Isolement 1/4
Ombre se prostra au sol, tandis que le passé investissait de nouveau son esprit. Son cœur battait comme jamais auparavant, ses oreilles sifflaient. Son souffle se bloqua. Elle ne pouvait plus respirer. Une part de son esprit comprit que quelqu’un l’asseyait de force, et achevait de lui retirer son armure. Cette armure même qui la protégeait des coups, qui l’étouffait. Submergée, la dragonienne rugit.
De nouveau, elle émit des sons dont elle avait ignoré l’existence jusque-là. Elle y exprima toute sa détresse, l’horreur qui la hantait, son désespoir. L’écho résonna longuement, aussi bien dans la cour et les alentours que dans son esprit. Mais cela ne suffit pas. Isa gémissait toujours de plaisir derrière elle. Les esclaves l’observaient toujours avec concupiscence. L’odeur de vinaigre persistait, toujours.
À travers sa terreur, elle perçut quelques étrangetés dans la cour. Plus personne ne se tenait debout. Tous étaient renversés au sol, les mains sur les oreilles.
Quelques minutes plus tard, Obtèr l’approcha à pas lents, afin de ne pas la brusquer. Ses victimes assourdies se redressaient, encore sonnées par la puissance de son cri. Ombre savait qu’elle venait de tous les sonner. Et cela lui importait peu. Elle ne désirait qu’une chose, que cessent ses réminiscences. Que périssent ses souvenirs, que ce passé s’efface à tout jamais.
Son père la prit dans ses bras, et lui caressa le dos avec douceur. À travers le sifflement de ses oreilles, elle entendit son maître d’armes les rejoindre, et perçut sa colère dans la démarche. Toutefois, en présence du garde dragonien, il s’abstint de tout geste malavisé. Il avait déjà perdu quelques doigts de cette manière.
Obtèr attendit que sa fille se remette de ses émotions, montrant les crocs à quiconque approchait de trop près. Une fois qu’il l’estima en mesure de supporter les remontrances des humains, et des dragoniens présents, il l’aida à se redresser, et resta à ses côtés pour la soutenir, d’une manière ou d’une autre.
- Je refuse de t’entraîner dans ces conditions, la fustigea enfin l’humain, furieux. Soit tu te reprends maintenant, et tu ne recommences jamais ça. Soit tu quitte le terrain d’entraînement.
- Je ne peux pas… souffla Ombre, dépassée.
- Alors que fais-tu encore là ?
- Elle m’a violée… lâcha la dragonienne du bout des crocs, hantée.
- Comme si une femme pouvait violer. Va te remettre les idées en place dans ta chambre. Et sache que le comte entendra parler de ça.
Le maître d’armes désigna la cour d’un geste du bras. Les personnes récemment assommées par le rugissement de dressèrn foudroyaient Ombre du regard, sans que cela ne l’émeuve. Une part d’elle-même se gargarisait que sa part draconique s’affirme. Et le comte ne pouvait que se montrer compréhensif. De plus, il ne pouvait plus se passer de ses services. Sa réaction ne l’inquiétait pas. En revanche, sa propre incapacité à gérer ses émotions l’angoissait. Comment pourrait-elle continuer à servir ses maîtres, si elle s’affaiblissait ainsi, si l’impotence la gagnait ?
Elle se laissa conduire par Obtèr jusqu’à la salle d’armes, où il l’aida à remettre des vêtements civils.
- Qu’est-ce qui t’es arrivé ? S’enquit-il d’une voix douce.
La petite rousse n’osa pas répondre. Elle se sentait honteuse. Il lui fallut quelques minutes avant de répondre à mi-voix. Obtèr ne pouvait se permettre de déserter son poste trop longtemps. On lui avait demandé d’enquêter sur ce son qui venait de jeter à terre une bonne partie du château, et de revenir à sa place rapidement. Savoir sa fille au plus mal le déchirait.
Ils furent contraints de se séparer, et la dragonienne erra dans les appartements de son seigneur. Son isolement l’insupportait. Deux heures plus tard, elle sut qu’elle ne pouvait reprendre son quotidien au château dans l’immédiat. Il lui fallait plus de temps. Et l’impossibilité de trouver une oreille attentive ne l’aidait en rien. Au contraire, cela s’ajoutait à son fardeau.
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