Le calme revint de lui-même, un silence solennel s'instaura. Maître Xavier s'offrit le temps de détailler la masse dragonienne devant lui, de saluer d'un hochement de tête les plus hauts gradés. Quand son regard rencontra celui d'Ombre, en retrait du groupe, cette dernière surprit une expression trop fugitive pour la reconnaître.

Ces salutations silencieuses terminées, il prit la parole.

• Dragoniens, vous savez tous où nous allons. Vous savez que les lois de cette seigneurie diffèrent radicalement de notre comté. Même si je connais vos capacités mémorielles, je vais vous les rappeler ce soir. Ne regardez personne, humain ou dragonien du duché dans les yeux. Ne prenez jamais la parole en présence d'humains, sauf si vous en avez reçu l'autorisation, et soyez aussi concis que possible dans vos réponses. Préparez-vous à de nombreuses tentatives d'intimidation, d'essais pour vous pousser à la faute. Ici, nous devrions pouvoir vous éviter la potence, mais nous serons impuissants pour vous protéger du fouet. Autant que possible, restez dans les quartiers qu'ils vous aurons réservé. Nous vous avons emmené, car nous comptons prouver à tous, même au habitants et aux dirigeants de ce duché, parmi les plus influents du monde, que votre peuple mérite sa liberté, que la cohabitation est non seulement possible, mais souhaitable. Nous vous accordons notre confiance, pour vous montrer exemplaires durant ces trois semaines.

Maître Xavier marqua une pause. Il s'assura que son auditoire l'écoutait toujours, et resta impassible devant cette soixantaine de prédateurs immobiles, tous les sens braqués sur lui.

• Régulièrement, ils inventent de nouveaux moyens pour tenter de vous humilier. À vous de prouver votre supériorité. Faites honneur à votre réputation d'êtres patients. Gardez en tête que quoi qu'ils fassent, vous n'aurez à tenir que trois semaines. Après quoi, nous retournerons sur nos terres. Des questions ?

La rumeur du campement proche lui répondit, accompagnée des bruissements de la nuit. L'un des dragoniens les plus hauts placés secoua la tête au nom de tous.

• Vous avez quartier libre jusque demain aux aurores.

Les dragoniens s'inclinèrent avec respect, et s'éparpillèrent en petits groupes. Ombre partit se fondre dans la masse, écouter les conversations et tenter de savoir comment son père trouvait ces mises en garde.

De nouveau vaincue par le sommeil, elle rejoignit son seigneur avant de trouver Obtèr, et se mit au chaud dans ses bras. Ce serait leur dernière nuit ensemble avant trois semaines sans fin, où elle ne pourrait compter que sur sa propre chaleur pour s'éveiller le matin.

Le lendemain, ils quittèrent rapidement le couvert des arbres, et virent leur destination couronnée de nuages dorés par l'aurore. Cerné de champs de blé et de lin, segmentés de chemins blancs partant tous du bijou d'architecture, se tenait le château de printemps des Ducs de Vorn. Le marbre blanc prenait des teintes d'or veiné de rose, sur un écrin vert, blanc et or.

Le bâtiment, somptueux, mêlait à la fois qualités défensives et visuelles. Les tours carrées s'achevaient de hauts toits élégants de tuiles rouges, les meurtrières s'ornaient de gravures couvertes de feuilles d'or. Des touches de bordeau, issues d'arbres rouges témoignaient de la splendeur du jardin intérieur.

Plus la délégation approchait, plus la superbe du château se révélait. Le pont-levis de bois blanc, sublimé d'imposants clous nacrés s'abaissa longtemps avant que les visiteurs ne parviennent aux abords des douves, couvertes de nénuphars. Ombre pinça les lèvres en pénétrant l'enceinte. Combien de cadavres, plusieurs mètres sous ses pieds ? Et au jardin ?