L'instinct

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Arrivé sur le sol marocain, valises récupérées, le groupe bondit dans leur voiture de transfert. Direction : l'hôtel ! Ce dernier se trouve au coeur du désert, loin de la côte, loin de tout. Vida prie pour qu'il lui apporte la solitude tant imaginée en découvrant le site internet lors de la réservation. Tout ce qu'elle souhaite ce sont des vacances en ermite retranchée autour de son clan et de personne d'autre. Se mêler à des inconnus qui ne savent rien de sa vie et de son passé ? Très peu pour elle. Il faudrait alors tout expliquer, encore et encore. Non, pas cette semaine.

Les portes du Van s'ouvrent telles les portes du Paradis devant un endroit magnifique, bien au delà de toutes les espérances des cinq amies. L'apaisante mélodie des oiseaux qui dansent au sein d'immenses volières longeant les murs, les guident jusqu'à l'accueil. L'odeur des fleurs enivre et emporte dans un monde irréel. À la minute où ses pieds foulent le sol en pierres argileuses, la pression dans le coeur de Vida s'estompe. La douceur paradisiaque de l'hôtel la rend plus légère. Se métamorphose-t-elle en oiseau ? Cette semaine va être magique. Comment, dans un lieu pareil, pourrait-elle en être autrement ?

Chaleureuse, souriante et absolument charmante, Faïza, la gérante, vient à leur rencontre, leur souhaite la bienvenue et les invite à laisser les valises dans l'entrée. Son fils, Rauf, se chargera de les amener dans leurs chambres respectives, explique-t-elle. Il s'agit d'un hôtel familial avec seulement dix chambres où tout le monde a un rôle précis. Son mari gère la manutention et le parc animalier qui recueille les animaux blessés ou abandonnés de la région, sa soeur travaille au spa tandis que ses deux fils s'occupent du service et de la cuisine.

— Vous avez réservé trois chambres, c'est bien cela ?

Vida acquiesce, abandonnée par ses amies, lovées dans les canapés du bar attenant. La gêne dans le regard de l'hôte interpelle et perturbe la quiétude spirituelle de la jeune femme. Que se passe-t-il ? Horreur ! Déception ! Juste derrière, clé en main, un homme observe l'échange. Elle ne sera pas seule dans ce havre de paix... Le raclement de gorge de Faïza arrache Vida de sa réflexion. La gérante baisse les yeux ainsi que la voix et s'enquit des raisons du séjour des jeunes amies.

Difficile de réagir avec cohérence tant la fatigue et la surprise sont écrasantes, aussi, Vida se lance sans réfléchir dans une explication rapide de la nécessité de ces vacances. Nouveau regard à l'homme. Que se passe-t-il ici ? La gérante aurait-elle besoin de son aval pour autoriser leur séjour ? Pour qui se prend-il ? Pense-t-il mériter davantage le calme et le recul de cet hôtel en plein désert ? La française inonde l'inconnu d'un regard dédaigneux. S'il a l'ouïe fine, il aura compris le drame de sa vie et le besoin presque vital de détente et de confiance pour cette terrible semaine. La pitié abreuvant les iris foncées de l'étranger à la peau d'ébène finit d'irriter Vida. Ce regard, elle le connaît par cœur. C'est d'ailleurs celui qu'elle déteste le plus. Il n'apporte rien, aucune aide, aucune compréhension, rien que de la compassion inutile. L'aigreur l'emplit. Vieille sensation refoulée depuis quelques mois désormais, la voilà qui refait surface tel un horrible bouclier enfermant sa personnalité sous cloche, bien à l'abri. La déception de ne pas être seule avec ses amies et sa confidence sans filtre offerte de la sorte à des oreilles baladeuses ont raison de sa motivation. Pour elle, ce lieu plein de promesses ne sera rien d'autre qu'une torture.

—Si vous n'en avez pas pour longtemps, je vous laisse avec madame. Je dois discuter avec mes amies, propose sèchement Vida au mystérieux inconnu au pouvoir de décision apparemment illimité au sein de cet hôtel.

Le ton brutal désarçonne l'homme qui acquiesce cependant.

Maria, vraiment contrariée, tente de raisonner Vida.

— Mais chérie, tu ne vas pas annuler le séjour uniquement pour ce petit imprévu ? Peut-être est-il en lune de miel avec sa dulcinée et il aurait souhaité, comme toi, passer son séjour tranquille ?

Elle souhaite de la tranquillité et son intuition lui souffle que ce n'est plus ici qu'elle la trouvera. Indice le plus parlant ? Lucie, qui ne quitte pas des yeux l'inconnu déjà surnommé "L'Apollon". Cette dernière aime les hommes, c'est indéniable, mais la tragédie de son amie lui a ouvert les yeux. Son désir désormais ? Vivre un amour équilibré et refouler ses pulsions presque animales d'histoires d'un soir qui régissaient jusque là son existence. Cependant, devant l'avidité de son amie, le naturel reste bien difficile à chasser, ne peut s'empêcher de penser Vida.

— On est au milieu de nulle part Vida, tu as choisi cet hôtel pour ça et ne nous mens pas on s'en doute. Il est peut-être là aussi pour cette même raison. On s'arrangera pour ne pas se marcher dessus, sois en sûre. On est fatiguée, il fait chaud, installons-nous et si vraiment ça ne nous convient pas, on trouve autre chose dès demain.

Avec chacune leur caractère, elles savent parfaitement contrecarrer les doutes de Vida. Elle aussi a besoin de se reposer. Le calme de l'hôtel, le chant des oiseaux, qui eux, semblent vivre qu'importe les circonstances, qu'importe les imprévus, sont là pour la guider. Qu'est-ce que son instinct lui souffle ? À la minute où elle a franchi l'accueil, ne s'est-elle pas sentie en paix ? Faire confiance à son corps... Voilà sa promesse maintenant qu'il n'est plus là pour l'aider à prendre ce genre de décisions. Ses muscles relâchés, son cœur apaisé, son souffle plus profond lui crient de rester. Son clan aussi. Elle cède alors et retourne récupérer les clés auprès de Faïza qui, pour pardonner sa curiosité, propose de surclasser les jeunes amies en leur offrant une chambre chacune.

Sur le chemin vers l'étage, la gérante se confie.

— Je comprends. Je comprends tout. Votre tranquillité sera assurée, soyez en certaine. J'y veillerai. Eux aussi ont quelqu'un qui souffre dans leur groupe...

La bienveillance de cette femme et la douceur de ses mots terminent de calmer ses craintes. Peu importe qui est en peine dans cet hôtel, son hôte s'assurera qu'elle soit en paix. Nouveau souffle de son instinct, Vida peut lui faire confiance.

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