L'embrasement médiatique
Le soir venu, Gisèle était dans son fauteuil avec un chapelet à la main. Depuis plus d'un mois, elle avait pris cette habitude en apprenant la disparition de Gurval Lameliche au journal télévisé. Secrètement, elle s'inquiétait et priait régulièrement pour Edward. Où qu'il soit ce jeune homme avait sûrement besoin de soutien ! Elle espérait de tout cœur le revoir, sans lui, elle se sentait seule, peu de gens lui rendaient visite.
En allumant sa télévision Gisèle tomba sur un de ces énièmes débats liés à l'actualité. Des personnes « importantes » étaient sur le plateau pour décrypter les événements récents. Tous avaient des avis bien tranchés et le dialogue était inexistant. La seule chose à retenir, c'était que l'homme à la hache perpétrait toujours ses meurtres en France mais qu'un effet de contagion touchait désormais d'autres pays. Des imitateurs avaient été arrêtés en Angleterre et en Belgique mais leurs profils étaient déconcertants. Des hommes et femmes ordinaires se mettaient à massacrer leurs semblables sans raisons apparentes, comment stopper ce phénomène ? Qu'elles en étaient les origines ? Certains expliquaient la situation avec l'accroissement des inégalités sociales et le recul des valeurs morales. Ce monde financier avait fini par nous déshumaniser. Les gens du milieu médical avançaient que ces tueurs étaient simplement des déséquilibrés mentaux en état de latence. Bref tous les avis s'entrechoquaient pour former une cacophonie déconcertante, Gisèle songea qu'il était préférable d'éteindre sa télé pour ne pas terminer complètement neuneu.
La vieille dame avait remarqué que même à petites doses, les « JT » l'avaient rendu plus craintive vis-à-vis du monde extérieur, maintenant elle avait pris pour habitude de s'enfermer chez elle alors qu'avant ça ne lui serait pas venu à l'esprit. La peur s'était insinuée en elle délicatement, jour après jour et la beauté du monde avait commencé à décliner. Non c'était, sa flamme intérieure qui vacillait, elle devait à tout prix réagir pour éviter de tomber dans une spirale descendante et se transformer en zombie. La volonté, cette faculté essentielle, chaque être devrait la conserver. Quant à l'amour et la compassion, c'était le remède, il fallait garder la foi, se battre pour ses convictions et croire à des lendemains meilleurs ! En entendant le portail grincer, Gisèle fut tirée de ses pensées. À une heure si tardive, elle ne recevait pas de visites !? Méfiante, elle s'approcha de sa fenêtre et tenta d'observer quelque chose à travers les volets entre baillés. Malgré ses yeux imparfaits, dans la nuit, elle distingua un homme approcher. Qui était ce loustic ? Peut-être un de ses tordus malfaisants qui défraye la chronique ? Quoi qu'il en soit, à moins d'avoir une bonne raison, on ne dérange pas les vieilles dames à cette heure-là ! Dans le cerveau de Gisèle, une joute mentale se déroulait et la curiosité l'emporta sur la peur. Décidée, elle déverrouilla la porte et alluma la lumière du porche pour aller à la rencontre de l'individu. Une légère brise fraîche lui tira quelques frissons et la silhouette se figea dans les ténèbres, Gisèle se demanda si son choix de sortir était judicieux. D'une voix chancelante, elle s'écria :
— Qui êtes vous ? Sortez de l'ombre !
Aucun geste, pas de réponse, l'ambiance devint pesante. Du haut de ses quatre vingts balais, elle ne se démonta pas ! À quoi bon ? Elle en avait vue des vertes et des pas mûres, sans hésiter, elle rétorqua :
— Avancez sinon j'viens vous chercher par la peau des fesses !
L'homme ne broncha pas et en grommelant, Gisèle brusqua ses vieilles guibolles pour aller à sa rencontre. Elle s'arrêta à une distance raisonnable, puis elle vociféra :
— Vous m'avez mise en rogne !
Le type éclata d'un rire cristallin, il avança de quelques pas, son visage resta dans l'obscurité, mais dans la pénombre son corps se dévoila. Ses mains ridées le trahissaient, il s'agissait d'un vieillard. L'inconnu fit un geste brusque, par réflexe Gisèle recula puis fièrement elle resta campée sur ses positions. La fuite n'était pas envisageable ! Le cœur battant la chamade, elle observait le type, il se trémoussait gracieusement. Puis délicatement, il ouvrit sa main et une multitude de lucioles s'en échappèrent. Baignée dans une clarté féerique, la vieille dame fut émerveillée et son regard croisa celui de l'inconnu. Ses yeux, ce visage, était-ce Sadjo Bel ? Aucun doute ! Son amour de toujours était revenu, ses jambes flageolèrent et envahie par l'émotion, elle resta immobile. D'une démarche souple et élégante Sadjo s'approcha, puis il l'enlaça tendrement avant de lui murmurer dans le creux de l'oreille :
— Je suis de retour !
Blottie contre le buste de son bien-aimé, Gisèle pleura de joie et en hoquetant, elle articula difficilement :
— Qu'est-ce qui t'as décidé à revenir ?
— Tu le sais pertinemment, ma chérie. Je vais rester à tes côtés maintenant.
Gisèle jubilait, le plan d'Ed avait fonctionné à merveilles. Il n'avait pas choisi le nom de Sadjo Bel par hasard. L'objectif était de mettre la ville de Lyon en ébullition, que les médias s'en mêlent et que la nouvelle se répande tel une traînée de poudre dans le monde entier. Tout cela dans l'espoir de piquer au vif la curiosité du véritable Sadjo Bel, qu'il se questionne et qu'il finisse par rappliquer. Edward avait été scandalisé par les propos de Gisèle et il lui avait promis qu'elle reverrait son mari si celui-ci était encore en vie ! Il avait dit : « Même si on est un électron libre, on n'abandonne pas sa femme comme ça ! ».
Le vieillard regarda Gisèle droit dans les yeux et il prit la parole :
— Pourras-tu me présenter le jeune magicien ?
— J'aurais aimé, mais je ne l'ai pas revu depuis plus d'un mois et je m'inquiète pour lui...
— A-t-il été confronté à la mort d'un proche ?
— Oui ! Sa copine a été assassinée...
— Alors, je crains qu'il soit perdu !
— Explique-moi ce qu'il se passe Sadjo !
— Je ne pense pas que tu sois au courant car ton ami a voulu te protéger, mais il n'a pas fait ses tours incroyables comme ça... Il n'y a jamais eu d'illusion, son tour de magie n'était que tromperie, il possède un pouvoir !
— Je m'en doutais un peu, ce qu'il faisait était tellement extraordinaire. Je ne voulais pas le mettre dans l'embarras en le questionnant.
— Je te comprends mais, aujourd'hui, son pouvoir le possède et il n'est plus maître de rien.
Gisèle pleura et son mari la réconforta en chuchotant à plusieurs reprises :
— Ce n'est pas de ta faute.
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