Evasions
Assise en tailleur, les mains sur les genoux, je ferme les yeux et m'imprègne une dernière fois de cette maison, comme on pose la main sur le cercueil avant la mise en terre. J'ai fait mon deuil pour mon mari et ma fille et c'est au tour de cette maison. Je me plonge au cœur de cette dernière. Des pièces pleines de vie, des fragments du passé remontent à flots. La pièce dans laquelle je suis est presque vide, désormais. Il ne reste qu'un circulaire tapis rouge et des cartons jonchant le sol comme des feuilles mortes à l'automne. Les meubles ont déjà été enlevés avant-hier. Un appartement me conviendra mieux. Pas forcément pour refaire ma vie, mais parce que cette maison est trop chère. Je serais bien sûr surveillée par la police au cas où l'assassin de Loïc et de Justine veuille s'en prendre à moi. Les larmes ne coulent pas, pas pour ça, pas encore. Lorsque je n'entendrai plus leurs voix, lorsque je ne distinguerai plus leurs visages, là oui, je pourrai pleurer de nouveau. Mais pas là, pas maintenant. À leur mort, j'ai presque entièrement vidé ma réserve de larmes, j'en garde aussi pour plus tard. Je pourrais noyer mon chagrin dans les livres sans que personne ne soit là pour dire quelque chose. Les livres, les phrases, les mots ont un incroyable pouvoir : celui de me faire oublier le moment présent.
Il est temps que je me lève ; ma belle-sœur est là pour m'aider, c'est mon déménagement après tout. En silence, nous vidons la maison en chargeant les cartons dans sa voiture. Même pendant les trajets, nous n’échangeons pas un mot, respectueuses du deuil de l’autre. Étonnamment, c’est en faisant le ménage, mon dernier nettoyage ici, que nous nous ouvrons, l’une à l’autre, petit à petit. Nous décidons même de mettre un peu de musique pour casser le silence mortuaire et triste qui règne. Tombant sur un morceau que nous aimons toutes les deux, nous nous permettons de danser et rire. Je me dépêche de tout faire briller pour aller rapidement rendre les clefs à l’agence immobilière qui se chargera de la revendre.
C’est un peu plus joyeusement qu’elle m’emmène dans mon futur logement, au fur et à mesure que nous nous éloignons, il semble qu’un poids s’enlève de nos cœurs. Je les laisse partir en paix et ne cherche pas à m’accrocher à eux. La douleur qui me serre le ventre ne part pas, le manque reste présent. Anne-Marine m’aide pour décharger toutes mes affaires et décide de rentrer chez elle, il est tard et avec toute la route qu’elle a faite, elle est fatiguée. Je pense aussi qu’elle supporte peu le fait d’être revenue dans la maison et d’avoir passé du temps avec moi, je suis cependant reconnaissante qu’elle soit quand même venue.
Pour ce soir, je décide de ne déballer que les cartons importants : la vaisselle, les vêtements, les affaires pour la salle de bain et les toilettes. Dans le courant de la semaine, je viderais le reste. J'ai glissé dans un sac des livres à lire, pour ne pas m'encombrer à déballer plein de cartons pour chercher celui que je veux. Je n’ai pourtant pas le cœur à lire, mais c’est une vieille habitude. J'irai demain dans la pièce du fond pour décider de ce que je veux en faire : chambre d'amis ou bureau ? En parlant d'amis, j'en ai perdu beaucoup : comment être ami avec quelqu'un qui a été la cible d'un tueur ? Trop risqué, personne ne veut devenir une potentielle victime... Paradoxalement, beaucoup de gens montrent de la compassion pour moi. Ce n'est pas leur empathie qui va remonter le temps ou les faire revenir. Cet appartement m'éloigne des médias aussi, ceux-là ont été très collants et insupportables.
Je vais me coucher, bien que je dorme très peu et surtout mal ces temps-ci. Le déménagement et le dépaysement m’ont moi aussi épuisée et pour cette nuit, je décide de ne pas prendre de somnifères. Je laisse mes rêves, inspirés de souvenirs, m’emplir la tête. Mon téléphone sonne, il est 11 h 07. Je suis obligée de me lever, bien que je sois réveillée depuis plus d'une heure et demie. J'écoutais les bruits, essayant de m'habituer à mon nouveau "chez moi". Ma sœur Carolyne veut venir à quinze heures en me disant <<Eva, désolée de ne pas être venu à ton déménagement, je suis navré, j'aurais pu être plus disponible pour toi avec ce qui t'es arrivé...>>. Les anti-dépresseurs sont aussi efficaces qu’une présence familière et je sais qu’elle est assez occupée avec sa propre vie. Je mange et me vêts. Je me souviens que je dois aller dans la pièce du fond. J'ouvre la porte et la referme derrière moi, une vieille habitude qui montre que je souhaite être seule, comme s'il y avait quelqu'un avec moi... Mon cœur se serre et ma gorge se noue. Ne pas pleurer, ne pas pleurer. C’est si calme, sans aucun bruit. Si vide comme ma vie. Je m'assoie par terre et m'appuie sur le dos de la porte pour me calmer, mais aussi pour avoir une vue d'ensemble sur l’endroit.
Avec étonnement, je me sens basculer en arrière. Il me semblait pourtant avoir enclenché le pêne de la porte... Je ferme les yeux, attendant le choc de mon dos contre le carrelage du couloir. Mais non, c'est tout mou, et de l'humidité traverse mon haut. Quoi ? De l'eau ? Je frémis en ouvrant les paupières. Je suis dans de l'herbe couverte de rosée. Un miroir encadré par une arche de pierre est derrière moi, là où est censé être la porte de mon appartement. Est-ce que je rêve encore ? Suis-je folle ? Le ciel est d'un violet magnifique et deux astres sont au-dessus de ma tête. Les nuages sont blancs, mais parfois jaunes. Au sol, toute la végétation est d'un vert pur, foncé ou clair. C'est si beau. Sans que je puisse décider quoique ce soit, mes larmes dévalent mes joues. Je pleure de tristesse sur ma vie brisée devant tant de beauté.
Je vois jusqu'à l'horizon, le paysage est parsemé de collines. J’ignore ce qui me prends, mais je me mets sur mes jambes et ris. Je danse, je tourne sur moi-même, au point d'en avoir le tournis. J’éclate de rire, je me sens bien. Je suis remplie de joie. Ici, bien que seule, je me sens en sécurité. Personne ne tue personne, personne ne me voudra du mal. Ce n'est pas un livre, mais j'ai l'impression d'être dans un livre. Peu importe le temps où l'endroit, je ne veux pas partir. Un instant, je pense à mon frère qui va s'inquiéter ; tant pis. Ceci est ma chance de tout recommencer. Pas tout oublier, non, ce serait impossible, mais refaire une vie. Dans ce monde, peu importe ce qu'il est. Ma joie s’estompe quand je me dis que je serais toujours seule, est-ce ma destinée de finir ma vie abandonnée du monde ?
Mes parents m'ont toujours enseigné comment survivre si la société s'effondrait. Je me souviens encore des leçons, et je pense que c'est le moment de les appliquer. Je n’ai pas de scie ou de planches mais un amas de branches vont très bien faire l’affaire. Trouver des plantes comestibles, explorer, trouver de la vie. S'en sortir. Je vais pouvoir m'en sortir cette fois. Pas de retour en arrière, pas question de se morfondre. Pas renoncer. Vivre. Oui, je pense que c'est une deuxième chance qui m'est offerte. Derrière une colline je découvre un ruisseau d'eau scintillante, bien, de l'eau c'est ce qu'il me faut en priorité ! J’espère qu’elle est potable, sinon je crains de ne pouvoir rester ici longtemps. Vu le soleil qu’il fait, je ne sais pas quand il pleuvra, si jamais il pleut ici.
Un doute me prend soudain. Je cours vers la porte, la traverse et me retrouve dans la pièce du fond. Ouf. Et si je ne pouvais plus y retourner ? Je passe ma main sur le dessin correspondant à ce que j'ai vu et elle plonge dans l'autre monde. Je peux peut-être essayer d’y emmener des objets puisque je peux passer. Vivre dans deux mondes ? Très réjouissante perspective !! C'est vraiment génial. Je vais pouvoir mieux me reconstruire. Fini, la misère du quotidien, j’ai un monde à découvrir pour y vivre. Je ne sais pas si je dois en parler avec ma sœur… Je sais que tout ne vas pas bien dans sa vie non plus, peut être pourrions-nous vivre dans l’autre monde ? Si elle vend sa maison, nous aurons bien assez d’argent pour payer le loyer de l’appartement. Nous n’aurons pas besoin de la nourriture, car je me ferai un potager immense, je suis certaine que la terre est fertile là-bas.
Il va être midi, mais je n’ai pas faim, j’ai mangé tard, c’est normal. Je décide de savoir si je peux prendre des objets pour les déposer dans l’autre monde. Je saisis une chaise et traverse la porte ; la chaise est avec moi. Je la pose par terre et reviens dans l’appartement. Je passe ma tête et constate avec joie que la chaise est toujours là. Je commande sur Internet des plants et des graines de légumes ainsi que des arbres fruitiers pas très grands. Il me faut aussi du matériel de jardinage car je ne suis pas équipée. Je transporte une table pour faire un salon de jardin. L’air est frais et pur, c’est un délice. Nulle pollution autant sonore qu’odorante. Un paradis pour les vivants. Je me place des repères pour pouvoir explorer sans tourner en rond. L’immense porte-miroir me dit où est la sortie et c’est rassurant. J’en ai fait le tour et il n’y a rien, juste l’arche de pierre et les deux gigantesques chênes qui l’encadrent.
J’attends que les heures passent jusqu’à la venue de ma sœur, à quinze heures. Le paysage est semblable partout, collines herbeuses, petits bois, rivières bleues turquoise. Le ciel à l’air fixe peu importe l’heure, de ce jaune mélangé au rose et au bleu. Les liserais violacés qui le parsèment sont magnifiques. On y voit toute une voûte étoilée avec des constellations inconnues. Les deux astres qui sont au-dessus de la porte n’ont que trois quarts de visible, comme deux lunes pas encore tout à fait pleines. J’accueille Carolyne avec une certaine allégresse que je ne soupçonnais pas retrouver avant des années. Sans perdre plus de temps, je lui demande de me suivre. Ses sourcils sont froncés, elle doute de moi. Lorsque je referme la porte derrière elle, je sais qu’elle veut dire quelque chose mais la devance en expliquant :
— Tu ne vas peut être pas me croire, mais je peux traverser ce dessin et passer dans un autre monde !
— C’est impossible, allez viens on s’en va, j’ai l’intention de te faire prendre l’air.
— Dans ce cas, allons là-bas, l’air est pur et j’y ai installé un salon de jardin.
Elle pose doucement sa main sur mon épaule et avec un sourire mi-désolé mi-triste, elle refuse d’un petit non prononcé d’une douceur inhabituelle. Je l’encourage à venir. Et je lui dis de me suivre alors que je me précipite sur la porte. Je retombe sur les fesses, sonnée. Ça n’a pas marché… Je suis toujours dans la pièce avec une bosse qui témoigne de la réalité. Avec encore plus de douceur et de calme, Carolyne me montre la table et les chaises disposées exactement comme je l’avais fait, mais elles sont là, ici. Impossible. Je me lève et crie, je lui assure que je suis allée dedans avec les chaises et la table, que j’y ai passé l’après-midi en l’attendant. Je sens les larmes monter devant son visage fermé et ses lèvres serrées. Elle n’y croit absolument pas. Je me sens comme une enfant qui fait un caprice. Je l’entends dire que c’est juste mon imagination, mon esprit qui manifeste l’envie de partir car ma douleur est trop grande, que j’ai dû m’endormir et finalement, se dire qu’elle a bien fait de passer me voir. Je ne fais plus attention à ce qu’elle fait, je me roule en boule sur la moquette et, malgré ma promesse, pleure sur toute ma misère. Je maudis le meurtrier de m’avoir enlevé mes amours et une vie simple. On me force à boire un verre d’eau ou l’effervescence d’un médicament n’est pas terminée.
C’est le trou noir, tout s’accélère et je perds la notion du temps. Les injections m’abrutissent et je me perds en moi-même, je n’existe plus vraiment, rien de mon ancienne vie ne subsiste dans ce corps. J’ai des moments de lucidité, mais très peu. On finit par me laisser tranquille et baisser la dose des médicaments. C’est là que tout me revient de plein fouet. J’ai alors un profond mépris envers tout, surtout moi.
La Terre, les humains : j'ai l'impression que ces termes me sont étrangers. Aujourd’hui je déteste ce monde de violence avec ses habitants, ses coutumes, ses obligations... Je suis brisée par la trahison de ma sœur, cet être si proche qui m'a prise pour une folle alors qu’elle aurait dû me soutenir dans mon deuil. Il semble que rien ne soit fait pour moi. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé de m'intégrer... Échec. Même pour jouer je n’aime pas ce mot. Larme est un mot que je connais bien et que j’apprécie. Goutte qui roule sur la joue, calme, salée et qui s'écrase au sol. J'aimerais être une perle d'eau. M'échapper de cette pièce blanche sans issue. Froid. Horreur. Tristesse. Démence. Hurlements. Oui, elle m'a mise dans un asile. Ma propre sœur, je n’en reviens toujours pas. Lorsque je suis entrée, j'étais peut-être sonnée par les médicaments et les yeux vides mais j'ai entendu le médecin lui annoncer : <<Ne vous inquiétez pas, elle trouvera sa place ici. De toute façon je doute qu'elle ait une place autre que là.>>
Il a ri. Les poils de mes bras se sont hérissés et j'ai été parcourue de spasmes. Pour eux, ça a juste été une preuve de plus de ma folie. Je voulais qu'on me fiche la paix et je m'étais finalement dit que ce pouvait être un bon endroit : nourriture, soins, logement, des gens qui vous parlent comme un bébé. Avant je n'avais qu'un mot pour cet endroit sordide : tranquille. Il s'est rapidement effacé pour laisser place aux cinq autres ci-dessus. J'ai réussi à voler un carnet d'infirmière et un crayon la semaine dernière. J'écris ma vie car sans ça je pense que je vais réellement devenir folle. J'ai joué la comédie et je la joue tous les jours. J’ai compris que clamer ma sainteté d’esprit ne servirai à rien. Je ne parle à personne, ça me trahirais à coup sûr. Flemme de leur parler de toute manière.
Oh non, je ne suis pas folle. Ils ont sans doute convaincu tout le monde du contraire, avec les médias... Je vois bien les gros titres ; <<La veuve éplorée dont la famille a été assassinée à perdu la tête !>>. Mon seul moment où je peux faire preuve de plus de lucidité c'est lors de la promenade. Je m'extasie de tout et ils trouvent ça normal. Logique : tout ce que je vois, le reste du temps, c'est les quatre murs carrelés blancs, le lit et les toilettes avec lavabo. La majorité du temps, je m'assied à côté de la porte, pas pour m'enfuir mais pour regarder la fenêtre grillagée qui est à plus de deux ou trois mètres du sol. J'ai cessé de compter les jours et le temps. J'ai cessé d'attendre une visite depuis longtemps. J'ai cessé de croire. Je laisse le temps s'égrener jusqu’à ce que mon heure vienne. Plus d'une fois, j'ai tenté de me laisser mourir de faim mais ils ont toujours trouvé une parade et pas des plus agréables...
On m'a rasé les cheveux parce que les infirmières en avaient marre de se battre avec les nœuds. J'ai pleuré. Excessivement. Pendant une semaine. Un animal. Je devais ressembler à un animal. On m'a même enfilé une camisole de force. L'horreur. Le pire c'est les infirmiers. Eux, ils violent. Pas tous, mais la plupart se croient tout permis ; nous ne sommes que des démens stupides qui n'ont pas de conscience. J'ai été prise trois fois en une semaine, celle de mon arrivée. En riant ils ont dit que c'était leur manière de souhaiter la bienvenue. Souillée. Dès que quelqu'un rentrait je me réfugiais sous le lit pour échapper aux mains baladeuses. La nuit je pleurais consciente que s'ils me prenaient je serais démasquée. J'ai eu de la chance en quelque sorte, car il y en a qui frappent fort.
Je me suis vengée une seule fois d'un homme. J'avais préparé mon coup. Assise à même le sol, près de la chaise des visiteurs. Quand il est entré avec le plateau repas, j'ai fait semblant de bouder. Il a dû s'approcher du côté de ma tête, à l'opposé de la chaise. J'ai attrapé cette dernière avec une main et de toute la force que j'ai pu, je lui ai balancé à la tête. Ensuite, je me suis emparée du plateau et je l'ai abattu sur son visage. J'ai saisi le plateau et l'ai fracassé sur son nez. Ce dernier s'est brisé. J'ai hurlé et arraché mes vêtements. Je me suis jetée contre la porte pour attirer l'attention. Ça a marché ! Deux aide-soignants ont accouru. En ouvrant la porte à la volée ils m'ont vue à moitié nue et l'autre le nez en sang. Il a été muté dans un autre service pour incapacité de gérer un patient.
Le directeur a décidé de me laisser effectuer les promenades. Allez savoir pourquoi, mais je n'y avais pas le droit avant. J'ai vaguement compris que c'était pour calmer mes ardeurs et pour que je ne devienne pas violente si je restais enfermée. J'ai découvert le bonheur de l'air pur après un mois confinée dans ma cellule. Ils nomment ça "chambre" mais pour nous tous c'est une "cellule". Quand je sors, je cache le carnet dans mes vêtements. Je reste statique dans ma chambre, à trembler de froid contre le carrelage glacé. Mon visage n'exprime rien. Il est vide. J'ai souvent envie de tout casser mais je me retiens. Avec mon absence de paroles, j'ai échappé aux psys. Je ne suis pas démasquée du coup.
Aujourd'hui, on a été se balader. Mon infirmière est sympa, à chaque fois, elle me laisse m'asseoir sur un banc à l'ombre d'un arbre. Un vieux chêne sombre. Elle m'autorise aussi à me blottir entre les racines. J'aime bien sortir sous la pluie. Je me sens libre et en vie. Un autre "patient" à fait une crise et son accompagnateur n'arrivait pas à le maîtriser seul. La femme avec moi m'a jeté un coup d’œil et j'ai fermé les paupières. Elle a hésité un instant avant d'aller aider son collègue. Je suis restée un moment abasourdie. Seule !
Soudain, l'air de mon refuge se colore en bleu foncé. L'arbre devient noir. Je m'affole, je gigote, m'éloigne. Je tente de me lever seule mais mes jambes sont atrophiées à force de rester prostrée. D'habitude, quelqu'un m'aide à marcher. Je prend appuis sur le banc et lève la tête. Une sorte de tunnel bleu et blanc est devant moi. J’entends un cri : <<Eva !>>. L’infirmière m’a vue me lever. Pas la peine de m’appeler, je pars ! Peut importe si c'est la porte vers la mort ! Je me met debout sur le banc et pose un pied dans le vide. Je marche dans l'air ? Ais-je perdu définitivement l'esprit ? Mon prénom résonne dans l'air une seconde fois. Non, je ne me retournerais pas. J'avance et un éclair blanc m'aveugle. Je crie : <<LIBRE ! JE SUIS LIBRE ! >>. Ma voix est brisée, cela fait beaucoup trop longtemps que mes cordes vocales n'ont pas servi. Je m'écroule au sol, épuisée.
Quelque chose me chatouille le nez. Je me gratte et ouvre les yeux. Une mèche rousse. Il n'y a personne autour de moi. Je sais que mes cheveux sont roux, mais ils sont rasés, je ne comprends rien. Je passe une main fébrile sur mon crâne. Je ne sais comment, mais ils ont repoussé. Je pleure de joie, ça faisait longtemps que je n'avais pas été aussi heureuse. Je me décide à me lever. J'y arrive du premier coup, comme si j'étais guérie ! C'est magnifique... Je ris. Ça aussi, ça faisait longtemps que je ne l'avais pas fait ; comme c'est agréable ! Un écho d’un lointain souvenir depuis longtemps enfouis me fait penser à l’euphorie ressentie lors du premier monde que j’avais découvert. Cette sensation de liberté est si puissante. Libérée de toutes les chaînes du monde. Plus aucune contrainte. Au contraire de ma première évasion de la Terre, je sais qu’il n’y aura plus aucun retour, personne ne viendra me chercher, personne ne m’enfermera à nouveau.
Je remarque des ombres qui approchent. Tous ces gens ! C'est dingue. L'un m'adresse la parole :
— Bonjour, Eva. En voyant ce qui vous est arrivé, nous avons décidé d’intervenir pour vous libérer.
— Bonjour. Qui êtes-vous ? Vous, vous m’avez libérée ? Comment cela ?
— Après avoir trouvé toute seule un passage pour notre monde, et comme vous appréciez vos excursions, nous vous avons observée avec attention. Vous avez juste à savoir qu’ici vous avez une deuxième vie, profitez-en. Une nouvelle vie, avec de nouvelles personnes. L’entraide est un grand principe par ici, nous vous aiderons à construire votre logement et il est facile de trouver de la nourriture dans notre monde,. Vous êtes réellement libre Eva. On ne vous enfermera pas, on vous laissera vous faire une place parmi nous. Chacun fait ce qu'il veut ici, tout le monde est libre.
— Heu... Ça fait beaucoup d'informations d'un coup. J'aurai juste une question.
— Allez-y.
— Suis-je morte ?
Il y a un silence, puis un fou rire éclate. Je fronce les sourcils, pourquoi rient-ils, c’est pourtant une question sérieuse.
— Non, ma chère. Vous être dans un univers parallèle. Il y a un passage vers la Terre mais nous l'utilisons que rarement. Pour les cas extrêmes et désespérés tels que vous. De plus nous avons pris en compte cette force d’avoir toujours renoncé à quitter cette vie par vous même, vous vous êtes peut-être résignée mais vous avez choisi de continuer à vivre.
— Je vous remercie du fond du cœur, je n’avais plus d’espoir ni de réconfort en quoi que ce soit, je vous suis redevable.
— Je vous en prie, vous ne nous êtes pas redevable de quoique que ce soit, comme je vous l’ai dit, chacun est libre.
Ils me laissent seule, le temps de m’habituer, je respire à fond et ferme les yeux. C’est comme une renaissance.
Ce monde est sombre et clair à la fois. Bleu foncé ou vert foncé presque noir, et un bleu clair s'approchant du blanc pur. Entre les deux, se cale un bleu ciel. C'est beau. Je souris en repensant à l’autre monde de la pièce de l’appartement ; c’était encore plus beau, mais j’étais seule. Pas ici.
Je déambule parmi les arbres, de la mousse tapisse le sol. Fatiguée par tant de nouvelles, je m'allonge. C'est doux et chaud. Ma vie va être meilleure, il faut que je réapprenne à vivre, de nouveau. Encore une fois je me surprend à penser que ce sera mieux, sans problèmes. Rien ne saurais être pire que ce que j’ai vécu de toute manière. Je promet de profiter à fond. Enfin, je peux dire un énorme « merci » à tout le monde et j’arrive à leur pardonner ce qu’ils m’ont fait. Espoir, vie, amour, chance, bonheur. Cinq mots qui définissent ce lieu que j'avais qualifié « d'étrange » au début. Ces mots se muent en un seul.
Paix.
FIN
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