Avec une toile sous le bras, Aldo poussa la grande porte de l'église et il s'engouffra à l'intérieur. Son regard s'attarda sur les voûtes et les détails architecturaux puis en cherchant Jean, il avança dans la nef. Près du chœur, il repéra son ami avec les mains jointes et les genoux au sol, il priait. Aldo ne le dérangea et doucement, il s'installa sur un banc afin de l'attendre patiemment. Après de longues minutes Jean se leva et en apercevant le colosse, il éclata de joie. D'une voix calme et enthousiaste, il lâcha :

— Mon ami ! Qu'est-ce qui t'amènes dans la maison du seigneur ?

— Tu m'héberges depuis plus d'un mois, je viens t'apporter un présent pour te montrer ma gratitude.

Aldo, posa le cadre au sol, puis il ôta le drap qu'il avait enroulé autour. Avec ses grandes paluches, il l'empoigna et timidement, il présenta son œuvre. En découvrant une représentation éblouissante de l'enfant Jésus et de la vierge Marie, Jean fut ému jusqu'aux larmes. Aldo avait un don de Dieu, c'était indéniable ! Le prêtre s'exclama :

— Ton tableau est magnifique et je sais où l'accrocher ! Suis-moi !

Même si Jean était pointilleux et qu'il souhaitait un alignement parfait, les deux amis ne mirent que quelques minutes pour fixer l'énorme tableau contre le mur. Satisfaits, ils contemplèrent la toile en silence, mais cet instant de paix se brisa quand la grande porte de l'église s'ouvrit brusquement. Un jeune homme désorienté entra dans l'édifice. Son visage était marqué par la fatigue et les soucis. Sur ses frêles épaules, il semblait porter un fardeau trop important. Hagard, il avançait en chancelant, et sans hésiter Jean s'approcha de lui pour le soutenir. Puis, il l'invita à s'asseoir sur un banc avant de demander :

— Que puis-je faire pour toi ?

Le regard plongé dans vide, le jeune articula lentement :

— Je ne sais pas ! Le mal coule dans mes veines et il me dévore chaque jour un peu plus.

— Explique-toi !

— C'est une histoire longue et je ne sais pas si vous êtes prêt à l'entendre...

— N'hésite pas, j'ai tout mon temps et dans le cadre d'une confession, je suis tenu au secret.

— Je ne sais pas, ça craint. Et puis vous risqueriez de sombrer avec moi...

Jean resta silencieux puis avec un large sourire, il rétorqua :

— En es-tu sûr Edward ?

— On se connaît !?

— Oui, un soir, je t'avais pris en stop !

— Ça me revient...

— Écoute, je pense que Dieu t'a conduit ici pour une bonne raison. C'est l'occasion de te libérer !

Ed regarda le prêtre droit dans les yeux et en balbutiant, il commença à raconter le rêve qui avait tout déclenché puis il enchaîna avec son déménagement et la découverte de la pierre.

Mis en confiance par cette oreille attentive, il continua en expliquant sa première dématérialisation puis il révéla :

— J'ai donné de nombreux spectacles sous le nom de Sadjo Bel ! C'était excitant, mais très vite, j'ai été confronté aux limites de la pierre. Enfin, c'était ce que je pensais, mais en fait, j'avais perdu le contrôle. Je ne l'ai peut-être jamais eu d'ailleurs !

Songeur, Ed baissa la tête avant de la relever brusquement et de vociférer :

— Cette putain de pierre, s'est joué de moi, et grâce à Marianne, je me suis rendu compte que la téléportation, n'était pas instantanée ! Ça pouvait varier de deux secondes à plusieurs minutes. Quelle importance, vous allez me dire ? Ce pouvoir restait une bénédiction !

Pour Jean, ce pouvoir était tout sauf une bénédiction, car les grâces de Dieu ne plongent pas les gens dans le malheur. Mais, il ne voulait pas offusquer le jeune homme et à contre cœur, il déclara :

— Je te comprends.

D'une voix marquée par l'émotion, Edward continua son récit :

— Ce n'est qu'à la mort de ma copine que j'ai compris la supercherie. Durant le temps de téléportation, sans le savoir, je devenais un monstre ! Vous avez entendu parler de l'homme à la hache ? Et ben c'est moi...

Honteux, Ed éclata en sanglots et Jean le réconforta en l'enlaçant tendrement. Quand le jeune homme eu retrouvé ses esprits, il le regarda droit des yeux et il tenta de capter son attention :

— Tu veux que je te raconte une histoire ?

Edward acquiesça et Jean commença :

— Il était une fois un petit poisson de rivière nommé Eddy. Il était libre et pouvait nager où bon lui semblait. Il était courageux et pouvait au prix d'un bel effort aller à contre courant. Comme il était petit, il avait besoin de peu de nourriture pour survivre, mais il était gourmand. Un jour, Eddy tomba nez à nez avec un met délicieux. Peu de poisson avait l'occasion de manger une telle merveille. Il n'avait pas spécialement faim, mais poussé par l'envie, il ouvrit la bouche pour le manger. Comme prévu, la première bouchée était exquise et ses sens en furent tous émoustillés, à la deuxième, un hameçon le transperça. Contre sa volonté, il fut brutalement tiré hors de l'eau par le diable. Comprenant sa bêtise, Eddy gesticula dans tous les sens mais accroché au bout de la ligne, il était captif. Une main puissante l'agrippait pour l'immobiliser et le contraindre. N'étant plus dans son élément, Eddy commençait à asphyxier et son âme s'étiolait...

Ed avait écouté attentivement le récit et il demanda :

— Est-ce qu'Eddy s'en sort ?

Le prêtre rétorqua :

— Edward, pour l'instant je ne connais pas la suite de cette histoire. Par contre, toi tu l'écriras, mais si tu en ressens le besoin, je peux t'aider à rédiger une fin heureuse.

Perdu, le jeune homme se leva pour regarder la sortie, la fuite était encore possible mais en songeant à Marianne, il se ravisa. Pris de tremblements, il plongea la main dans sa poche pour sortir la pierre, et en la tendant à Jean, il déclara timidement :

— Prenez-la !

Jean saisi délicatement la pierre entre son pouce et son index. Puis il la fit rouler entre ses doigts pour l'observer dans ses moindres recoins. Comment ce caillou avait-il pu asservir Edward ?Circonspect, il regarda le jeune homme. Qu'est-ce qu'il fallait faire ?

Dans le doute, Jean récita quelques paroles inaudibles, soudain, il sentit une chaleur douce et sournoise émaner de la pierre puis un flot de pensées abjectes lui vint à l'esprit. Il la jeta au sol, aucun doute possible, elle était infestée ! En tant que prêtre exorciste, il se devait d'agir. Rapidement, il se dirigea vers le bénitier et avec ses mains, il puisa de l'eau. Puis en prononçant des prières, il la versa sur la pierre. Accroupi et concentré, il surveillait une réaction qui ne vint pas. Néanmoins, Jean se questionnait à propos d'Ed. Était-il lui aussi touché par ce mal ? Il fallait vérifier ça, mais sans l'alarmer ! La solution, c'était de ne pas parler d'exorcisme. Jean zyeuta le jeune homme et en maniant l'euphémisme, il lâcha :

— Es-tu d'accord pour que je te donne une bénédiction ?

— Si, ça peut me faire du bien, je suis partant !

— Alors, suis-moi !

Le prêtre ramassa la pierre et les deux hommes s'en allèrent.

Dans une salle à proximité de l'église, debout, Edward attendait Jean. La porte s'ouvrit, le prêtre fit son apparition, il était habillé d'une aube blanche et d'une étole violette. Muni d'un crucifix et d'une bible, en regardant Ed, il entonna :

— Est-ce que parfois, tu as mal à l'estomac ou à la tête ?

— Non !

— Est-ce que tu es baptisé ?

— Oui !

— Ça marche ! Tu es prêt ?

Ed acquiesça timidement et Jean commença le Rituel en prononçant quelques paroles en latin. Ensuite, il aspergea son patient d'eau bénite, puis posa un pan de son étole sur son cou et appliqua la main droite sur sa tête. À première vue, pas de signe de négativité, Ed semblait clean, mais parfois, il arrive que le démon se cache pour ne pas être chassé. Grâce à son expérience dans ce domaine, Jean était confiant, le mal devait provenir exclusivement de la pierre, mais par précaution, il proposera à Ed de revenir afin de garder un œil sur lui.