Chapitre 13 - Senteurs putrides (2/3)
Ce que Ben redoutait le plus arriva. Ce qui était habituellement une calme saison des pluies s’était transformée en une véritable tempête, détruisant une bonne partie des cultures sur toute la planète et privant ainsi la communauté et ses clients de ce qui aurait pu être une récolte abondante. Ben avait beau enchainer tous les jours de nombreuses heures sur le terrain à essayer de rattraper les dégâts, ses efforts étaient trop peu récompensés. Selon Willy, la moitié de la superficie de leur culture était gravement endommagée et avait de fortes chances de ne rien donner. Cela agaçait Ben qui comptait sur cette année pour gagner plus d’argent, faire des économies puis investir dans un plus vaste terrain pour augmenter la production dans le futur.
Lorsque le réveil sonna ce matin, l’Humain était déjà réveillé. Le ciel avait craqué toute la nuit et la pluie frappait contre la toiture. De plus, le bruit assourdissant empêchait sa fille de dormir et celle-ci se réveillait à intervalles réguliers, apeurée par le vacarme à l’exterieur. Ben se leva et mit sa combinaison étanche avec une capuche. Il enfila ses bottes et prit la voiture. Il appréhendait de voir l’état de ses champs ce matin. Il ne fut pas surpris. En arrivant sur place, le spectacle était terrible.
La terre était crevassée et de nombreuses pousses avaient été retournées ou noyées. Le champ était devenu un petit lac. En s’approchant, Ben leva les pieds pour éviter d’aggraver le terrain. L’eau lui montait au dessus des chevilles.
Le fermier lança un regard inquiet à Willy, son associé, qui avait l’air aussi dévasté que le champ dans lequel ils se trouvaient.
— Il n’y a rien à faire, dit Willy, on ne peux pas travailler dans ces conditions.
— Après toutes ces années ici, répondit Ben, je n’ai jamais vu un déluge pareil. C’est une première.
Les deux hommes regardèrent leur culture tandis que celle-ci se faisait continuellement marteler par la pluie. Après quelques minutes de silence, Ben se mit enfin à bouger.
— Bon, je vais quand même essayer de rattraper le coup. Je ne peux pas laisser notre unique source de revenu mourir comme ça.
— Tu as raison, s’exclama Willy avec un sourire, essayons d’en sauver le maximum.
Ils reprirent leur poste de travail et continuèrent la même routine, malgré le mauvais temps qui leur donnait du fil à retordre. La pluie continua de tomber pendant toute la journée, ce qui n’aida pas les fermiers. La tâche était rude, et Ben s’impatientait. Il arrêta toutes les machines en début de soirée, alors que l’orage continuait de déchirer le ciel noir.
Willy s’approcha de lui et dit.
— Si l’orage continue de tomber avec cette force, toute nos plantes vont y passer.
— Espérons que cela n’arrive pas, répondit Ben, qui n’était lui-même pas très convaincu par ce qu’il disairt.
Le fermier retourna à son pick-up et commença à ranger ses affaires lorsque son associé l’interpella.
— Tu es courant de la nouvelle ?
— Quelle nouvelle ? Demanda le fermier.
— Le fils de Madame Archdon, expliqua Willy, qui s’était perdue en montagne, a été retrouvé puis emprisonné par le médecin du village. Apparemment, il aurait complètement changé de comportement, au point d’être méconnaissable.
— Quoi ??
Le fils de Madame Archdon était un jeune garçon d’une douzaine d’années prénommé Bill. Ben le connaissait bien. Le garçon l’avait souvent aidé dans les champs. Il était bon et ne ferait pas de mal à une mouche. Pourquoi donc enfermerait-on un enfant ?
— Que lui est-il arrivé ? Demanda Ben, choqué par cette nouvelle.
— Aucune idée, répondit Willy, il a perdu l’usage de la parole depuis son voyage en montagne et serait sujet à des réactions très étranges.
— Où l’ont-ils emmené ?
— Sur la place du village. Il est constamment surveillé, au cas où il deviendrait dangereux.
— Je vais aller y faire un tour, s’exclama Ben, qui ne pouvait se résoudre à croire aux propos de son ami.
L’Humain connaissait l’enfant depuis son plus jeune âge et il imaginait mal ce dernier selon la description qu’en faisait Willy. Il devait aller voir de lui-même.
— Je t’accompagnes, ajouta Willy.
Les deux hommes montèrent dans leur voiture respective après avoir terminé de rassembler leurs affaires et firent la route jusqu’au village, à quelques centaines de kilomètres de là. La pluie cessa à ce moment là. Ils arrivèrent en pleine nuit et seule la lumière des lampadaires, disposés aux quatre coins de la place, diffusait un faisceau rougeâtre qui donnait une atmosphère sanguinaire à la scène.
Une cage avait été posée en plein milieu de la place, entre deux gardes, et, face à elle, le médecin du village marmonnait d’une voix à peine audible quelques formules, les mains jointes devant lui. Madame Archdon était debout près de la cage, en sanglots, et gémissait en fixant l’intérieur de celle-ci, dont un grognement se faisait entendre.
A l’arrivée des deux véhicules, tous se retournèrent vers Ben et Willy, qui s’approchèrent calmement.
— Est-ce-que Bill est toujours à l’intérieur ? Demanda Willy.
A la mention du nom de son fils unique, Madame Archdon poussa un cri étouffé et sanglota de nouveau. Le médecin du village, le docteur Melbrooke, mit les mains derrière son dos et répondit.
— Il y est toujours, du moins, ce qu’il reste de Bill.
Ben s’approcha de la cage, mais la pénombre l’empêchait de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Il ne pouvait entendre qu’un léger grognement et une respiration saccadée.
— Bill ? …
Personne ne répondit. Ben fit quelques pas et sortit une lampe de poche. Le médecin intervint.
— Vous ne devriez pas vous approcher autant, Ben, il pourrait avoir des réactions incontrôlées. Je n’ai pas encore bien réussi à établir ce qu’il avait.
Le fermier ne l’écoutait pas et continuait d’avancer vers la cage.
— Je le connais depuis qu’il sait marcher. Il n’oserait rien me faire.
Ben était tout près de la cage, sans parvenir à voir à l’intérieur, lorsque Madame Archdon cria, pleurant à moitié.
— Je le connais depuis sa naissance et il a failli m’arracher un bras !
L’action fut très rapide. A peine la jeune femme eut-elle finit sa phrase qu’un bras puissant et décharné tenta d’attraper Ben par le col, mais celui-ci se dégagea rapidement et eut un mouvement de recul le faisant tomber à la renverse. Les gardes n’hésitèrent pas une seule seconde et tirèrent sur Bill qui s’effondra.
— Qu’est ce que vous avez fait ? S’exclama Bill qui se releva.
— Nous lui administrons des anesthésiants. C’est la seule manière que nous avons trouvé pour calmer ses excès de violence en attendant d’étudier ses symptômes.
Madame Archdon se mit de nouveau à sangloter. Elle semblait épuisée d’être restée ici toute la journée puis toute la nuit, à pleurer le sort de son fils.
— Racontez-moi ce qu’il s’est passé, lui demanda Ben, comprenant bien qu’il serait difficile pour la jeune femme de conter cette malheureuse histoire, encore fraîche dans son esprit.
— Tout a commencé la semaine dernière, démarra Madame Archdon, j’ai chargé mon fils d’aller le chercher un type de fleur particulier au coeur de la montagne : Le chanvre doré. Ce n’était pas la première fois qu’il effectuait cette mission, et il n’avait jamais eu de souci auparavant. Mais cette fois-ci, continua-t-elle, il n’était toujours pas revenu après six jours, alors que le voyage habituel ne lui en prenait que quatre d’habitude. J’ai donc commencé à m’inquiéter, car il devait sûrement avoir des ennuis. Mais c’est un brave garçon, il arrive toujours à se sortir du pétrin. Je l’ai élevé pour être un débrouillard. Et il est revenu ! Mais pas tout à fait comme il était parti. Il n’avait pas ramené le chanvre doré mais avait amené pire que ça.
Madame Archdon prit la lampe torche des mains de Ben puis l’alluma en direction de la cage. Le fermier eut alors une vision d’horreur. Il mit sa main devant la bouche afin de se retenir de crier.
Ce qui était auparavant un petit garçon bien vivant et souriant s’était bien maintenant transformé en une créature abominable. Son corps était en grande partie déchainé. Ses os étaient même visibles à certains endroits. Son oeil gauche était entièrement blanc tandis que le droit était sombre et profond. Son nez avait été à moitié rongé. Une crevasse figurait à la place de l’os. Ses ongles étaient devenus des griffes et ses dents, des crocs. Ses vêtements étaient en lambeaux et ses chaussures ne ressemblaient qu’à deux morceaux de cuir entourant des pieds bouffis et vérolés.
L’enfant retroussait ses lèvres et le faible grognement que Ben entendait depuis le début se fit plus fort. Il était accroupi au fond de la cage et se cachait de la lumière qui l’éblouissait. Bill était devenu complètement méconnaissable et Ben fut choqué. Madame Archdon éteignit la lampe et la rendit au fermier.
— Qu’est-ce qui a bien pu causer ça ? Demanda Ben, c’est effroyable.
— C’est bien ça la question, expliqua le docteur, il n’est arrivé seulement qu’hier soir, je n’ai donc pas eu le temps de bien étudier ses symptômes, mais c’est le premier cas de ce type que je rencontre, même en ayant travaillé à Saon. Alors qu’à la capitale, je peux vous dire que c’est fréquent les pathologies inhabituelles.
Un sanglot éclata. Madame Archdon avait recommencé à pleurer sur le sort de son fils. Ben lui mit une main sur l’épaule et tenta de la réconforter.
— Madame, je suis vraiment navré pour ce qui est en train de se passer pour votre fils. C’était un brave garçon en qui j’avais beaucoup de confiance.
— Il vous appréciait beaucoup également, dit la jeune femme, en séchant ses larmes. Mon mari est décédé peu après sa naissance et il vous a toujours considéré comme un second père. Je vous suis très reconnaissante d’avoir longtemps veillé sur lui.
— Ce n’est rien. J’ai confiance en les capacités du docteur Melbrooke. Bill sera rapidement rétabli.
— J’aimerais vous croire.
Madame Archdon baissa la tête et la mit entre ses mains. Willy, qui était resté en retrait car il avait déjà vu l’apparence de l’enfant la veille, restait toujours choqué par l’événement. Le docteur Melbrooke se tourna ensuite vers les deux fermiers.
— Vous devriez rentrer vous reposer. Avec les récents orages, vous travaillez plus dur que d’habitude afin de vous garantir une bonne récolte cette année. Nous allons rester ici pour veiller sur lui.
Ben jeta un coup d’oeil vers la cage qui était devenue silencieuse. Seule la forte respiration saccadée de Bill résonnait dans la nuit.
— J’aimerais tellement pouvoir l’aider, dit le fermier.
— Vous en faites déjà beaucoup pour nous tous, répondit le médecin, en ce qui concerne le jeune Bill, faîtes moi confiance. La médecine est mon domaine.
Ben acquiesça puis retourna à son pick-up. Il salua Willy d’une bonne poignée de main puis reprit la route jusqu’à sa maison, non loin de là. La nuit avait déjà bien commencé, sa femme et sa fille devait donc sûrement dormir à poings fermés. Aussi le fermier rentra discrètement dans la maison, grignota un morceau puis alla se coucher. Mais cette nouvelle l’empêchait de fermer l’oeil. Il était vraiment curieux de connaître le fin mot de l’histoire. Que s’était-il passé dans cette montagne ? Qu’était-il arrivé au pauvre Bill ? De nombreuses hypothèses filaient dans son esprit mais aucune ne semblait plausible… Sauf les plus horribles et les plus improbables.
Annotations
Versions