Un gémissement étouffé lui échappa tandis que son tortionnaire la poussait du bout du pied. Le mouvement réveillait toutes les affres. Cette réaction incita le second dragonien à frapper plus fort, les griffes des pieds sorties. Ombre reçut le coup sous les côtes, et abandonna toute idée de résistance. Ils la rouèrent. Puis les trois écailleux entendirent une nouvelle personne arriver.

 L'arrivant toisa les deux dragoniens devant la petite consœur écorchée. L'odeur du sang frais écrasant le reste le sommait de se rouler dans l'imposante flaque. Résistant à l'envie, il hérissa ses écailles pour se rendre imposant. Profitant de la surprise des deux esclaves, Soif avança avec un sourire carnassier, et déploya ses ailes sans membrane . Les deux faibles ne surent comment réagir, et s'éloignèrent de leur proie en reculant, se rapprochant l'un de l'autre.

 Acculés malgré leur supériorité numérique, les deux dragoniens se permirent de montrer les crocs à Soif. Ce dernier prit le temps de les toiser. Il commençait à comprendre. Ces deux-là avaient plus ou moins quatre cents ans, des cheveux bruns comme lui et des physiques plaisants pour les humains. Ses maîtres de la surface, arrachaient de temps à autres certains de ses enfants à leurs mères, pour ne jamais les ramener. Soif venait de trouver deux d'entre eux. Deux de ses enfants élevés à part, subissant une éducation différente de ce qui se faisait habituellement à Vorn. Il ne s'intéressait guère à cela. Ils s'interposaient dans ses plans, ne le reconnaissaient pas comme leur parent et osaient se montrer menaçants. Sentant que les deux qu'il intimidait ne tenteraient rien, trop indécis pour cela, il s'approcha de la dragonienne en sang.

 Ombre haleta de peur tandis que le nouvel arrivant approchait. Ce n'est que lorsqu'il se pencha pour se mettre à sa hauteur qu'elle reconnut Soif, et le supplia dans un murmure :

- Aide-moi...

 Son sauveur préféra s'intéresser à ses blessures. Curieux, il penchait la tête à mesure que son regard suivait les coulures sanglantes sur ce corps écorché. Des lambeaux de peau traînaient au sol.

 Soif trouvait tentante l'idée de nettoyer ces blessures, mais cela laisserait une trace visible de son passage. De plus, un détail piquait sa curiosité. Il ne flairait aucune trace de sang corrompu par la gangrène. Toutefois, il pouvait faire une chose.

- Soif ? proposa-t-il.

- Oui... croassa Ombre.

 Le dragonien obéit, et permit à la suppliciée d'apaiser sa soif, à défaut de sa faim. Pendant ce temps, il observa les alentours. Les deux esclaves qu'il venait de chasser s'éclipsaient, rejoignant sept autres écailleux. Le dragonien guetta une sortie en nombre, sans que rien ne se passe. Quand Ombre se détourna du filet d'eau qu'il invoquait, il cessa et, évitant de marcher dans le sang, vint voir ses fils. Il n'en doutait plus, les neuf étaient de son sang. Et non contents de s'immiscer dans ses projets, ils occupaient un territoire difficile d'accès aux humains que ses soumis pouvaient investir, afin de grossir leurs rangs.

 Soif poussa la porte du pied, et observa. Dans la pièce nue, les neufs dragoniens, éloignés les uns des autres, le détaillaient sans savoir que faire. Avec un sourire de prédateur, il invoqua une grande sphère d'eau. Fascinés et terrifiés, ils réagirent à peine à l'apparition aqueuse. Ils se contentèrent de la fixer. Le mage retint l'emplacement des deux tortionnaires du jour afin de les épargner. Un premier filet s'échappa de sa sphère, s'étira jusqu'à une première victime et l'engloba. Avec un rictus, Soif fracassa sa victime contre le plafond, et réitéra jusqu'à la mort de ce fils, sans que les frères de ce dernier ne réagissent. Statufiés, ils se limitaient à contempler cette démonstration de force.

 Délaissant la masse sanguinolente, le sorcier noya le suivant. Tout en guettant l’arrêt du cœur de ce petit issu de son sang, Soif s’assura que leur entourage demeurait paralysé par la peur. La mort survenue, il se divertit en trouvant cinq autres façons de tuer ces enfants dont il n'avait cure. Les deux survivants geignirent comme des animaux quand il prit le temps de les toiser. Par la suite, Soif s'en désintéressa, ouvrit les corps et en extraya les foies. Ses favorites et descendants allaient trépigner de joie face à ce festin.

 Satisfait, il retourna auprès des siens, non sans marquer de son odeur le chemin, se frottant à chaque angle de mur qu'il trouva, délaissant Ombre à sa situation.

 Cette dernière tenta de le rappeler, de le convaincre au moins de la libérer. En vain, il fit la sourde oreille. Qui d'autre que lui pouvait la sortir des griffes d'Isa ? L'écailleuse avait ouï le bruit de masses lancées avec violence heurtant la pierre, de chairs se rompant et d'os éclatant sous la force des impacts et des déchirures. Tout ceci sonnait comme autant de rappels de ses douleurs et de sa situation sans espoir. Quand bien même son Seigneur la ferait chercher, qui pourrait trouver les passages secrets ?