Conséquences 4/7
Obtèr changea régulièrement de jambe d’appui, tandis que Soif cajolait distraitement Ombre. Une vingtaine de minutes plus tard, une dragonienne se faufila jusqu’à eux. Le soldat l’identifia comme dédiée à déplacer les sièges lors de grands repas, et ne lui connaissait aucune autre utilité. Soif s’illumina en la voyant, et alla jusqu’à ronronner.
L’inconnue se crispa en remarquant les deux étrangers, et avança avec méfiance jusqu’à Obtèr, les écailles hérissées. Elle dessina une large spirale pour l’atteindre, et lui offrit du bout des doigts une sphère de verre pétrie de magie. Le soldat n’osait y croire. Pouvait-il s’agir d’une sphère de souvenirs ? Même pour les premiers arrivés, ce type de sort demandait autant de puissance que d’entraînement. Et voilà qu’une dragonienne de Vorn lui en confiait une. La tireuse de chaises se recula de quelques pas en direction de Soif, et fit mine d’écraser la sphère avec lenteur sur son front. Obtèr voulut obéir à l’instant, mais la mage l’en dissuada d’un feulement. Elle pointa l’Est du doigt, et dessina un demi-cercle passant d’Est en Ouest. Puis lui montra quatre doigts. Le dragonien plissa les yeux.
- Je dois attendre quatre jours ?
L’entendre s’exprimer comme un humain apeura la dragonienne, qui courut se réfugier derrière Soif. Cette fuite amusa ce dernier, et il se retourna pour la couver du regard. Il communiqua d’une main, quelques temps, avant de se retourner vers Obtèr et de répéter les mêmes signes. De nouveau un esclave lui dessinait un demi-cercle passant d’Est en Ouest, et on lui montra quatre doigts. Cette fois il acquiesça. Satisfait, Soif repoussa Ombre avec douceur et fermeté. Cette dernière rejoignit son père en séchant ses larmes, puis le guida vers de nouveaux passages secrets.
Pour la première fois depuis vingt-quatre heures, l’affranchie sentit la faim et la soif lui tenailler le ventre et la gorge. Un détour par les cuisines ou les réserves la tentait, mais les risques étaient bien trop grands. Elle rejoignit directement sa tente de convalescence, où l’attendaient un apprenti soigneur, son Seigneur et le sieur Xavier. Elle avait remarqué trois chevaux de Xévastre déjà sellés auprès de la tente, et sut qu’elle partirait d’ici peu. Xavier réveilla ses comparses, et reprocha :
- Je craignais le pire, Ombre. Es-tu en mesure de chevaucher ?
- Oui.
- Mangez, tous les deux, recommanda sèchement Xavier, et retournez à Gué-des-Âtres.
Ombre obtempéra, et remarqua son propre manque d’appétit. En contrepartie, elle vida plusieurs gourdes. Pendant qu’elle et son père se sustentaient, Gérald lui partagea ses craintes et ses espoirs la concernant. Il voulait tout connaître de ce qu’elle venait de subir, lui offrir son épaule et ses bras pour pleurer, et désirait toujours se venger, ce qui agaça son aîné.
- Tais-toi, Gérald, soupira-t-il finalement. Tu te vengeras quand cette monstresse t’auras donné un héritier, pas avant. Hubert, vous transmettrez cette missive à mon père.
Le dragonien se saisit de l’épaisse enveloppe cachetée. Il ne pourrait pas l’ouvrir, il le savait, faute d’équipement. Xavier leur présenta l’apprenti soigneur qui veillerait sur la santé d’Ombre, et les trois sortirent.
Ombre se sentit rassurée une fois sur sa jument. Une fois en selle, elle flatta l’encolure d’Astuce, qui tourna la tête pour l’observer de biais. D’un court sifflement, la dragonienne prévint l’équidé qu’elle comptait engager une vive galopade à la première occasion.
Obtèr prit la tête du trio, le guérisseur ferma la marche. Tous trois quittèrent le campement au pas, puis échauffèrent leurs montures au trot. Une fois certaine que sa jument supporterait la folle allure qu’elle comptait lui imposer, Ombre la talonna, et n’eut de cesse de la pousser en avant. Ses deux accompagnateurs galopèrent à leur suite, tandis qu’elle se laissait griser par la vitesse, le vent sifflant à ses oreilles, esquivant les branches à sa hauteur et volant par-dessus les obstacles forestiers sur son chemin.
Le retour à cette symbiose avec sa jument détendit la dragonienne. Pendant un temps, elle oublia tout. Seules comptaient les sensations qu’elle éprouvait. Le rythme régulier des sabots d’Astuce sur le sol irrégulier de la forêt au nord du château de Vorn. Les sentiers et les clairières se succédant à vive allure. Les petits ravins par-dessus lesquels le cheval et sa cavalière volaient. Les ruisseaux traversés sans ralentir. Les animaux effrayés par cette charge inattendue.
Consciente de devoir économiser les forces de sa jument, Ombre la remit tranquillement au trot, puis au pas. Sa jument de onze ans s’y plia. Elle s’assagissait avec l’âge, et le remarquer amusa l’écailleuse. Heureuse et détendue, elle sortit des bois au pas, encadrée de son père et du jeune soigneur. Leurs chevaux, plus chargés, écumaient. Elle espéra qu’ils supporteraient une seconde galopade dans l’après-midi.
Leurs deux semaines de voyage vers leur foyer se déroulèrent sans encombres. Ombre demeurait fidèle à elle-même et ne pipa mot. Obtèr et le soigneur le temps extrêmement long. Ils ne parvenaient pas à mener de longues conversations.
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