Chapitre 8 - Erreur réseau (2/4)
Bergins était seul devant le tableau de bord et regardait par le hublot, les yeux dans le vide, plongé dans l'immensité de l'univers. Il avait été déçu de ses performances sur Mosmo Era.
L'Humain avait promis à Edward qu'il le sortirait de sa misère et il avait perdu le garçon en cours de route. Il avait voulu faire de même avec la petite Karin et celle-ci était sûrement morte à présent, par sa faute.
Bien qu'ayant mené une vie de mercenaire pendant des années, effectuant des missions criminelles, Bergins avait toujours mis un point d'honneur en sélectionnant ses contrats : Il ne souhaitait que rendre justice et rétablir un certain ordre. Le colosse avait rejoint les rangs des Ombres Pourpres pour cette raison. Ces derniers avaient accepté de respecter ces conditions en le recrutant, et les deux partis étaient, encore aujourd'hui, satisfaits de ce choix. Le gang avait gagné un bras armé puissant et loyal, et l'Humain ne se contentait que de tuer les gens qui avaient une bonne raison de mourir ou de saboter les trafics de marchandise au profit des Ombres Pourpres.
Il avait beau avoir été entraîné à tuer lors de son séjour à l'armée – obligatoire pour presque toutes les espèces après le passage à l'âge adulte, établit à vingt ans pour les Humains – il détestait cela et ne le faisait qu'en dernier recours.
Aîné d'une famille de six enfants, Bergins s'était occupé de ses frères et soeurs avec la mort de ses parents et les avait élevés du mieux qu'il avait pu.
Il avait peu dormi durant le voyage jusqu'à Kentoria, et ne pouvait toujours pas fermé l'oeil maintenant, rependant à tous ces gens. Ces yeux étaient creusés de cernes lorsque la capitale apparut dans un coin du hublot. Dicey s'était réveillé, changé et rasé et s'approcha de lui. Il s'assit sur la place qu'occupait Shad lors du départ, ce dernier dormait encore à poings fermés.
— Quelque chose ne va pas ? Demanda le pilote, inquiet.
— Rien de bien particulier, répondit Bergins sur un ton bref, il ne souhaitait pas élaborer sur sa vie.
Dicey enleva le pilote automatique et prit les manettes de la navette. Il s'approcha doucement de la planète et alla vers le hangar d'arrivée pour se signaler au poste de sécurité des migrations.
Bergins enclencha la radio pour recevoir les informations. La voix d'un Taeil brouillée résonna.
— Numéro de l'appareil. Provenance.
— SW-514. Mosmo Era, dit lentement le pilote, qui était visiblement surpris de ce genre de procédures.
Le grésillement de la radio occupa quelques secondes le silence avant la réponse du fonctionnaire.
— Appareil non enregistré. Veuillez bien vouloir vous diriger vers le hangar de quarantaine.
— Quoi ? S'écrièrent en choeur Dicey et Bergins.
— Votre navette ne figure pas dans notre base de données, répéta le Taeil, merci d'entrer dans le hangar de quarantaine afin que nous puissions procéder à des vérifications plus poussées.
— Mais enfin monsieur, s'exclama le pilote, je n'ai jamais eu affaire à une telle procédure.
— Peut-être, répondit sèchement le Taeil, mais ceci est le nouveau règlement. J'ai bien peur que vous ne puissiez pas négocier. Si vous refusez de coopérer, nos vaisseaux policiers vous escorteront jusqu'au hangar, et votre situation pourrait empirer. Je vous conseillerais donc de faire ce que je vous demande.
Bergins vit son coéquipier se contrarier et lui fit signe de la tête. Le pilote accepta, à contrecoeur, la formalité et rangea la navette dans le hangar indiqué tandis que Shad sortait de sa chambre, lavé et habillé.
— Que se passe-t-il ? Demanda le Zantry qui regardait à l'extérieur, sans reconnaître le hangar d'arrivée habituel.
— Ils n'ont pas reconnu notre matricule et nous ont placé en quarantaine, grogna Dicey, visiblement encore agacé par cette nouvelle procédure.
— En quarantaine ? Qu'est-ce que ça veut dire ? On a pas la rage enfin ! S'affola Shad.
— Cela veut dire que l'on va devoir suivre à la lettre les instructions des forces de l'ordre de la capitale en attendant d'être régularisé. Et surtout ne créer aucun ennui, déclara Bergins.
Ses deux coéquipiers acquiescèrent tandis qu'un groupe de policiers les attendaient patiemment à la sortie du vaisseau. Les mercenaires sortirent calmement et se laissèrent guider par la sécurité, en essayant de coopérer un maximum et se montrant le plus docile possible. Ils furent emmenés dans une sorte d'antichambre dans laquelle d'autres personnes attendaient déjà en file indienne. Un policier Taeil en tête de queue palpait les individus un à un avant de les laisser passer dans la salle suivante si rien n'attirait son attention.
Les nouveaux arrivants n'étaient pas menottés mais le nombre de policiers qui les entouraient freinait toute envie de rébellion. Bergins trouvait tout de même ce nouveau système très étrange car c'était une première pour lui, et, visiblement, cela l'était aussi pour ses coéquipiers.
Auparavant, les vaisseaux entraient et sortaient des hangars d'arrivée sans contrôle de sécurité et relativement facilement. Ce nouveau type de procédure avait probablement été mis en place pendant leur absence. Dicey observait l'ensemble de la salle avec une expression d'incompréhension bien distincte sur son visage. Il avait les sourcils froncés et la bouche à moitié ouverte.
— Avec le nombre d'allers et retours que j'ai fait sur cette planète, s'exclama-t-il, c'est la première fois que je vois ça.
— C'est une nouvelle réforme, lui souffla l'un des policiers près d'eux, le Conseil a lancé ça pour aider la capture de rebelles ou de mercenaires. Ils souhaitent réduire la criminalité dans la galaxie, à commencer par la capitale. Mais ce changement a été si soudain qu'on ne peut même pas se reposer. Les forces de police sont mobilisés jour et nuit pour s'occuper des hangars de quarantaine.
— Ils ont de l'espoir, marmonna Bergins sans que le garde ne puisse l'entendre, puis dit à ce dernier, bon courage en tout cas.
— Merci monsieur, lui répondit le garde, sans savoir à qui il venait d'adresser la parole.
Dicey sourit et continua d'attendre son tour. La queue était relativement longue mais avançait plutôt rapidement. Après une dizaine de minutes d'attente, le pilote arriva devant le policier chargé de palper les nouveaux venus.
Par chance, ils n'avaient emmené aucune arme avec eux en quittant leur navette. Ils se doutaient qu'une vérification de ce genre serait effectuée. Le garde toucha Dicey de la tête aux pieds puis le laissa passer. Il fut surpris lorsque Bergins se présenta à lui car le colosse le dépassait bien d'une bonne tête, et pour un Taeil, cela n'arrivait pas tous les jours avec les Humains. Il palpa timidement le mercenaire avant de lui indiquer la sortie. Quelques secondes plus tard, Shad les avait rejoints dans la salle suivante.
Celle-ci était immense et remplie de bureaux derrière lesquels étaient assis d'autres policiers. Cette partie sembla plus délicate. L'un des agents leur indiqua de venir le voir et le groupe s’exécuta. Seule une chaise pour le policier était présente, et ils durent donc rester debout.
— Alors, commença le garde, un Humain qui avait tout au plus la quarantaine, d'après le rapport, vous venez de Mosmo Era, c'est bien ça ?
— Affirmatif, confirma le pilote.
— On peut savoir ce que vous faisiez sur ce désert ?
L'Humain avait un ton condescendant, et Bergins supputa que son poste, plutôt bas dans la hiérarchie, le poussait à prendre ce ton supérieur avec les voyageurs par complexe.
— Simple voyage diplomatique, déclara Dicey sur un ton calme.
Le policier éclata d'un rire gras en tapant sur son bureau, avant de reprendre sur un ton ferme et un regard menaçant.
— Écoutez-moi bien, nous avons la liste des voyages diplomatiques dans notre base de données...
— Même les voyages officieux ? Coupa le pilote.
— Même ceux-là. Et votre matricule ne figure sur aucune des deux. Donc épargnez-moi vos mensonges et dites moi la vérité, sinon je vous envoie tous en cellule.
Bergins n'avait jamais vu un policier aussi désagréable, et il se demandait même comment ce dernier avait réussi le concours. En temps normal, les policiers galactiques étaient censés avoir une certaine courtoisie.
— Même à Bellnitch, j'avais reçu un meilleur accueil, lui chuchota Dicey, l'air dégoûté par le comportement du garde.
— Passons là-dessus, répondit le colosse, on ne doit pas s'attirer d'ennui. Ne cédons pas à la pression.
Le policier patienta quelques secondes, puis s'exclama.
— Bien, puisque vous n'avez rien à déclarer pour votre défense, il ne me reste plus qu'à...
— Attendez ! Le coupa à nouveau le pilote, pourquoi les nouvelles mesures sont-elles aussi expéditives ?
— Le Conseil veut purger le flux migratoire, expliqua le garde, nous avons pour mission de dissocier les clandestins, les citadins, les rebelles et les criminels. Nous avons reçu des instructions et nous devons y tenir. Et, entre nous, c'est mieux comme ça. Donc, en attendant de savoir dans quelle catégorie vous ranger, vous irez en cellule de quarantaine quelques temps.
Sans donner suite à la discussion, le policier appela ses collègues qui escortèrent le groupe. Bergins sentit les menottes se resserrer autour de ses poignets, sensation extrêmement désagréable pour le colosse, alors qu'ils se dirigeaient vers une porte faiblement éclairée au fond de la salle. Il jeta un regard à ses coéquipiers, indiquant de se laisser faire pour le moment.
Derrière la porte se trouvait un couloir composé de cellules de moyenne taille, un peu plus grandes que celles de Bellnitch, selon le souvenir qu'en avait Bergins. Le groupe fut jeté dans l'une d'elles. A l'intérieur se trouvait trois lits superposés ainsi qu'un lavabo. Les policiers leur retirèrent les menottes puis refermèrent la cellule à clé.
L'un des gardes vit l'expression dépitée de Dicey et lui dit.
— Simple formalité mise en place par le gouvernement. Ce n'est que l'affaire de quelques jours le temps de régulariser votre statut. Si tout est en ordre, vous serez libérés rapidement.
— Si on nous l'avait annoncé dès le départ, pesta le pilote, cela aurait été beaucoup plus rapide.
— C'est ainsi. Mettez-vous à l'aise, cette cellule n'est pas une prison.
Le policier repartit en direction de la salle des bureaux. Dicey s'assit sur le lit le plus bas et se plaigna.
— Niveau confort, c'est tout comme.
— Essayons de saisir l'opportunité de téléphoner à Shenin pour quitter facilement ce trou, s'exclama Bergins.
Shad se dirigea sans un mot vers le lit le plus haut et déclara.
— Je vais terminer ma nuit ici. Toute cette histoire m'a donnée mal au crâne.
— Je vais me coucher aussi, continua Bergins, on réfléchira plus tard à une solution.
Le colosse prit le lit du milieu et s'allongea. Ses jambes dépassaient largement du matelas mais il n'y fit pas attention. Épuisé par son insomnie dans la navette, il s'endormit rapidement.
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