Chapitre 4 - Mosmo Era (1/3)
Un grondement immobilisa le groupe. Le sable trembla, puis une silhouette massive jaillit du sol dans une explosion et leur fit face.
Dicey n'avait jamais vu une telle créature. Un corps longiligne gigantesque et trois paires d'yeux au-dessus d'une mâchoire puissante et triangulaire. Le monstre était de couleur mauve et semblait fixer le groupe et son vaisseau.
— Fuyez ! Hurla Bergins alors que la créature s'apprêtait à plonger sur eux.
Le monstre fonça sur le vaisseau, le saisit dans ses crocs et l'emmena à l'intérieur du sable, formant un second trou près de celui à la place duquel se trouvait une dune quelques minutes auparavant.
Le groupe était parti se réfugier un peu plus loin après avoir emporté toutes leurs provisions. Ils s'accroupirent derrière une dune et tentèrent de garder leur calme. La créature ne réapparaissait pas et cela les inquiétait. Après plusieurs bonnes minutes de silence, Shad chuchota.
— C'était quoi ça ?
— J'en ai foutrement aucune idée, lui répondit Bergins, dérouté.
Denita était assise, complètement absente. Dicey, lui aussi, prenait quelques minutes pour réaliser ce qui venait de se passer.
— De tout ce que j'ai pu voir dans cette galaxie, fit la Swatrozi, je n'ai jamais rien vu de semblable.
— Vous pensez, intervint timidement Dicey, que c'était une créature du Néant ?
— Espérons que non, lui dit Bergins, si c'est le cas, alors ce système est définitivement perdu.
Denita se leva et observa les alentours. Du sable s'étendait à perte de vue.
— On fait quoi maintenant ?
— Quelqu'un a les coordonnées de la ville ? Demanda Shad.
— Elles étaient rentrées dans le vaisseau, mais je n'ai pas eu le temps de les mettre dans mon ComDev, répondit Denita.
Le visage de Shad, habituellement de couleur sable, vira au blanc laiteux.
— T'es en train de me dire que nous sommes perdus au beau milieu du désert, sans coordonnées pour se diriger ?
— T'as tout compris.
Après Shad, ce fut Dicey qui vira au blanc. Bergins, lui, tenta de garder un minimum de sang-froid. Le Zantry devint fou.
— On va mourir, hein ? On a vraiment aucune chance de s'en tirer. On va nous retrouver, si on nous retrouve un jour, du sable plein la gorge à confondre ça avec une oasis.
— Calme-toi Shad, fit Bergins, nous avons des sacs remplis de provisions, et le soleil pour nous guider. La ville est basée sur le versant sud-ouest de la planète, je l'ai vu sur le radar du vaisseau. Nous avons juste à garder ce cap et nous finirons par y arriver.
— Nous avons "juste" à garder ce cap, rétorqua Shad, et si nous sommes à des milliers de kilomètres de la ville, que ferons-nous ?
— Nous trouverons forcément des habitants ou des villages sur notre chemin, intervint Denita, cette planète a beau être désertique, cela ne signifie pas qu'elle est inhabitée.
— Amis ou ennemis, telle est la question, n'est-ce-pas ? conclut Shad, encore peu emballé par l'idée de marcher des jours dans le désert.
Dicey, lui, ne se mêlait pas la discussion. Il s'était déjà fait à l'idée qu'ils n'auraient pas le choix. Pour survivre, ils devraient marcher et trouver une solution. Leur vaisseau avait disparu dans l'estomac d'une créature inconnue et il leur en fallait un nouveau pour retourner sur Kentoria.
Il valait mieux économiser sa salive et les bouteilles d'eau afin de rester en vie le plus longtemps possible.
— Sur cette planète, le soleil se couche à l'est. Nous devons donc continuer dans cette direction.
L'Humain commença à partir. Dicey et Shad le suivirent.
— Il va faire nuit dans peu de temps, il serait préférable de chercher un abri, proposa Denita.
— J'approuve cette décision, fit le Zantry, qui avait recouvré son calme.
— Un abri dans ce désert ? Répondit Bergins, je doute que nous trouvions quelque chose de confortable.
— Je ne cherche pas de confort, répliqua sèchement la Swatrozi, seulement de quoi nous cacher un peu. Je n'aimerais pas retomber sur le grand ver de tout à l'heure, ou sur n'importe quoi d'autre.
Dicey s'étouffa avec sa salive. La silhouette de la créature était encore gravée dans sa mémoire, et son cri résonnait dans le crane du pilote. Pour rien au monde, il ne souhaitait de nouveau croiser sa route.
Le groupe reprit sa marche. Le vent, clément à leur arrivée, commençait à se lever et à les recouvrir légèrement de sable. La température se rafraîchissait rapidement. Dicey avait pris une couverture dans son paquetage et l'avait mise autour de ses épaules. Très vite, ses compagnons l'imitèrent.
Une heure plus tard, le soleil s'était presque intégralement couché. Ne trouvant aucun abri sûr, ils choisirent une dune pour le bivouac.
Ils installèrent leurs duvets. Bergins fouilla dans son sac et en sortit une petite boule qui dégageait un peu de lumière blanche. Dicey reconnut là une HeatX. Cet objet était souvent utilisé par les parents lorsque leurs enfants avaient peur du noir, mais également par les voyageurs. En plus d'éclairer les lieux, l'appareil pouvait dégager une chaleur semblable à un petit feu, permettant de faire cuire de la viande sur sa surface. Bergins enfonça le support de la HeatX dans le sable puis posa une coupole autour pour empêcher ce dernier de s'accrocher sur la boule. Il sortit enfin quelques morceaux de viande qu'il déposa avec une pince. Le crépitement qui s'ensuivit fit saliver Shad qui fixa la boule avec un regard impatient. Une légère odeur de barbecue commençait à se diffuser dans l'air.
Dicey ramena la couverture sur son torse et trembla. Maintenant que le soleil était couché, la fraîcheur de la nuit s'insinuait dans ses vêtements et lui donnait des frissons. Il déroula rapidement son tapis de sol sous son duvet et se coucha. Denita lui secoua légèrement l'épaule.
— Pas si vite, l'ami, mange un peu avant de dormir, nous repartons à l'aube. Puis nous allons devoir établir des tours de garde aussi.
Shad releva la tête.
— Des tours de garde ?
— En effet, répondit Bergins, je prends le premier avec Denita, pour vous laisser vous reposer.
— Vous vous chargez de la suite, continua Denita.
Le Zantry tourna la tête vers Dicey, allongé sur son tapis, les yeux à moitié ouverts.
— Ça te va ? Dit Shad d'un air amusé.
— Pas de problème, dit l'Humain, on fait comme ça.
Le pilote s'assit et croisa les jambes en tailleur. Denita lui tendit des baguettes avec un morceau de viande, et Dicey l'engloutit tout rond. Ce début de voyage l'avait épuisé et avait réveillé ses courbatures dues à la course poursuite sur Pricelia. Il n'avait qu'une envie, se rouler en boule et dormir comme un chat. Il avala d'autres morceaux et but une longue gorgée d'eau avant de s'allonger à nouveau et de fermer les yeux, tombant de sommeil. Shad enfila son duvet et se coucha lui aussi, tout près de la dune, le ventre plein. Denita et Bergins restèrent tous les deux assis près de la HeatX.
Bergins prit le dernier morceau de viande sur la boule et le mâcha nerveusement, le regard vide. Denita avait tourné la tête vers Dicey.
— C'est dommage que Simon ne soit plus là. Je ne me suis pas encore habitué à ce gars.
— Que veux-tu qu'il fasse ? Répondit Bergins, sans s'arrêter de mâcher. Il est inoffensif et aussi perdu que nous. Shenin a confiance en lui. S'il nous fait faux-bond, c'est un homme mort. Je doute qu'il soit assez stupide pour ça.
— Je le trouve très mou.
— C'est un pilote, il a sûrement dû recevoir un entraînement militaire, mais n'a pas entretenu son physique depuis.
Bergins avala la viande et sourit. Il posa sa main sur l'épaule de Denita.
— Tu es trop méfiante. Nous sommes une équipe. Comportons-nous comme tel.
Celle-ci lui rendit son sourire et se leva. Elle fit quelques pas et observa l'horizon. Comme certains Swatrozis, elle était nyctalope. La nuit, le sable apparaissait bleu à ses yeux. Le vent léger lui effleurait le visage. Une légère odeur d'herbe folle et de mousse fraîche attirait son odorat.
Denita continua d'avancer, s'éloignant du camp. Elle sentait une force invisible la pousser vers l'avant. Sans savoir pourquoi, son corps la menait de dune en dune et ses chaussures commençaient à se remplir de sable. La Swatrozi ne ressentait plus le vent sur son corps, ni le froid qui lui mordait la peau. Elle retira sa couverture qu'elle laissa s'envoler, sans jamais s'arrêter de marcher, puis dénoua ses chaussures pour révéler des pieds griffus par le sable.
Vers une destination que seul son subconscient semblait connaître, elle poursuivait sa marche, le regard vide, sans se soucier de ce qui se trouvait autour d'elle. Le camp n'était plus qu'un petit point lumineux dans son dos. Elle n'y prêta pas attention. Elle devait continuer.
Elle ne savait pas depuis combien de temps elle marchait, mais la soif et la fatigue commençaient à la gagner. Elle chuta à genoux, mais continua tout de même. Elle rampait vers l'horizon. Il fallait qu'elle continue.
Le point lumineux derrière elle finit par grandir, de plus en plus, jusqu'à former une silhouette.
C'était Bergins, la HeatX à la main. Celui-ci rattrapa la Swatrozi en quelques enjambées et la prit par les épaules.
— Denita ! Tu vas bien ?
— Qu'est-ce que... fut tout ce qu'elle réussit à articuler.
— Cela faisait presque une heure que tu es partie, je me suis inquiété. J'ai suivi le traceur de ton ComDev. Que t'est-t-il arrivé ?
La Swatrozi reprit ses esprits et afficha une expression de surprise en voyant Bergins penché sur elle, loin du camp. Elle ne se souvenait de rien. Ses pieds étaient nus et noirs. Elle avait froid, extrêmement froid. Après un frisson, elle se releva et répondit.
— Aucune idée. Je ne me rappelle pas être partie. Où sommes-nous ?
— En terre inconnue, termina l'Humain d'un ton grave.
Constatant les frissons de son acolyte, Bergins passa sa couverture sur les épaules de la Swatrozi. Utilisant les traceurs de Dicey et Shad, le duo rentra au camp, épuisé.
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