Nouveau statut 4/4
À dire vrai, la dragonienne ne trouva pas de nouvelle information intéressante. Au réveil, la petite rousse se faufila hors de l'étreinte de son seigneur, et se remplaça par son traversin. Bien que ne détenant rien de neuf, elle n'en détailla pas moins ses connaissances sur papier, se demandant ce que Xavier savait déjà. Ombre le soupçonnait d'en savoir déjà long, et de tester simplement sa fiabilité. Si cela l'amusait.
Dans son dos, son seigneur grognait dans son sommeil en humant l'oreiller qu'il enlaçait. Cela la fit sourire. Elle ne connaissait que trop bien les sentiments que Gérald entretenait à son égard. Ombre s'étira, se saisit de ses documents et partit d'abord se sustenter, avant de s'aventurer dans la partie du château appartenant à maître Xavier. Après avoir esquivé les rares patrouilles habituelles, la dragonienne flaira l'odeur de gardes dragoniens et humains aux portes de l'antichambre du sieur.
Avec les courants d'air du couloir, les premiers ne pouvaient que savoir qu'elle arrivait. Aussi ne prit-elle pas la peine de se dissimuler. Son arrivée ne les surprit nullement, et ils la fouillèrent en quête d'arme dissimulée.
- Réveille-le, il veut te parler, lui grogna un garde.
L'air ébahi, elle acquiesça. Tandis qu'elle rejoignait la chambre de l'héritier, Ombre pinça les lèvres en se demandant si cela nourrirait sa réputation de traînée. Déjà que les bruits de couloirs pesaient lourd sur son quotidien avec sa prétendue relation auprès de son seigneur... lui inventerait-on un second amant ? Dans un soupir qui relâcha ses épaules, elle se rappela que le sieur qu'elle visitait soignait sa réputation d'homme fidèle et intègre. La légère fatigue du soir la rendait simplement pessimiste.
Pour la première fois de sa vie, Ombre pénétra dans la chambre du futur comte. Deux autels s'y côtoyaient, l'un parfaitement entretenu, le second couvert de poussière. L'autel dédié aux Vents luisait même sous la faible lueur des étoiles qui parvenaient jusque là, à travers les épaisses fenêtres de la pièce. Son jaune satiné témoignait du soin particulier dont il bénéficiait. Les entrelacs complexes dataient d'avant même l'existence du culte des Ancêtres au Nord. Une authentique relique. Au contraire, l'autel dédiés aux Ancêtres souffrait du froid et de l'abandon, se crevassait et donnait l'impression de ne supporter qu'à grand peine la coupole d'argent destinée à recueillir des cendres d'encens. À l'opposé de la chambre, trônait le lit opulent du sieur.
Les arabesques du culte des Vents soufflaient les symboles éthérés des Ancêtres. Xavier marquait son envie d'union du comté partout, certainement pour se remémorer la raison de ses combats quand le doute le prenait. Ombre l'imaginait sans peine assis à son écritoire sobre, se retourner pour détailler les autels et les décorations du lit.
Une moustiquaire brodée le préservait légèrement du froid, et surtout retenait la chaleur. La dragonienne déposa ses écrits sur un meuble, et écarta le pan léger. Xavier occupait à lui seul tout l'espace du vaste matelas, enfoui sous des monticules de peaux et de draps fins. Ombre lui dégagea patiemment un bras, et la fraîcheur le réveilla. L'esprit embrumé, il se saisit par réflexe d'un objet proche de sa main encore dissimulée, fit mine de changer de position pour se rendormir, et entrouvrit les yeux pour connaître l'identité de l'intrus.
- Messire, c'est Ombre, se présenta cette dernière de sa voix enfantine.
Apaisé, le sieur s'étira, découvrant une dague contenant une ampoule de poison près de la pointe. Il fit signe à la dragonienne de patienter, sortit du lit et prit le temps de s'agenouiller les mains sur l'autel des Vents, et d'effectuer en silence les prières dédiées aux vents des points cardinaux, ainsi qu'à leurs subordonnés. Alors seulement, comme l'y autorisait le culte des Vents il parla à voix basse.
- Où est ton rapport ?
- Sur votre écritoire messire.
Il se tourna, et constata l'apparition d'une liasse de parchemins. Xavier s'installa, et prit le temps de lire, les yeux à demi plissés par la somnolence. Ceci terminé, sans se tourner vers son interlocutrice il ordonna :
- Parfait. Nous continuerons donc ainsi, inutile de me réveiller les prochaines fois. Pour la semaine à venir, je veux les orientations politiques de chacune d'entre elles. J'imagine que tu connais tout de mes aspirations, je veux savoir lesquelles y seront les plus réceptives, sur quels points nous divergeons, sur quels sujets seront-elles les plus difficiles à convaincre ou sur lesquels nous pourrions entrer en opposition.
- Bien, sieur Xavier. Cependant, si elles n'y ont jamais pensé, je ne pourrais me prononcer.
- Débrouille toi. Je veux un rapport complet.
Elle s'inclina. En règle générale, les gens du Sud ne différaient de ceux du Nord qu'au sujet de la religion, et encore pouvaient-ils se montrer relativement tolérants. Néanmoins, il avait raison de préférer connaître le détail.
- Puis-je vous poser une question ?
Il se tourna vers elle et l'y autorisa d'un geste.
- Dois-je craindre pour ma réputation, en vous visitant de la sorte ?
- Non, certes non...
Xavier étouffa un baîllement, puis s'efforça de ne pas rire.
- Que trouvez-vous drôle ?
- Avec ma prude de sudiste, tu te doutes bien que j'ai pris mes précautions ! Mes gardes sont tous des hommes de confiance, dévoués à ma cause, ils ne diront rien. Et jamais je n'aurais cru que ta réputation de cuisse légère t'importerais !
- Eh bien si. Je suis vierge. Et à chaque sortie hors du château il ne se passe pas un jour sans que cette réputation ne m'attire des porcs.
- Comme tu y vas ! Allons, retourne te coucher. Il ne faudrait pas que Gérald se languisse de toi trop longtemps...
Il perdit son sourire en croisant, pour la première fois, le regard d'Ombre. Un regard fixe, prédateur, qui exprimait l'intensité du mépris que lui inspiraient ces hommes, et que lui-même commençait à entrer dans cette catégorie. Xavier ne put s'empêcher de déglutir. Cette intensité... elle cachait trop bien son jeu.
Ils se séparèrent dessus. Lui passa la nuit à réfléchir à ses découvertes sur sa nouvelle espionne. Elle s'endormit comme à son habitude, et explora le passé d'un ancien Comte pour satisfaire sa curiosité personnelle.
Annotations
Versions