Transat, soleil, sommeil. Contrariété, agitation, questions. Lorsque Lucie rejoint Vida à la piscine, elle est loin d'imaginer ce qui anime les pensées de son amie. La jeune femme, vite rejointe par Malia, ne cesse de parler du beau Seydou, de la chaleur de ses bras et de la douceur de ses lèvres, seulement, la jeune veuve n'écoute pas.

— Toi, t'as la tête des mauvais jours, annonce Sallie, juste levée, un cocktail déjà en main écrasant à moitié les jambes de Vida lorsqu'elle s'installe sur son transat.

Lucie s'interrompt et plonge alors son regard dans celui de Vida. Que dire ? Peut-elle vraiment avouer à voix haute la proposition improbable de Ken qui ne cesse de tourner en boucle dans son esprit ? Grande inspiration et la voilà lancée devant le regard ahuri de son clan. Dubitative, Malia souffle mais demeure silencieuse. Imperturbable Sallie, quant à elle, s'interroge. Qu'a répondu Vida ?

Comment ça, qu'a-t-elle répondu ? Cette journée n'est-elle qu'un sombre rêve ? Que pense-t-elle qu'elle ait pu répondre, lance la jeune femme abasourdie. Pour Sallie, la proposition peut être une excellente option à un adieu à David. Avant même que l'intéressée ne réponde, Malia vole à son secours. Cet échange est dangereux. Et s'ils s'attachent ? Est-elle prête ? enchérit-elle.

Incroyable ! Ses amies sont là à discuter de la plus hasardeuse des propositions qu'on lui ait faite dans sa vie tout en parlant d'elle comme si elle n'était pas là... Comment peuvent-elles envisager une telle éventualité ? Les pensées de Vida se heurtent. Ken l'a ébranlée mais la réaction de ses amies la désarme.

— Malia chérie, penses-tu vraiment qu'il pourrait s'attacher ? Tu l'as vu comme nous, il est complètement à l'ouest. Bien pire qu'elle... apaise Lucie.

Un volcan qu'elle pensait éteint se met soudain en mouvement. Son sang ne fait qu'un tour. La jeune femme, sans prévenir, explose. 

— Les filles, vous réalisez seulement ce que vous êtes en train de dire ? Je suis là devant vous à vous dire à quel point cet homme est malsain, et vous ne trouvez rien d'autre que peut-être, il est possible qu'éventuellement ça soit une bonne idée, sous réserve que ni l'un ni l'autre ne s'attachent ? Sérieusement ? Putain mais ouvrez les yeux quoi !

Sallie s'apprête à rétorquer lorsque Lucie, debout, lève la main pour couper court à toute argumentation avant de se lancer dans sa propre tirade.

— Pour la première fois depuis une éternité, tu t'ouvres à quelqu'un d'autre qu'à nous. On l'a vu te rejoindre ce matin, on vous a vu sur sa terrasse ce midi. Ne nous fais pas croire que vos échanges ne te confortent pas. On est là et on sera toujours là pour toi mais on ne sait pas du tout ce que tu traverses. Lui, si. En trente ans t'as vécu ce que certains ne vivent même pas en une vie. L'amour intense, unique, le vrai et sa perte terrible sans possibilité d'adieu et sans qu'il te reste quoi que ce soit d'autre que des souvenirs qui risquent un jour de disparaître. Alors oui, on envisage toutes les possibilités pour te ramener à la vie. T'es bien là pour ça non ? Laisser derrière toi cet horrible personnage qu'on se coltine parce qu'on t'aime. Cette femme froide, grinçante, parfois odieuse qui a le coeur déchiré parce qu'elle n'a jamais eu l'opportunité de dire au revoir et merci à l'homme qui l'a aimée comme peut-être jamais elle ne sera plus jamais aimée. Alors ne nous en veut pas. On t'aime à l'infini et on ferait n'importe quoi pour toi. N'importe quoi, oui et cette proposition c'est ça, un énorme n'importe quoi pour un énorme gouffre dans lequel tu t'es enfoncée. Au fond de cette faille, on pensait que tu étais seule, mais après réflexion peut-être que ce mec est entré dans ta vie pour te montrer que tu n'étais pas seule à souffrir.

— Prends le temps de réfléchir au moins. On meurt de faim, on va manger un morceau et on te rejoint très vite ma Vida, souffle Malia avant que le groupe ne s'éloigne en direction du restaurant.