Les négociations 17/
La Demoiselle Isa se pencha à son tour vers ses parents, et disserta à mi-voix avec eux. La famille de Vorn visait aussi le compromis d'un air grave, sur la volonté d'Isa. Ses parents insistaient sur le fait qu'ils ne pouvaient laisser une meurtrière en liberté, chose que la Demoiselle comprenait. Tout comme elle connaissait l'importance de l'animal pour son futur époux. Bien sûr qu'ils devaient la châtier et lui faire payer son crime. Mais qu'est-ce qui allierait à la fois punition lui faisant perdre le goût du sang et permettrait sa survie ? Jamais les gens de Xévastre n'accepteraient de la laisser à leurs éducateurs.
Les comtes se posaient la même question, non pas pour châtier Ombre, mais pour ménager leurs puissants hôtes. Au bout d'une dizaine de minutes, Bastian trouva quelque chose qui convainquit sa famille, aussi se redressèrent-ils en silence, et attendirent que les Ducs leur donnent la parole.
Cela nécessita une dizaine de minutes supplémentaires, mais ils obtinrent la possibilité de s'exprimer.
- Messires ; commença Bastian ; nous nous trouvons dans une situation délicate. Ce crime ne peut rester impuni, nous en sommes tous conscients. Cependant, la violence ne serait pas comprise par notre bête.
Obséquieux, il céda la parole à la Duchesse, femme sublime à la voix enchanteresse :
- S'il eut s'agit de l'un de nos animaux, elle aurait été stérilisée à vif et se serait fait arracher la mâchoire, avant de devoir reprendre le service. Après deux jours de repos parmi les siens, naturellement.
L'information généra un blanc. Ombre trouve presque la peine juste. Ce qui la rendait intéressante pour la gent masculine disparaîtrait, Vorn s'assurerait qu'elle ne pourrait plus mordre... L'espace d'un instant terrible, elle approuva le traitement. Mais déjà, le souvenir des agonies passées, et même du fait que la disparition de ses organes génitaux n'empêrait aucun homme de vouloir recommencer la ramenèrent à un semblant de raison. De plus, sans mâchoire elle ne pourrait plus manger. Les yeux toujours baissés, elle serra les poings. Son père les prit discrètement dans ses grandes mains chaudes. Il ne pouvait faire plus pour tenter de la rassurer, de l'apaiser.
Après une déglutition, Bastian reprit :
- Naturellement. Cependant, nous ne dressons pas nos dragoniens de la sorte. Ce changement de méthode échapperait à sa compréhension déjà limitée. Toutefois, vous n'êtes pas sans ignorer que l'isolement est une forme de torture ?
Même sans les voir, Ombre devinait très bien l'intérêt des gens de Vorn pour la chose.
- Voici donc ce que je vous propose : nous condamnons Ombre à l'isolement sur toute la durée de notre séjour ici. Elle n'interragira plus qu'avec Hubert ici présent, pour s'assurer qu'elle n'oublie pas de se sustenter. Elle ne sortira plus des appartements de ses pairs, jusqu'à ce que nous repartions. Cette solution vous convient-elle ?
Les Ducs se concertèrent brièvement. Isa insista pour qu'ils acceptent ce compromis. L'air effaré de son promis ne lui échappait pas, jamais il n'accepterait châtiment plus important, et elle désirait plus que tout l'épouser lui. Sa mère persifla d'une voix assez basse pour contraindre les dragoniens à tendre l'oreille :
- Que trouvez-vous à ce pauvre hère hérétique et barbare ? Vous pourriez trouver n'importe quel meilleur parti.
- Je l'aime, mère. Cet homme en particulier est inoffensif, inapte à la dissimulation, généreux, fidèle et loyal... de plus, il me laissera à ma place de Duchesse sans sourciller le moment venu. Connaissez-vous tant d'hommes que cela capables de laisser une femme gouverner, eux qui ne connaissent que la soumission féminine ? Père, mère, vous souhaitez mon bonheur et le meilleur pour notre Duché, n'est-ce pas ? Ce parti-ci me laissera régenter comme bon me semble. Il ne nécessitera aucune rééducation.
La Demoiselle Isa attendit une contestation qui ne vint jamais. Elle se redressa donc, et répondit d'un air altier :
- Cela nous convient.
Un silence plana. Le Duc s'enquit :
- L'un d'entre vous a quelque chose à ajouter ?
Bastian lui répondit par un signe de dénégation. Les deux dragoniens furent priés de quitter les lieux.
Les deux éconduits s'inclinèrent avant de réintégrer leurs quartiers sans un mot. Une fois dans la cour qui les aménerait aux quartiers dragoniens, Obtèr reprit son enfant dans les bras et l'enlaça avec force, jusqu'à ce qu'ils atteignent leur étage.
Là, il referma la porte, retourna dans la lumière d'une large fenêtre et laissa sa fille contre lui. De toute évidence, elle ne voulait pas le lâcher. À vrai dire, lui non plus. La rapidité du jugement et la tournure des évènements les sonnaient. L'une le nez au creux du cou, l'autre le nez dans les cheveux, tous deux sentirent leur peur qui suintait encore.
Ombre émit un gémissement qui mêlait soulagement et peur.
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