La tête d'or

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Ed avait passé une partie de la soirée dans un bar dansant avec ses potes. Ne les ayant pas vus depuis un moment, il s'était fait une joie de les revoir, mais il avait vite déchanté, car ils n'avaient pas changé. Durant leur conversation, ils scandaient toujours des slogans de pub, ils étaient formatés, modelés par la télévision. Leurs échanges ne portaient sur rien d'intéressant et pour combler un ennui chronique, ils se balançaient des vacheries à la figure. Cette bande d'amis se complaisait dans le jugement hâtif et finalement personne ne connaissait véritablement l'autre. Ed avait essayé de rester positif et de profiter de l'instant présent, sans succès. Étant déphasé par rapport à la jeunesse actuelle, il ne comprenait pas ses compagnons qui se ruinaient en enchaînant les consos au bar. Ils étaient en quête d'un bonheur artificiel ! Ed considérait, ces excès réguliers malsains et inutiles. Lucide, il avait décidé d'écourter la soirée en prétextant un réveil aux aurores et avait été gratifié de qualificatifs peu appréciables. Peu importe, il avait d'autres chats à fouetter...

Chez lui le jeune homme relisait continuellement le message de Baptiste Raoul. Ce type pouvait l'aider, il ne devait pas passer à côté de cette opportunité. Ed s'était renseigné, la nuit le parc était fermé, il était impossible d'y rentrer facilement et puis il devait sûrement y avoir des gardiens. Ne connaissant pas vraiment les lieux, sa seule chance de passer les barrières et de trouver Baptiste de nuit, c'était d'utiliser la pierre. Seulement un trajet était nécessaire, la prise de risques était certaine, il y aura peut être une nouvelle victime, mais il faut parfois, un mal pour un bien. Ed hésita jusqu'au dernier moment, puis il pria intensément :

« Dieu empêche-moi de commettre un massacre, je t'en supplie ! »

À vingt-trois heures cinquante-cinq, stressé, Ed empoigna la pierre et il ferma les yeux. Ed tenta de visualiser sa destination, dans son esprit, des formes grossières se bousculèrent et s'assemblèrent. L'ensemble s'affina pour laisser place à une esquisse du Boulevard des Belges, ensuite les détails affluèrent et Ed fut submergé. Son âme fut propulsée, et désormais, il naviguait dans la réalité. L'entrée du parc s'offrait à lui, il la traversa sans difficulté, puis il vagabonda entre les daims, le jardin botanique et le zoo. Malgré l'obscurité, sa vision lui permettait de repérer n'importe quel être vivant, il continua son chemin en traversant la pelouse de la Coupole, son objectif, était d'atteindre la grande roseraie, mais il s'arrêta net en repérant un individu au bord du lac. Sa tunique ample couvrait son corps et son visage. Intrigué, Ed se rapprocha de lui à la vitesse de l'éclair, puis excité, il virevolta autour. Sous sa capuche cet homme mystérieux portait un masque doré, cette dégaine, cette allure, c'était sûrement Baptiste Raoul !

Edward recula à plus de vingt mètres, et il lâcha prise pour basculer dans le néant. En sentant l'air frais contre ses joues, il prit conscience de sa matérialisation et il ouvrit ses yeux. Calmement mais bruyamment, il s'approcha. Des brindilles craquèrent à chacun de ses pas, mais le type restait figé, au clair de lune, il observait les étoiles.

Ed se racla la gorge, puis il brisa le silence en lançant :

— Baptiste Raoul, c'est bien vous ?

Aucune réponse n'arriva, après avoir dégluti le jeune homme rassembla ses forces pour déclarer :

— J'ai besoin de votre aide !

D'une façon théâtrale, l'étranger fit volte-face et d'une voix rocailleuse il répliqua :

— Approche Edward , mais contemplons d'abord les étoiles ensemble !

Ed fut décontenancé par cette réponse et ses yeux s'arrêtèrent sur le masque doré à trois faces que portait l'inconnu. Le visage central était en colère, celui de gauche représentait la tristesse tandis que celui de droite symbolisait la joie. Admiratif, le jeune homme s'avança, puis il imita son mentor en regardant le ciel.

Après de longues minutes Baptiste Raoul murmura :

— C'est un spectacle magnifique n'est-ce pas ?

— Oui...

— Sais-tu reconnaître les constellations ?

— Non.

— Tu as encore bien des choses à apprendre !

— Je confirme, c'est pour ça que je suis venu.

— Je suppose que tu es tourmenté par les massacres que tu as perpétrés ?

— C'est exactement ça !

— Comme je te l'ai dit, je peux te sortir de cet enfer, tu n'auras plus de cauchemars, plus de regrets et ta culpabilité s'envolera.

— Je suis partant, dites-moi ce que je dois faire !

— C'est simple, mets-toi à quatre pattes et laisse-toi faire !

Ed écarquilla les yeux et Baptiste Raoul éclata de rire avant de lâcher :

— Rassure-toi, je déconnais mec ! Tu viens de passer le premier test avec succès. Maintenant, passons aux choses sérieuses ! C'est une épreuve de confiance, ferme les yeux et ne les ouvre pas tant que je t'en aurai pas donné l'ordre.

Le jeune homme s'exécuta et plongé dans le noir, il s'interrogea. En quoi allait consister ce second test ?

Avec ses sens en éveil, il s'attendait à tout, un silence pesant s'installa et après quelques secondes, il sentit des doigts frôler son front. Baptiste Raoul le caressait lentement en décrivant de petits cercles puis il murmura des paroles inaudibles. Intrigué par un chuintement métallique, Ed entre ouvrit ses paupières et il vit quelque chose briller à la lueur de la lune. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ?

Subitement, le jeune homme grimaça en sentant un objet glacé pénétré dans ses entrailles, c'en était trop, il ouvrit les yeux et constata avec horreur que l'étranger venait de le planter, du sang sortait abondamment de la blessure.

« Bordel » songea-t-il !

Baptiste Raoul hurla de rage avant de retirer le couteau :

— Je t'avais dit de garder les yeux clos connard ! Tu as tué une dizaine de personnes et tu croyais que j'allais te laisser filer.

— Je ne comprends pas, tu devais m'aider...

— T'inquiète pas, tout se passe pour le mieux. Une fois mort, tu ne feras plus de mal à personne ! J'ai tenu ma promesse, je ne vois pas où est le problème...

L'inconnu le poignarda de nouveau, puis il enleva son masque pour boire au goulot d'une fiole. Malgré la pénombre Ed reconnut ce visage torturé, il s'agissait de Gurval Lameliche. Cet enfoiré lui avait tendu un piège !

Abattu et perdu dans ses pensées, Ed tomba à genoux, il se vidait de son sang, ses mains étaient déjà écarlates, mais il trouva la force d'articuler :

— Comment tu as su ?

En le regardant dépérir, Gurval savourait sa victoire puis il s'approcha lentement en jacassant :

— J'avais besoin de t'interroger pour avancer mon enquête, mais tu étais introuvable. Donc je suis passé chez toi et j'ai découvert par hasard la vidéo qui allait m'aiguiller sur ta vraie nature. Tu es un malade mental Edward et je ne pouvais pas te laisser entre les mains d'une justice trop clémente !

— Tu ne vaux guère mieux que moi ...

— Tu vas te taire connard !

L'enquêteur serra son poing et cogna Ed au visage. Puis afin d'assouvir sa soif de vengeance, il s'acharna sur le corps inerte en le frappant continuellement. À bout de souffle, il se releva et satisfait il s'en alla doucement en songeant : « l'homme à la hache ne pourra plus faire de mal à personne ».

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