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Il s’est écoulé six mois depuis que Capucine a rencontré Romain. Depuis peu, ils parlent de fantasmes différents. Parfois, de son côté, elle donne des rendez-vous éphémères à d’autres hommes. Elle aimerait beaucoup en rencontrer un en compagnie de son amant. Depuis qu’elle a appris que Blanche et une autre amante de Romain avaient passé la soirée à attendre que plusieurs hommes défilent dans l’appartement pour se faire sucer par elles, la curiosité de Capucine pour ce genre d’expérience se développe. Il y a peut-être aussi une affaire de concurrence, cette fois : elle veut être aussi fun que les autres. Romain propose donc une soirée où elle aurait elle aussi les yeux bandés pour se faire prendre par un autre. Ce n’est pas vraiment le partage à trois que la jeune femme imaginait, mais elle accepte quand même.
Ils trouvent rapidement un candidat sur internet. Lorsqu’il arrive, elle attend sagement dans la chambre, un tissu sur les yeux. Tout se déroule bien jusqu’à ce que, poussée par la curiosité, elle retire le bandeau. Le pauvre garçon, qui ne s’y attendait pas, débande. Capucine a l’impression qu’en le regardant, elle vient de lui montrer son humanité, de perdre son statut d’objet prêté. C’était donc pour cette raison que Romain voulait qu’elle ait les yeux bandés ?
Au lieu de rester sur cet incident, elle propose de recommencer, sans enlever le bandeau cette fois. Et elle voudrait que plusieurs hommes viennent à la suite. Alors Romain décide qu’elle ne saura pas combien d’hommes seront conviés. Ils seront là chacun pour le temps qu’il aura choisi, et ils ne se croiseront pas.
Le premier sent fort la transpiration, et elle n’aime pas le contact de ses poils de torse sur sa poitrine. Le deuxième souffle comme un vieux monsieur, elle se demande bien quel âge il peut avoir. Le troisième – et dernier – détonne. Il l’embrasse tendrement, la caresse avec douceur, et elle se dit en touchant son visage et son corps qu’il doit être beau. Il y a quelque chose de particulièrement déroutant à se faire baiser de manière si différentes par ces hommes à la suite. Elle ne regrette pas l’expérience, mais une pensée ne la quitte pas : « à quoi bon ? »
Elle sait qu’au fond elle fait tout ça pour coller à l’image de perverse que Romain veut avoir d’elle, mais tout ça la lasse. Elle rêve de plus de moments simples avec lui, comme lorsqu’ils regardent des films ensemble, ou quand ils vont voir des spectacles. Elle aime être à son bras en extérieur, prendre des bains avec lui, ou tout bêtement les moments où ils mangent ensemble. Une fois, elle lui a préparé en risotto en beaucoup trop grande quantité. Il en a eu pour plusieurs jours, il n’en pouvait plus. Cette idée la fait rire.
Alors que Capucine voudrait être plus proche de Romain, une nouvelle péripétie les sépare davantage. Elle tombe malade, gravement. Elle atterrit à l’hôpital à cause d’une méningite bactérienne. La douleur à la tête est atroce, elle ne supporte plus la lumière. Elle se sent tellement faible qu’elle ne peut plus s’assoir, et pourtant elle doit rester dans cette position pour la ponction lombaire. La sensation est horrible. Pendant dix jours, elle reste alitée, seule. Romain lui envoie à peine un message lui souhaitant un bon rétablissement. Alors elle zone sur les sites de rencontres, discute avec un peintre qui veut venir la rencontrer à l’hôpital. L’incongruité de la proposition et la solitude la poussent à accepter. Il lui amène un livre et lui caresse gentiment la main. C’est très étrange, mais ça lui fait du bien.
Ce repos forcé désespère Capucine. Elle a l’impression que Romain l’abandonne. Un inconnu lui a rendu visite alors que lui ne s’intéresse presque pas à ce qui lui arrive. Elle se dit qu’il doit être suffisamment occupé avec ses autres amantes. Elles sont interchangeables, probablement. Ces pensées noires ne l’empêchent pas de ressentir un sentiment de manque insupportable. Lorsqu’elle rentre chez elle, toujours affaiblie, elle lui propose de le revoir. Elle ne peut pas s’empêcher de lui pardonner son silence. Il paraît sincèrement heureux de la retrouver.
Malgré l’incident avec Hélène, ils se rejoignent à nouveau tous les trois chez Romain. Ils s’amusent dans la chambre, chacun faisant bien attention à ce que personne ne soit délaissé. Au début, Romain est au centre de l’attention des deux jeunes femmes. Elles le caressent, l’embrassent à tour de rôle, le sucent en chœur. Elles s’embrassent tout en léchant le sexe de leur amant. Pour Capucine, ces instants font partie des meilleurs moments dans la vie. Elle sent l’excitation monter, monter.
Lorsque Hélène et Romain se concertent en catimini pour attacher Capucine au lit, elle est délicieusement surprise. Ils lui bandent les yeux, puis la pénètrent avec un gode. Elle croit deviner au changement de rythme et d’intensité qui dirige le jouer. Il lui semble que les gestes les plus fermes proviennent de Romain, tandis que les lents va-et-vient avec un mouvement circulaire sont produits par Hélène. Mais peut-être qu’elle se trompe… Tout le sel de la situation réside dans le fait de ne pas savoir. Le cœur de Capucine s’emballe tandis qu’elle sent de petites mains douces lui caresser les seins et le corps de son amant prendre place au-dessus d’elle. Il la pénètre doucement, en faisant de petits cercles, puis la mène à l’orgasme.
Satisfaits, les doux bourreaux détachent leur proie, puis Romain prend Hélène. Capucine aime placer sa main au niveau de la pénétration. Elle sent l’humidité de sa camarade, dont elle stimule le clitoris. Elle laisse ensuite sa main se promener sous les bourses de Romain, qui semble sur le point de jouir. Il ne tarde pas à éjaculer.
Après leurs ébats, les trois complices se reposent et discutent tranquillement en fumant des cigarettes. Chacun évoque son moment préféré pendant la session qui vient de se produire. Hélène parle de Jérôme, son autre amant, un homme de la quarantaine, lui aussi. Celui avec qui elle a perdu sa virginité. Elle montre des photos, raconte leurs disputes récurrentes, leur tendresse mutuelle malgré tout. Il est important pour elle, ça se sent.
Quand le trio se couche dans le lit de Romain, Capucine est fatiguée. Elle s’endort vite, mais quelques heures ou quelques minutes plus tard, elle ne saurait dire, elle est réveillée par un gémissement. Elle ouvre les yeux en grand dans le noir, toute ouïe. Au lieu de l’exciter, ce bruit la paralyse. Un sentiment de trahison grandit en elle. Ils profitent l’un de l’autre sans elle, alors qu’elle est juste à côté. Pendant un temps qui lui semble incroyablement long, elle écoute Hélène et Romain. Leur respiration rapide, leurs soupirs. Elle les sent remuer. C’est tellement insupportable que Capucine se lève pour aller dormir dans le salon. Cependant, Romain la retient. Il la force à parler. Elle exprime maladroitement son dégoût, son besoin de sortir de la pièce, mais il la prend dans ses bras. Il promet de ne plus recommencer.
Et, quelques semaines plus tard, quand il lui présente Louise, une fille avec qui il a discuté sur un site de rencontres, il brise sa promesse. La soirée se déroule pourtant très bien, avant ce deuxième incident nocturne. Louise est intéressante, elle s’exprime d’une façon particulièrement soignée, qui lui donne l’air plus âgée qu’elle n’est. En ce moment, elle écrit un roman. Elle y raconte l’histoire compliquée qu’elle a eu avec un professeur, quand elle était plus jeune. Capucine pense à la chanson d’Hélène. Décidément, les filles que rencontrent Romain sont toutes dangereusement attirées par les hommes plus vieux qu’elles.
Le temps passe, ils font l’amour, s’endorment, et quand Capucine est encore une fois réveillée par un petit couinement, elle croit halluciner. Elle bondit du lit, et ne laisse pas Romain la suivre. Elle ne trouve pas le sommeil malgré son exil sur le canapé, Même si elle ne les entend pas, son imagination la torture. Elle ne parvient pas à trouver la moindre excuse à son amant. Il sait qu’elle l’aime passionnément, et voilà comment il la traite. Elle se rappelle l’hôpital.
Le lendemain, Louise s’en va tôt. Capucine et Romain se regardent en chiens de faïence, puis une dispute éclate. Il minimise ses actes, lui dit qu’il veut de la légèreté. Elle entend « laisse-moi faire ce que je veux ». Il lui dit qu’elle est « compliquée ». Tiens, c’est ce qu’il disait d’Hélène. Peut-être qu’elle aussi a des sentiments pour lui ? C’est donc ça être compliquée à ses yeux ? Ou est-ce juste le fait de ne pas se plier au moindre de ses désirs ?
Capucine rentre chez elle. Les jours suivants, elle veut prendre ses distances, mais n’y parvient pas. Comme après la méningite, il lui manque trop. Désormais, sa relation avec Romain la fait plus souvent souffrir qu’elle ne l’enchante. Ses trahisons, sa façon de vouloir que tout tourne autour de lui, son goût pour les jeunes filles. Tout est gâché par ces travers malsains, mais elle reste incapable de le quitter.
Et puis un jour, une drôle de coïncidence vient précipiter les choses. Capucine croise Jérôme, l’autre amant d’Hélène, sur un site de rencontres. Quand elle le raconte à Romain, celui-ci la met en garde immédiatement :
« Surtout, ne le rencontre pas. Tu sais comment ça va finir. En drama. Tu blesserais Hélène, et moi par la même occasion. Et puis tu as entendu leurs histoires, il n’a pas l’air d’être l’homme le plus stable du monde. »
Comme lorsqu’il ne voulait pas qu’elle voie Hélène seule, Capucine s’indigne que cet homme qui fait toujours ce qu’il désire l’empêche de rencontrer quelqu’un. Alors elle brave l’interdit, commettant ainsi à son tour une trahison, impardonnable pour Hélène et Romain. Le mal est fait. Il ne veut plus la voir. Au début, elle se répand en excuses, le supplie d’accepter un dernier rendez-vous, ne serait-ce que pour parler. Mais il refuse. Jamais il ne cède. Alors Capucine finit par accepter, et commence alors pour elle un véritable processus de guérison. Elle a vécu avec lui tellement d’émotions fortes qu’elle doit réapprendre à savourer les petits plaisirs simples de la vie, ceux qu’elle désirait tant partager davantage avec lui. Trois années plus tard, elle finit par y arriver et par se marier avec un homme de son âge, rencontré dans la vraie vie. Une relation-cocon, à laquelle elle n’a rien à reprocher. Cependant, jamais elle n’oubliera sa relation avec Romain, une passion partie en fumée comme une cigarette.
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