Pas si seule 5/
Quatre jours se succédèrent, avant que les souvenirs ne supplantent le présent et l'esprit d'Ombre. En plein entraînement avec son père, la dragonienne s'effondra brusquement, pliée en deux sans plus pouvoir contenir les émotions qui la harcelaient depuis presqu'une semaine.
De nouveau, elle entendit la voix du palefrenier et de son jumeau, sentit leurs regards, ouït l'ouvre-bouche et goûta le fer couvert de bave séchée. De nouveau elle goûta le sang de son agresseur, éprouva cette sensation de temps en suspend tandis qu'elle fuyait, les tripes glacées par la peur.
Surpris, son père s'agenouilla. Il observa sa fille, sans savoir que faire. Son regard vitreux et fixe ne le voyait plus, elle alterna entre apnées et halètements, suinta la peur. Dans leur culture, un cauchemar était une peur qui s'en allait, et il ne comprenait pas qu'elle n'en fasse pas. À croire que ses peurs attendaient son éveil pour la hanter et venaient de frapper en force. D'un coup d'oeil aux ombres, il sut que moins de quelques minutes venaient de s'écouler. De pliée en deux, son enfant commença à être traversée de spasmes qui l'amenèrent à se recroqueviller, avant de se débattre contre ses souvenirs. Il pria les Oubliés que cette crise agisse comme un cauchemar.
On la coursait, elle savait ce qui l'attendait après avoir châtré un humain, après être sortie de son rôle d'animal soumis. Incapable de contrôler son souffle, elle s'étrangla avec sa salive et toussa, tandis que tout se succédait. Son esprit angoissé ne parvenait pas à la ramener à un passé plaisant ou au moins au présent. Seules se succédaient les sensations et le souvenir aigu des évènements. On la coursait, après le viol on voulait sa mort. Une parmi tant d'autres, volatilisée, dont seul son seigneur se serait soucié.
Elle écumait. Le regard fou, les spasmes l'amenèrent à mimer un semblant de course. À croupetons, son père la suivit. S'il la touchait, que se passerait-il ? Est-ce que cela lui permettrait de se sortir de sa crise, ou au contraire risquait-il de l'y bloquer ? Il ne savait pas. Les cauchemars devaient mourir d'eux-mêmes et faire leur temps, mais un cauchemar en plein jour ? Mais on pouvait parler se remémora Obtèr.
- Ombre, c'est du passé. T'es avec moi. J'te protège ma fille... Dis-moi... dis-moi comment t'aider...
Il entendit la supplique dans sa propre voix. Pinçant les lèvres, il espéra que ça n'empire pas la situation. D'après l'absence de réaction à sa parole ou à son ton, il aurait tout aussi bien pu fermer sa gueule. Ça valait peut-être mieux. Quinze à vingt minutes. C'était le temps normal d'un cauchemar, après il fallait appeler un guérisseur... inexistant en ces lieux maudits. Ké schiarks, pourvu qu'ensuite les humains aient la décence de ne plus jamais emmener sa fille à Vorn. Ce territoire pourrissait tout.
Haletante, Ombre obéissait à un instinct, chercha à saisir la vie. Une menace approchait inéluctablement, toujours plus proche, les escaliers s'ouvrirent devant elle à temps. La suite devint dans son esprit un chaos de sang et de mort, tandis qu'une menace pire encore la prenait sous son aile.
Une sensation familière lui parvint dans cette horreur. À la fois le froid du passé, demeuré inapperçu jusque-là, noyé dans ceux de l'horreur et de la terreur ; et l'odeur de son père Obtèr, à la fois passée et présente. S'y raccrochant, elle parvint à s'extraire du souvenir. Enfin en mesure de se raccrocher à quelqu'un de vivant, elle s'agrippa de toutes ses forces à la main que son père lui présentait, s'enroula autour, lui mordit même le bras. La vie, elle devait se saisir de la vie !
Vingt minutes, un cauchemar normal. Soulagé, Obtèr laissa sa fille finir de dissiper la brume de la terreur dans son esprit. Il savait bien qu'elle aurait de nouvelles crises, et se demandait si toutes auraient lieu pendant le jour. Au vu des évènements, elle devait avoir une mer de brume de peur dans l'esprit, que chaque cauchemar dissiperait un peu. Rassuré, il la mit sur ses genoux, l'entoura de son bras libre et la berça, la caressa, lui communiqua toute l'assurance et l'affection qu'il lui portait comme il le put. Les Oubliés soient loués. Elle cauchemardait.
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