Prix à payer partie 1/9
Ombre errait à l'étage de la bibliothèque, dont elle connaissait le contenu par cœur. Elle ne tolérait plus sa chambre, où la dragonienne devait s'enfermer des journées entières. Son Seigneur et la famille de ce dernier négociaient l'union à venir entre Xévastre et Vorn. La jeune affranchie se demandait parfois pourquoi ils s'acharnaient à lier leurs familles.
Elle comprenait les raisons d'argent. Mais cela condamnait son Seigneur à une existence malheureuse et malhonnête. Il ne prenait aucun plaisir à la proximité de la Demoiselle Isa, et se résignait tout de même à l'épouser. Ombre cherchait encore une loi permettant de rendre ce mariage caduque.
Toute à ses réflexions, elle frémit en entendant les pas de trois personnes la suivre. À Vorn, elle ne jouissait d'aucun droit, si ce n'était de garder le silence et la tête basse. Elle reconnut avec effroi la voix enchanteresse de l'héritière, et l'odeur de deux gardes dragoniens.
- Ôte toi de mon chemin, créature, ordonna cette dernière avec mépris.
Ombre s’exécuta, le regard bas, en soupirant un inintelligible "oui". Pourtant, cela suffit à tout déclencher. Isa l'entendit. À hauteur de la dragonienne, la noble la toisa en jubilant. Comme toujours, elle dégageait une prestance époustouflante.
- Comment oses-tu prendre la parole sans permission, animal ? s'indigna-t-elle.
La dragonienne rentra la tête dans les épaules, et pinça les lèvres, en rentrant la tête dans les épaules. Elle venait de fauter. Devant Isa. Les deux esclaves qui suivaient la Demoiselle sentirent la peur de leur consœur. Elle savait qu'ils entendaient son cœur battre plus fort. L'ordre claqua.
- Suis-moi.
Préférant limiter les conséquences de son insubordination, Ombre obéit, tête basse, le regard au sol. Elle supposa qu'elle porterait bientôt les marques du fouet, semblables à celles des esclaves de Vorn. Par chance, les dragoniens souffraient moins de la douleur que les humains grâce à la solidité de leurs écailles, et à l'épaisseur de leur cuir. De plus, par l'entremise de ses excursions dans le passé, l'affranchie connaissait quelques astuces pour mieux supporter les tourments à venir. Sa correction terminée, elle pourrait rejoindre son Seigneur. Pourtant, quelque chose l'alarmait. Elle ignorait la raison de cette angoisse sourde, ce qui ne l'assistait en rien.
Le groupe rejoignit l'escalier central, sans un mot. Isa exultait, et se tournait parfois vers l'ignoble créature que son promis aimait tant, guettant une erreur de plus. En presque quinze ans, il s'agissait du premier faux-pas de la petite rousse.
Ils descendirent jusqu'aux portes des souterrains, menant au lieu de vie des dragoniens de Vorn. Ombre s'interrogea sur ce chemin. Les humains évitaient comme la peste ces lieux mal éclairés et humides, où leur autorité s’achevait au bas des escaliers glissants. Pourtant, ils descendirent. Les deux gardes écailleux se rapprochèrent l'un de l'autre. Les souterrains appartenaient à Soif, et il y régnait sans partage. De plus, au cours du séjour de la dragonienne en ces lieux sinistres, il avait clairement montré son attachement envers Ombre. L'écailleuse pressentait que malgré les six années écoulées, les gardes derrière elle n'en avaient rien oublié.
Au premier corridor, Isa tâta quelques briques récentes, et d'un geste ordonna à ses esclaves de faire pivoter la porte dérobée. Ombre frémit. Elle ignorait l’existence de ce passage, et se demandait combien de personnes en avaient connaissance. L'odeur de renfermé écrasait tout. Nerveuse, elle y suivit la Demoiselle, et les deux gardes tournèrent les talons.
L'inquiétude d'Ombre allait croissante. Que la Demoiselle Isa bénéficie d'un lieu secret l'apeurait. Elles abordèrent une pente montante, ponctuée de détours, rappelant un escalier en vis. À l'odeur d'humidité et de renfermé s'ajouta autre chose. Des substances chimiques, dont Ombre ignorait l'existence et l'utilité. Il planait en ces lieux un silence oppressant. Nul rongeur ne s'y aventurait. Aucun insecte ne s'y risquait, certainement chassés par le remugle.
À la fin de l'ascension, toujours enfermées dans des couloirs sombres éclairés par des torches, un duo de dragoniens guettaient leur arrivée. Nus. Ombre tressaillit, guère habituée à cette vision.Ils se ressemblaient, mais n'odoraient pas comme des frères. De nombreux dragoniens bénéficiaient d'une haute et solide stature, il en allait de même pour eux deux. Pourtant, ils craignaient sensiblement Isa, conservaient une certaine distance avec l'humaine. lls observèrent leur consœur dragonienne avec une concupiscence malsaine et carnassière. Obéissant au geste de l'humaine, ils emboîtèrent le pas des deux femmes.
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