Les négociations 6/
Ils avançaient au pas, ralentits par les soldats à pieds inévitables pour les déplacements en grande pompe. Pour le moment, la suite s'approchait plus d'une petite armée en campagne que d'une délégation. Ce ne serait qu'une fois aux frontières qu'ils prendraient carrosse d'apparat, fanions et oripeaux.
Ombre profitait de l'occasion pour accuser le coup de ses découvertes nocturnes. En retrait par rapport à la double rangée de gardes entourant les seigneurs du Nord et à la traîne de serviteurs proches, ses pensées peinaient à s'attarder sur la beauté de la Forêt, ou le simple plaisir d'être avec Astuce.
Après trois bonnes heures de rumination, elle ouït Obtèr l'approcher. Elle reconnut le pas d'un hongre qu'elle appréciait, renâclant sous le poids du dragonien et de son armure. Le cavalier ne la lâchait pas du regard, et maîtrisait sa respiration. Quelque chose le tracassait, il devait réfléchir encore à la manière d'aborder un sujet délicat. La petite rousse se tourna vers lui, et lui adressa son plus beau sourire. Elle n'aima pas son expression soucieuse, ni la nervosité dans son regard orange.
- Oui, père ?
- Ça fait un petit moment qu'on s'est pas parlés.
Nouveau sourire. Ombre peina à trouver un sujet de conversation. Elle espérait qu'il en trouve un.
- Alors, qu'est-ce que tu as fait pour mériter ta libération ?
- J'ai bien servi mon seigneur.
- Et dans le détail, Ombre ?
- C'est un secret. Mais il n'a rien à voir avec les rumeurs. Elles sont toujours aussi fausses.
Obtèr la scruta. Raide dans sa selle, il ressemblait à un jouet couvert de fourrure d'ours ballotté par un enfant. Fidèle à la réputation de mauvais cavaliers des dragoniens, il détestait voyager à cheval. Un vent glacial s'insinua entre les diverses couches de leurs vêtements, et il rajusta son casque, ainsi que la protection de cuir et de fourrures laissés relevés jusque-là, avant d'enfin resserrer les pans de sa cape d'une main, la seconde incrustée au pommeau de sa selle.
Un premier nuage de buée s'échappa du monticule de vêtements chauds et d'acier.
Un second.
Ombre reprit sa jument lorsqu'elle la surprit à lorgner le hongre. L'heure n'était pas aux jeux entre équidés.
- À qui peux-tu parler de ce secret, Ombre ? s'enquit enfin le garde.
- À personne, c'est un secret !
- Et si je t'offre une arme ?
La dragonienne lui destina un sourire tendre. Il se souvenait de son intérêt pour les armes. Cela la toucha. Mais elle secoua tout de même la tête.
- Je n'ai pas le droit de posséder une arme, père.
- Ce pourrait être un nouveau secret.
De nouveau, elle secoua la tête. Fier d'elle, Obtèr lui tapota le dos.
- Gérald doit être content de t'avoir.
Flattée, elle ronronna. La simple présence de son père semblait chasser toute la noirceur du monde. La neige lui parut plus scintillante, le vol des rapaces au loin plus serein.
- Cette nuit, je suis de veille. On pourrait en profiter pour discuter, rien que tous les deux.
Particulière heureuse à cette perspective, elle ronronna de plus belle. Puis un détail lui revint avant que son père ne retourne à sa place :
- Je n'ai pas l'habitude de veiller toute la nuit !
Obtèr grimaça.
- Et... tu as le droit de t'entraîner ?
Surprise, Ombre cilla. Elle prit le temps de réfléchir, de fouiller dans sa mémoire...
- Je... l'ignore. Je poserais la question.
- Tu me diras.
Il réintégra les rangs, la laissant retourner à ses ruminations. Une première halte les stoppa en milieu de journée, où chacun chercha à se chauffer au soleil pâle de midi, puis leur lent défilé reprit. La grand route longeait la Forêt, mettant à leur droite une infinité de conifères, et à leur gauche une plaine de neige interminable, se fondant au blanc du ciel et des montagnes à plusieurs jours de marche de là. Parfois, une maison ponctuait le paysage, tonneau blanc fumant à demi enterré dans la neige, au toit parfois vert de mousse.
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