Chapitre 1
Il n’y a pas très longtemps, pas si loin que ça de chez vous, dans une forêt sombre vivait une famille avec deux enfants. Le père, la mère - qu’on n’appellera pas autrement que « le père » et « la mère » - un fils, Hänsel, et une toute petite fille, Gretel.
Ils n’étaient pas très riches dans cette famille, mais rapidement, les parents avaient compris qu’ils pouvaient se faire un max de blé en utilisant leurs enfants. Ils avaient inscrit leur tout jeune fils, encore bébé, à des concours du plus beau bébé, du plus beau sourire, des plus belles fesses… Bref, ils vendaient son image et ils la vendaient assez cher. Faut dire qu’il était tout mignon, le petit Hänsel, avec ses yeux bleus, son sourire enjôleur, ses fossettes et ses petits cheveux blonds.
La fièvre des réseaux sociaux grandissant, et la fibre passant à proximité de chez eux, ils avaient même créé un compte Instagram, puis un compte Tik-tok sur lesquels ils faisaient faire du placement de produit à leur fils. Ce qui était terriblement frustrant pour lui, c’est qu'à peine les vidéos tournées, ses parents revendaient tout sur un site de petites annonces. Il n’en profitait que pour le placement. Imaginez la frustration pour un gamin : il peut jouer avec les plus beaux joujoux du monde, devant la caméra mais dès que celle-ci est éteinte, tout disparait. Il retrouve la chambre des enfants équipée très sobrement, sans fioritures et surtout sans jouet (ça coûte cher et ça rapporte quand on les revend). Il y avait juste une vieille télé en noir et blanc et un magnétoscope ainsi qu’une poupée à laquelle il manquait une jambe.
Le père et la mère étaient durs avec leurs enfants, ne pardonnant aucun écart, manquant totalement du minimum de tendresse et d’amour auquel les enfants ont droit. Ils avaient la main leste tous les deux, faisant souvent rougir les joues d’Hänsel et Gretel.
Les années passèrent. Le fils comprenait bien qu’il n’était vu par ses parents que comme une source de revenus. Il n’avait qu’une crainte, c’est qu’ils se décident à mettre sa petite sœur à contribution. Ça, il ne le supporterait pas. Il se sentait comme un animal de foire. Il ne pouvait déjà plus voir son reflet dans un miroir, il ne voulait pas que sa sœur vive le même calvaire. Aussi, patiemment, centime après centime, il avait accumulé l’argent nécessaire pour l’achat d’un ticket d’Euromillions.
Le vendredi arriva avec son tirage en direct dans tous les pays d’Europe. Comme d’habitude, il n’avait pas le droit de regarder la télévision. Le père se méfiait des messages qui passaient régulièrement sur le petit écran, destinés aux enfants victimes de maltraitance, et il ne voulait pas que son fils découvre le numéro d’appel d’urgence, notamment le 119 (numéro regroupant 9 services et associations de protection de l’enfance). Il n’avait le droit que de regarder des cassettes de Bruce Lee ainsi que des vieux Kung Fu avec David Carradine. Telles étaient ses seules distractions au milieu des innombrables séances de vidéos que lui infligeaient ses parents. Il passait ensuite le reste de son temps libre regarder ses cassettes puis à répéter les gestes de ses deux héros, impressionnant sa petite sœur par l’agilité et la souplesse qu’il avait acquises.
Il écoutait donc les résultats du loto européen, au travers de la porte entrouverte. Petit à petit, il entendit, médusé, énumérer les numéros de son ticket. Il ne put retenir un cri de joie ! Le père l’entendit et se jeta sur son fils. Il découvrit, totalement ébahi, le ticket gagnant dans les mains de l’enfant. Le renvoyant dans sa chambre d’une taloche, il retourna au salon, retrouver sa femme et fêter dignement cette nouvelle avec elle.
La joue, une fois de plus marquée des doigts de son père, Hänsel se jura qu’il lui ferait payer à la fois ce vol et ces humiliations quotidiennes. Il le jura même à sa petite sœur qui ne comprenait pas vraiment ce qui venait de se jouer à l’instant dans cette maison.
Du côté des parents, les choses commençaient à s’organiser
- Tu te rends compte, le père, avec ça, on va pouvoir quitter notre misérable maison au fond des bois, voyager de par le monde et mener la grande vie !
- Du calme, la mère, on a deux soucis à gérer avant de mener grand train…
- Deux soucis ?
- Oui, deux chiards qui vont nous emmerder !
- M’enfin, le père, tu te souviens que c’est quand même Hänsel qui fait bouillir la marmite depuis que tu t’es bêtement fait tomber la tronçonneuse sur le pied ?
- Oui, je l’sais bien mais maintenant, on n’a plus besoin de lui, on est riches !
- Quand même, tu n’as pas l’impression qu’on le vole deux fois ?
- Pourquoi deux fois ?
- Ben les vidéos et maintenant le ticket de loto ?
- D’abord les vidéos, c’est parce qu’il est beau, j’en suis fier de not’fils et c’est pas de ma faute s’il y a des connards qui payent pour qu’il fasse de la pub pour leurs produits ?
- Oui, mais quand même…
- Et ensuite, ce ticket, où tu crois qu’il a trouvé l’argent pour se le payer ? Il a dû grappiller des pièces de ci de là… Donc de l’argent qu’il a trouvé dans la maison. Ce ticket est à nous, point !
- Tu as raison.
- Ah tu vois ?
- Oui, et du coup, il va falloir qu’on s’en débarrasse…
- Comment ça, s’en débarrasser ? demanda le père.
- Ben tu m’as dit qu’il y avait deux soucis, on va éliminer ces deux soucis, c’est pas plus bête que ça !
- Mais comment ?
- On est en forêt, on va aller les abandonner au fond des bois. Ils sont petits, ils ne trouveront jamais le chemin du retour.
- Pas bête, en plus, on n’aura rien à se reprocher. Ils se seront perdus, point final.
- Voilà, point final. Ensuite, on attend quelques semaines et on se tire ailleurs.
- Oh je t’aime, la mère, t’es la meilleure !
- Je sais…
Hänsel était dans son lit, en train d’essayer de soulager sa joue avec un gant de toilette humide, sans grand succès. Sa sœur s’était levée et avait entendu les manigances de ses parents. Elle n’avait pas tout compris, seulement qu’ils allaient les abandonner dans la forêt. Et ça, ça la terrorisait.
- Hänsel, Hänsel, chuchota-t-elle à son frère.
- Oui, quoi ?
- Chuuut, fais pas de bruit, tu veux qu’ils reviennent ?
- Oh non, fit-il tenant sa joue endolorie.
- Ils ont décidé de nous abandonner dans la forêt, je crois…
- T’es sûre, Gretel ?
- Oui, ils ont dit qu’on était petits et qu’on ne retrouverait jamais notre chemin… Oh Hänsel, j’ai peur.
- T’en fais pas petite sœur, je suis là.
- Tu sauras retrouver le chemin ?
- Je crois que j’ai une idée, je vais aller dans le garage et je vais prendre un sachet d’écrous, non même deux s’ils nous emmènent loin. Comme ça, je les sèmerai sur notre route et il suffira de les suivre dans l’autre sens pour retrouver la maison.
La petite Gretel battit des mains, avec un grand frère pareil, elle ne risquait rien ! Ils finirent par s’endormir tous les deux, rassurés sur le fait qu’ils allaient s’en sortir. Dans le salon, les plans sur l’avenir allaient bon train, certains du fait qu’ils allaient bientôt éliminer leurs « deux soucis ».
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