Prologue 3/3

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Fier comme un paon, le garçonnet dirigea du mieux qu'il put son poney jusqu'à la tranchée de neige, et prit la direction de son foyer. Les deux gardes chargés de fermer la marche restèrent avec Herbert et Bastian, à la demande de ces derniers. Ils dépréciaient l'idée que leur puîné obtienne ainsi sa propre esclave, sur un caprice de petit garçon. Obtèr, la rescapée des neiges toujours dans les bras, remonta à cheval et emprunta le pas du jeune sire, suivi du Comte et de son collègue.

De retour au château surplombant la plaine blanche, ils attendirent en silence que s'abaisse le pont-levis. Les douves étaient de simples crevasses naturelles et sans fond, aux bords déchiquetés par des millénaires de vents glaciaux. La forteresse, vue du ciel dessinait deux vastes étoiles à six branches superposées de pierres gris terne. Une fois dans la basse-cour, Obtèr se proposa comme père de substitution. Ce fut accepté d'un hochement de tête, et il put accompagner Gérald pour l'aider à trouver une personne en mesure d'élever ce poupon. Un autre soldat dragonien fut débauché, et rallia la chasse. Avant de partir, le sieur Thomas demanda à son fils :

  • Comment comptes-tu la nommer ?
  • Ombre !

Le Comte réfléchit, et s'enquit :

  • Pourquoi ce nom ?
  • Parce qu'elle me sera fidèle comme mon ombre !

Cela arracha un sourire au sévère sire. Il ébouriffa son fils, geste rare que ce dernier savoura, et retourna auprès de ses aînés. Obtèr, lui, réfléchissait déjà à la mère de substitution. La petite réclamait à manger, et il ne savait pas régurgiter. Gérald le rappela à l'ordre en tirant sur sa manche, ne tenant plus en place, tandis que des palefreniers emmenaient leurs montures au loin.

  • On va la montrer à Kassia, elle va être contente !

Quelle bonne idée venait de traverser le petit humain. Tout en le suivant, Obtèr regretta d'avoir d'abord pensé à ses dernières conquêtes, et à la manière de leur imposer une adoption que la garde d'enfants ne pouvait qu'accepter.

Ils s'empressèrent de la rejoindre. La dragonienne veillait sur tous les petits du château. Les Comtes tenaient à ce que leur progéniture connaisse un certain nombre de leurs futurs serviteurs. Le prédécesseur de Thomas avait également intégré les jeunes dragoniens à la charge de Kassia, afin de réduire les différences entre maîtres et esclaves. Les mentalités évoluaient lentement, mais sûrement.

Le trio s'avança jusqu'à l'aile réservée aux études et aux jeux en intérieur, où elle régentait. Les deux hommes prirent soin de se débarrasser de la neige avant de pénétrer son territoire. Obtèr ne put réprimer un sourire mutin et carnassier en repensant à toute l'imagination de la dragonienne, quand ses protégés ne dépendaient plus d'elle. Voilà bien un mois qu'ils ne s'étaient pas vus...

Ils se guidèrent aux éclats de voix des petits. Kassia les avait dirigés dans le plus grand couloir du château, où ils étaient libres de cavaler comme des fous, et d'organiser de nombreuses courses simultanées. Gérald et Obtèr contournèrent ou enjambèrent les bambins trop jeunes pour marcher, esquivèrent les bolides bipèdes, et enfin atteignirent Kassia, qui les attendait en souveraine.

Royale dans sa tenue en loup blanc, la grande brune veillait sur ses vassaux miniatures. Gardienne inébranlable de la porte menant au dortoir pour la sieste, elle prit Gérald sur ses genoux tandis qu'Obtèr lui résumait la situation. Ses yeux étincelaient lorsqu'il conclut :

  • Si tu le souhaites, tu peux l'adopter aussi. Et aider notre jeune seigneur à la faire grandir.
  • Elle s'appelle Ombre ! gazouilla le petit sire, tandis qu'un de ses camarades de jeux l'attirait dans une cavalcade infernale.

Kassia ne pipa mot, obnubilée par le nourrisson. Un enfant. À elle. Rien qu'à elle, en espérant que le petit humain se lasse de cette idée. Pouvoir transmettre ses enseignements et ses valeurs personnelles, enfin. Elle détailla Obtèr. Il semblait lui aussi sous le charme de la petite, qui vocalisait pour obtenir de la pitance.

La garde d'enfants recula la tête en arrière. Plusieurs muscles jouèrent sous les écailles de sa gorge, des spasmes la secouèrent. Quelques secondes plus tard, elle se pencha sur la bouche de sa fille, et lui offrit un baiser nourricier.

  • Tu m'apprendras ? demanda timidement Obtèr. J'aimerais bien l'élever avec toi, celle-là.

Kassia lui sourit, en léchant une miette de nourriture régurgitée restée à la commissure de ses lèvres.

  • Depuis quand tu as une fibre paternelle, Obtèr ?
  • J'viens d'la découvrir aussi, figure-toi.
  • Je croyais que la parentalité appartenait à tes cauchemars.
  • Y'a qu'les les cons qui changent pas d'avis.

Il s'assura qu'aucune oreille humaine, quel que soit son âge, ne puisse l'entendre, et il murmura à la mère de sa fille :

  • On s'occupera d'elle, viokà. Dès que le gamin s'en lasse, on lui enseignera tout.
  • Méfie-toi, malgré ses quatre ans, il sait se passionner sérieusement.
  • Lui vivra pas un siècle. On aura le temps, elle sera assez jeune pour apprendre et assez vieille pour comprendre.
  • Viokà, conclut Kassia.

Les deux amants s'embrassèrent, tandis que la petite Ombre, malgré le bruit ambiant, s'endormait.

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