La veuve

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De retour dans le hall, tous les invités se tassent et profitent du spectacle. Un barman réalise en effet des acrobaties impressionnantes devant les holas de tous.

— Va te préparer, les amoureux ne tarderont pas à faire leur discours, souffle Moussa à l'oreille de Vida.


Le soulagement l'emporte lorsqu'elle découvre la chambre vide. Les filles sont déjà prêtes et doivent probablement se délecter d'un des cocktails préparés à l'heure actuelle par Rauf et le barman recruté pour l'occasion. Dans la salle de bain, une tenue est mise en évidence sur le montant de douche.

Enfile ça ma chérie et rejoins-nous quand tu veux.

Combinaison noire. Sobre. Élégante. Sallie... Nul doute de l'idée que cette dernière a derrière la tête. La jeune femme ne tarie jamais d'éloge lorsque Vida porte cette tenue au décolleté avantageux et à la fermeture éclair glissant sur toute la longueur du dos jusqu'au haut des fesses. Un nouveau mot accroché au miroir attire son attention.

Mets au moins du rouge à lèvres, Vida. Pas question que tu ressembles à une morte sur les photos souvenirs.

Difficile de ne pas sourire. Son amie met le paquet tout en respectant la distance voulue par Vida. La culpabilité l'assaille de nouveau. Pourquoi leur faire cela ? Respectueuses, aimantes, un jour, elles finiront par s'éloigner et quitter sa vie et, là encore, elle ne pourra en vouloir qu'à elle-même... Ravalement de façade succinct, Vida se précipite dans le hall, espérant ne pas rater l'arrivée des amoureux qui déboulent au même moment en haut de l'escalier.

— Tu es ravissante, murmure Lucie en serrant son amie dans les bras.

Que dire de la jeune fiancée ? La robe longue d'un vert éclatant inonde ses pupilles de milles étoiles et sublime à la perfection sa plastique athlétique. Seydou ne peut qu'acquiescer, sa future femme est divine. L'acclamation des invités interrompt l'échange et relaie Vida, qui s'éclipse en reculant d'un pas, au second rang. Ici, seuls cette femme et cet homme comptent aux yeux de tous. Se mettre en retrait, si facile, si tentant, si habituel et désormais, si plaisant. Du haut de l'escalier, elle observe les félicitations. Du haut de l'escalier, elle observe les embrassades chaleureuses de la famille ou encore les blagues graveleuses des amis. Du haut de l'escalier, spectatrice silencieuse, Vida observe la vie défiler sous ses yeux et entre ses doigts.

Combien d'invités déjà ? Une bonne cinquantaine, se rappelle Vida. Le hall est bondé et le restaurant est ouvert sur la terrasse où de nombreuses tables rondes accueillent les convives. Prévenant, Moussa, entre deux musiques, rejoint le clan et s'enquiert de savoir comment la jeune femme va. Depuis l'altercation à l'hôpital, l'homme a pris la jeune femme sous son aile. Une amitié profonde et sincère est ainsi née des cendres du frêle amour qu'elle éprouvait pour son meilleur ami. Vida le rassure. Tout va bien ! De nombreuses jeunes femmes toutes plus belles les unes que les autres pourraient l'aider à passer un séjour divin, lui confie-t-elle, alors, qu'il profite de sa première soirée pour faire ses repérages... La caresse déposée sur son visage arrache un rire gêné au DJ qui retourne auprès de ses platines.

Devant la légèreté de cette première soirée à l'hôtel, Vida s'apaise et se délecte de l'analyse en bonne et due forme des plus beaux partis par une Sallie survoltée. Il n'y a pas de raison que cette fois-ci, elle ne soit pas comblée comme d'autres l'ont été lors du dernier séjour, se moque-t-elle.

—Bon elle est où cette veuve ?

Ces mots prononcés dans le dos de Vida figent soudain tout le clan. Ne laissant place à aucune équivoque, l'homme est en colère et semble vouloir en découdre.

— Papa, calme toi.

Le regard de ses amies fond immédiatement sur Vida. Ken... Que faire ? Se retourner ? Faire profil bas ? Les oreilles de Vida bourdonnent, le rouge lui monte au visage, derrière elle, l'homme qu'elle a laissé la briser, entouré de sa famille. Bien sûr qu'ils seraient là... Seydou, Moussa, Théo et Ken sont des amis d'enfance. Comment se marier sans les parents des uns et des autres ? Elle pense soudain au DJ. Est-elle devenue si égoïste et renfermée au point de ne souhaiter rencontrer les parents de son ami ? Que sait-elle d'ailleurs de lui ? Pas grand chose. Leur relation est à sens unique. Il est là pour elle. Elle n'est là pour personne. Et ceux de Lucie ? Elle a préféré retrouver Youssef plutôt que de les saluer... L'agacement l'envahit. Son corps tremble. En quel odieux personnage s'est-elle mutée ? Et surtout, pourquoi ? Pour un homme trop malade pour l'aimer ?

— Je suis très calme, Ken. J'aimerais simplement dire deux trois mots à la femme qui t'a mis cette idée saugrenue dans la tête d'arrêter ta carrière, c'est tout. S'il s'agit d'une amie proche de Lucie, elle sera là. Si tu comptes ouvrir la bouche pour me mentir, je te conseille de ne rien dire.

L'autorité de cet ordre glaçant désarçonne. Un bruit de chaise, un coup dans la sienne et alors, une main effleure son épaule. Electrisant. Déstabilisant. Sa peau s'irradie à son contact... Irritant. Oserait-elle se retourner, plonger son regard dans le sien ? Trop tard, la silhouette renfrognée de l'homme respectueux de la puissance paternelle s'éclipse.

— J'espère que tu es content, Nikos ! Tu comptes faire quoi au juste ? Le ligoter et le forcer à avouer un mensonge ? Il te la dit et redit, cette femme n'y est pour rien. Laisse-la en dehors de ça. Tu lui en veux, soit, mais respecte sa décision, bon sang, ça fait deux ans ! Tu ne vois pas comme est plus heureux ? Plus épanoui ? Plus...

Cette voix féminine peut-elle cesser de retourner le couteau dans la plaie ? Moussa, Lucie et maintenant elle... Oui, Ken va mieux. Pourquoi subitement Vida ne s'en réjouit plus ? Pourquoi ses mains tremblent ? Serait-elle jalouse ? Serait-ce de la colère ? Stop.

— Madame, Monsieur. Je me présente, Vida.

Tordue sur sa chaise, la jeune femme tend une main en direction d'un homme qui ne peut être que le père de Ken. Même regard noir. Mêmes traits. La ressemblance est frappante, presque effrayante. L'animosité de son visage rappelle à Vida l'un des derniers échanges avec son fils. Devant la main restée solitaire, elle se racle la gorge et poursuit.

— La veuve en question.

Proie harponnée. Elle le tient.

— Enchant...

Ce n'est pas à la femme avenante au sourire chaleureux que Vida veut parler pour le moment. Alors, elle décide d'offrir à l'interlocuteur soudain muet, son histoire.

— Saviez-vous que le radical latin de mon prénom signifie justement "veuve" ?

David... Amour de jeunesse devenu amour de sa vie, leur mariage heureux. Huit années de bonheur et une mort la hantant depuis maintenant trois ans. À ses côtés, Maria glisse une main sur sa cuisse. Elle ne l'intime pas à cesser non, elle connait ses amies. Cette dernière l'intime à poursuivre. Elle a raison. S'ouvrir, lâcher, cracher toute l'aigreur de sa vie est libérateur. Comment réagirait-il si un jour, quelqu'un utilisait ce mot comme un reproche, voire même comme une insulte alors qu'il tente de se reconstruire suite à la plus grande perte de sa vie ?

— Quel mot ?

Il veut jouer ? Parfait. Cet échange rafraîchit les idées de Vida.

— Ne me prenez pas pour plus bête que je ne le suis, et dieu sait si, pourtant, je peux l'être. Ce qui m'est arrivé n'est que le fruit du destin. La vie est cruelle. La vie est terrible. Pas besoin que l'Homme en rajoute. Votre fils a raison, votre femme également, je ne suis responsable de rien. Il a pris seul la décision d'arrêter sa carrière et pour être honnête, il a eu raison. Pouvez-vous vous mettre à sa place ? Toute cette pression, ce harcèlement autour de sa carrière, de sa vie personnelle... Votre fils a eu le cœur brisé et a réalisé trois albums là dessus... Ruminer, broyer du noir, l'a amené à devenir ce qu'il est aujourd'hui, un homme riche certes, mais seul. Alors, pour se protéger, il a pris ses distances avec l'artiste. C'était ça, où la mort, croyez-moi. Lorsque je l'ai rencontré, il s'engluait dans un gouffre si profond qu'il pensait ne jamais pouvoir en sortir. Regardez-le maintenant ? N'êtes-vous pas fier de lui ? Parce que, monsieur, vous devriez.

La tirade est rhétorique. Elle se tourne à nouveau vers ses amies aux yeux embués, et s'excuse auprès d'elles, il est tard, elle est fatiguée et préfère monter.

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