarter un pan de toile, il entra.
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