Les négociations 11/
De mauvaise grâce, Ombre se laissa poser ce ferme-mâchoire. Elle nota avec colère la présence d'un anneau pour y attacher une laisse. Le message était limpide. Autour d'elle, l'ambiance devenait orageuse, l'odeur propre à la haine suintait de la masse de dragoniens.
Les horreurs posées sans résistance aucune, les gardes muets encerclèrent leurs frères du Nord en un mélange de garde d'honneur et de geôliers. Les nobles et hauts-placés en avaient profité pour pénétrer l'enceinte du château, seul un page était resté. Il toisa les inhumains avec mépris, et leur cracha du bout des dents :
- Vos quartiers seront près du chenil. Bénissez la générosité de vos hôtes et les conseils avisés de leurs Ancêtres.
Considéré comme l'un de ceux présentant le mieux, Obtèr prit sur lui de se mettre au premier rang pour s'incliner au nom de tous. Au centre de l'attention générale, il se tourna vers l'aile où vivaient non seulement les chiens, mais aussi quelques porcs, brebis et ânesses servant à certains besoins des ducs, et dirigea le groupe dans la direction indiquée. Tout se passa sans un mot de plus.
Le reste de la journée, ils le passèrent à récupérer leurs affaires au compte-goutte, à faire valoir leur statut pour les affranchis, leur droit de propriété de biens pour les esclaves le tout en respectant les lois de Vorn.
Ombre ne put recevoir aucune information concernant sa jument, et s'y attendait. L'attente n'en fut pas moins ignoble. Les dragoniens de Xévastre parvinrent sans peine à s'entasser dans la pièce allouée par les humains, et la plupart trouva à s'occuper avec des bras de fer ou des siestes pour faire passer le temps. Le tout avec discipline et dans le silence.
En bas, la vie animale et sa puanteur se manifestaient avec toujours plus de force. Un nouveau page vint leur cracher en milieu d'après-midi qu'une servante était attendue pour aider à s'occuper des "autres bêtes" du Nord. Ombre fut portée volontaire, ce dont elle se réjouit sincèrement.
Les palefreniers l'invectivèrent tout le temps qu'elle passa hors des quartiers dragoniens. Surtout leur chef. Cet homme bedonnant d'une cinquantaine d'années n'eut de cesse de la reluquer. Il causa l'une des rares fois où Ombre regrettait sa couverture de simple d'esprit.
À la fin de ses tâches, elle sentit la présence de l'homme la suivre. Elle devina sans peine ce qui suivrait, et éprouva une terreur sourde. Comme la dragonienne s'y attendait, il profita de son isolement dans un escalier en colimaçon pour la saisir par le collier et la plaquer contre le mur. Décidée à ne rien lui montrer de son angoisse, elle se composa un air confus. Il approcha son visage joufflu de son nez, et lui souffla avec son haleine pestilencielle :
- Toi, tu m'rejoins c'soir à neuf heures. C'est compris, ça ?
- Pourquoi monsieur ?
- C't'un ordre. Réserve à foin, ce soir neuf heures. T'y es pas, j'te fais retirer la membrane des ailes et couper deux doigts. C'clair ?
Ombre tenta de bénéficier de l'aura du nom de ses maîtres.
- Seule la famille de Xévastre peut en décider.
- Faux. Joue pas à ça.
Il lui tapota la tête comme pour féliciter une chienne, et la relâcha. Hérissée, la petite finit de remonter et de rejoindre les siens. Elle voulut demander de l'aide à Obtèr, en vain. Il ne pourrait pas la suivre, ni trouver un prétexte pour lui éviter ce rendez-vous dont il devinait la teneur.
Le repas du soir leur fut apporté, froid, sans eau ni verre. Leur grand dominant obtint réparation, et au retour du serviteur humain, il informa Ombre que la famille de Xévastre la conviait à leur conversation du soir. Obtèr voulut lui parler brièvement, mais l'humain l'en empêcha, mentionnant le marquage au fer rouge comme menace.
Ombre suivit le détestable, quitta l'aile Est pour rejoindre le bâtiment principal. Il la guida jusqu'une pièce éclairée par des puits de soleil assez efficaces pour servir même avec la seule du crépuscule.
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