Voyage 5/6
De son point de vue, sa capacité appartenait au domaine magique. De nouveau, le futur comte balaya ses dires d’un geste.
- Ombre, va assister les palefreniers. Nous devons délibérer.
La dragonienne éprouva une violente vague de colère, qu’elle parvint à dissimuler. Elle s’inclina, et obéit. Que préparait maître Xavier ? Il lui fallait attendre la nuit. Ou parvenir à arracher des informations à son seigneur Gérald.
La rousse pressentait la félonie. Mais pour quelle raison ? Aurait-elle surestimé sa valeur ? Elle ne pouvait que spéculer dans le vide, faute d’informations. Ombre n’en cherchait pas moins à comprendre. Les mâchoires serrées, tandis qu’elle aidait les palefreniers à préparer des ballots de foin conséquents et transportables, la dragonienne réfléchissait. Puis un détail lui sembla suspect.
En règle générale, les comtes ne recevaient pas autant de doléances écrites à cette période de l’année. Parmi ces lettres, pourrait-elle trouver la réponse ? Empressée de percer leur secret, elle commit diverses erreurs, et gloussa sottement lorsque les serviteurs la prièrent de cesser toute activité.
De retour à la salle où l’héritier s’était penché sur son courrier la veille, Ombre fouilla dans les tiroirs et les coffres de la pièce, ignorant que chercher. Grâce au système de rangement du futur comte, elle mit la main sur un ensemble de lettres issues de la noblesse, reçues récemment.
Un sceau particulier attira son attention, le sabre cavalier du duc d’Uvhnerr. Ombre consultat l’offre d’alliance pour contribuer à l’anéantissement de la royauté, et ce en échange d’une limitation des aspirations de Xévastre, et bien entendu de quelques sacrifices en signe de bonne foi.
Ombre foudroya le poêle du regard, maudissant l’habitude de Xavier à brûler chacun de ses brouillons et de ses buvards. Ce devait être lié. Il ne pouvait s’agir d’une coïncidence. Comment pourrait-il refuser l’assistance de l’un des duchés les plus puissants ? Et le duc intimait l’excecution des mages connus, dont Ombre, pour de sinistres questions d’honneur.
Révulsée, la dragonienne se redressa, puis sentit la présence d’un témoin. Avec lenteur, elle se tourna vers Obtèr.
- Que fais-tu ? S’enquit-il.
- Je découvre que maître Xavier ne vaut guère mieux que Kassia, grimaça l’espionne.
Le garde changea nerveusement de pied d’appui, avant de grogner :
- C’est vrai que tu sais tout…
- Pas tout, hélas. Être considérée comme quantité négligeable me fatigue. J’espère me tromper…
- Tu… veux m’en parler ?
Ombre hésita. Si même Xavier pouvait la trahir, qu’en était-il du reste du monde ? Il ne manquerait plus que son seigneur se retourne contre elle… cette possibilité lui broya la gorge. Devoir retourner à Vorn ne suffisait pas. Il fallait de plus que l’une des personnes qu’elle appréciait le plus, la trahisse. À quoi bon se montrer fidèle et loyale envers ces humains, prêts à la sacrifier pour une cause qui ne la concernait pas ? Humains, dragoniens, au fond il s’agissait de la même engeance… elle prit une grande inspiration. Elle pouvait se tromper, il lui fallait vérifier. D’un autre côté, Xavier avait déjà tant sacrifié pour sa cause, pour son rêve.
- Merci, père… refusa-t-elle finalement. As-tu choisi un camp ?
Leurs regards se croisèrent, et elle sut où la loyauté de son père allait. Au moins s’opposerait-il au radicalisme de Kassia. Cela lui mit un léger baume au cœur. Pas moins en colère pour autant, sans prendre le moindre repas ni la moindre pause, elle prit le parti de s’exercer en vue de s’épuiser. Les soldats et maîtres d’armes se succédèrent. Connaissant leurs faiblesses, elle les vainquit les uns après les autres, les identifiant à leur gestuelle. Ce qui lui permit de devancer leurs passes d’armes, sans aucune pitié.
Le soleil était couché depuis plusieurs heures, lorsque l’épuisement la gagna. Enfin, elle put aller dormir. Elle se baigna rapidement, et rejoignit dans leur chambre. Enfin, elle sut.
Xavier allait la sacrifier pour obtenir l’assistance du duc. L’arrivée du messager de Vorn n’avait rien à voir avec cette décision, mais celle-ci lui facilitait la tâche. De plus, éliminer Gérald débarrasserait leur famille de sa réputation de zoophile, qui discréditait inlassablement leur maison.
À son premier réveil, la colère la tenaillait toujours. Il lui fallait entendre les arguments de Xavier, Gérald quant à lui s’était laissé endormir par l’art oratoire de son frère. Scandalisée, la dragonienne se vêtit assez décemment pour rencontrer un futur comte, puis s’élança dans les couloirs vides. Ceux surveillés par des gardes ralentissaient sa progression, où elle flânait en mimant une béate rêverie pour le moins convaincante. Parvenue à l’antichambre de Xavier, elle sourit benoîtement aux deux soldats de faction, et annonça :
- Mon seigneur, il a un message pour le vôtre. Il a dit que c’était … im-po-rtant, et ur-gent, et que c’est compris ? Et moi j’ai dit oui. Et que seul sieur Xavier devait entendre le message.
Elle se laissa fouiller sans mot dire, et fut intronisée dans l’antichambre. Un garde partit réveiller le sieur.
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