Où 3/10

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Le village se constituait d’une unique tente, d’un immense cercle de braises, de quelques peaux tendues sur des panneaux de bois, laissées à sécher, de séchoirs à viandes et de quelques coffres épars. Aussi, Ombre put voir d’où provenait le son étrange.

Kala-kala-kala-kala-kala-kalak

Le dragonien à l’accent étrange lui tournait le dos, assis à une sorte de quart de métier à tisser. Sa navette filait à une vitesse folle, et claquait sèchement. La cheffe attira l’attention du prédateur en lui caressant le bras, il retira deux boules de cire de ses oreilles, et se tourna vers elle.

Les deux égarés s’arrêtèrent à l’entrée du village, nerveux. Tous les locaux les surveillaient du coin de l’œil, ne vacant qu’à demi à leurs occupations. Beaucoup entretenaient des armes ou pilaient des plantes. Hênn-fia semblait superviser les pileurs, tandis que le ton montait entre la cheffe et le tisserand.

Ombre nota que ce dernier gardait la tête basse, et montrait beaucoup les crocs. Sa supérieure elle, gardait un air altier, et la froideur qui l’entourait suffisait seule à contenir la colère de son subordonné. Un silence flotta. Puis dans un soupir, le tisserand s’arracha à sa chaise, grogna quelque chose à l’une des rares dragoniennes présentes, qui lui obéit sans un mot, la tête dans les épaules. Elle semblait le craindre.

L’esprit de la garde rapprochée finissait de s’éveiller. En plus de l’odeur de viandes et de poissons salés, accompagnés de diverses herbes inconnues, flottait l’odeur du cuir et des teintures. À tout ceci, s’ajoutait une odeur de sueur et de sel. La forêt alentour n’apportait aucune information. Pas un oiseau ne dépassait le feuillage des arbres, et quelques cris bestiaux s’échappaient de la canopée.

L’écailleux aux yeux oranges retourna à leur rencontre, sensiblement agacé d’avoir du quitter son métier à tisser. Il grogna avec lenteur, cherchant ses mots :

- Vos… êtrrrre…

Il cracha dans le sable de cendres, et se racla la gorge.

- Sooor… terres Aniogar. Ye Ssdvenna’êk’ Aniogar.

Il porta le poing gauche à son coeur et répéta :

- Ssdvenna’êk’.

Il leur fit signe de parler à leur tour, sensiblement dans l’attente qu’ils répètent… son nom ? Ombre s’y essaya.

- Ssdevennaek.

Le tisserand la dévisagea, interloqué. Puis il arbora un immense sourire, avant d’éclater de rire. Le promis déchu et sa protectrice attendirent la fin de son hilarité, perplexes. Lorsqu’il se reprit, il répéta et leur fit de nouveau signe de parler. Ombre s’essaya de nouveau à la prononciation, et obtint pour toute réponse des gloussements. Gérald prit une inspiration marquée afin d’attirer l’attention du prédateur, et, ne sentant pas trop d’hostilité à son égard, tenta à son tour.

- Ssvenndaêk’ ?

Le dragonien fit signe qu’il considérait la prononciation moyenne, puis renonça pour le moment. Il reprit.

- Queuah vôs faire isssssy ?

La curiosité se disputait sensiblement à l’hostilité dans son ton. Toutefois, Ombre sentait qu’elle éveillait en lui un intérêt qui lui déplaisait. Elle concerta son seigneur du regard, ce dernier acquiesça afin qu’elle parle.

Il estimait que sa prise de parole serait fort malvenue.

- Nous l’ignorons.

Leur interlocuteur répéta songeusement les termes, s’efforçant de traduire leur signification.

- Vôs pas savoâr ? tenta-t-il enfin.

- Non.

Il se gratta le menton, et chercha de nouveau ses mots.

- Onc personne arrive… il s’interrompit le temps de cracher et de se racler brièvement la gorge. Isssy par hasard.

- Nous, si.

- Non. D’ô vôs venirrr ?

Ombre haussa les épaules. Le geste hypnotisa le dragonien, son intérêt pour elle s’accrut, ce qui la dégoûta.

- De par-delà la mer, je suppose, réalisa la petite rousse.

Comment expliquer autrement sa méconnaissance totale des lieux ? Par les Ancêtres, un autre continent ? Les expéditions passées auraient pu aboutir ? Mais ces dragoniens, d’où venaient-ils ? Et des humains vivaient-ils en ces lieux ?

Les trois se turent, surpris. Le prédateur se reprit le premier, et poursuivit :

- Pôrqueauh quitter vôtre terrrrr… à nouveau il s’interrompit pour cracher ; pôr eune ôtre ?

- Ce ne fut pas volontaire.

Tous ces crachats et ces raclements de gorge faisaient penser à un lavage de bouche, comme s’il s’imposait de s’exprimer dans une langue honnie. Ssdvenna’êk’ demanda encore :

- Quels.. liens… tôa et ennemi ?

- Il est mon père.

Aussitôt, le dragonien feula, et cracha un liquide verdâtre qui fuma au contact du sable gris.

- Loui ennemi ! Fers, tu onc dôa oublieux. Onc !

- Lui m’a enlevé les fers.

- Onc houmains enlever fers.

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