Endormie tôt. Levée tôt. Quel plaisir de profiter du calme de l’hôtel pour observer Rauf et sa mère s’activer. Quel courage et quelle énergie faut-il déployer pour accueillir autant d’inviter pour un hôtel, à l’initial, conçu pour un peu plus du tiers des personnes conviées et pourtant, jamais Vida ne s’est sentie étouffée. Après un énième refus de la gérante quant la jeune femme lui a proposé son aide, Vida décide de s’attabler au soleil autour d’un petit déjeuner copieux.

— Je peux m’assoir ?

Impossible de réagir, Vida accepte et voici ainsi Ken et elle, autour d’une même table, sans personne d’autre en soutien ou en protection. Après quelques minutes, Ken rompt le silence en la remerciant.

— Pourquoi ?

— Mes parents.

La jeune femme avoue pourtant se sentir mal à l’aise et regrette d’avoir agressé ainsi son père.

— Tu sais, peu de gens ose lui tenir tête. En réalité il n’y a que ma mère qui sait y faire avec lui. Je n’ai jamais vraiment eu le courage de leur raconter l’intégralité de mes souffrances sous peine de voir les pupilles de ma mère s’éteindre. Je l’ai trop faite souffrir. C’est pour elle entre autre que j’ai démarré ma thérapie. Pour elle, et pour toi.

— Ta mère semble être quelqu’un de bien. Avec elle, difficile à expliquer mais je me sentais en confiance. Quant à ton père... Bref. Tes parents sont touchants.

— Trente-cinq ans de mariage, deux enfants, et aujourd’hui plus qu’avant, je m’interroge. Comment deux personnes si différentes peuvent s’aimer sans se lasser ? À quoi ça tient un mariage ?

— Dis donc tu t’en poses des questions... Ta chérie te met la pression pour te mettre la bague au doigt ?

— Si tu savais... Non, Seydou m’a missionné pour rédiger le discours lors de la cérémonie laïque.

— Et bien mon pauvre vieux... T’as pas tiré la bonne pioche !

— Merci du soutien. Au lieu de te foutre de ma gueule, tu peux me dire ce qui t’as donné envie de vivre le reste de ton existence avec David ?

— Simple. J’aimais même ses défauts. J’étais prête à ce qu’ils m’hérissent le poil pour le restant de mes jours et si quelque uns d’entre eux se retrouvaient dans un de nos enfants, alors j’aurais été la plus fière des mères et des épouses.

— Donc pour toi, l’amour, c’est ça : accepter les défauts de l’autre.

— Il n'était pas parfait et même si on n’était pas toujours d’accord, on se disputait peu. Notre force, c’était la discussion. David m’a faite grandir et j’étais fière de la femme que j’étais devenue à ses côtés. Je voulais que son influence sur moi dure toujours. Et toi, avec ton ex, qu’est-ce qui te faisait dire que c’était la bonne ?

— Tu sais, en t’écoutant et en observant autour de moi les couples solides qui m’entourent, je ne sais pas si j’ai aimé autant mon ex. Parce qu'au final, je pense n'avoir jamais pensé tout ce que tu viens de dire à son sujet.

— Ça ne veut pas dire que tu n'étais pas amoureux tu sais.

— Oui mais ça veut probablement dire que je me suis trompé. Elle a compté c'est sûr, mais je réalise que ce n'est plus elle qui m'inspire désormais.

— C'est triste, mais c'est bien, tu avances seul et pour toi et tu offres la possibilité à ta nouvelle amie de prendre sa place.

— Il n’y a pas de copine, Vida.

La bombe lâchée, bouche-bée, la jeune femme demeure interdite tandis que son interlocuteur lui explique qu’il a inventé cette personne de toute pièce pour que son entourage lui fiche la paix. Vida ne comprend pas. Ses amies ont rencontré quelqu’un qui se disait être sa petite amie.

— Femme que j’ai payée. Je sais, c’est complètement malade. Mon psy n’a pas validé, mais je n’ai aucun regret. Ce secret a sauvé ma peau.

La pudeur de cette confidence remue Vida. Malgré les années et les circonstances, tout est fluide, presque facile entre eux deux. Ken remercie en hâte Vida et retourne, carnet en main et sourire aux lèvres dans sa chambre en scandant qu’à présent, il avait du pain sur la planche et des idées plein la tête.