Rêve
Installé depuis une semaine, Edward était aux anges. Il venait de faire le ménage et avant d’accueillir Marianne sa copine, il inspectait son appartement. Dans la pièce principale, il avait imaginé un coin cuisine en installant le réfrigérateur-congélateur et la table à manger à côté. Dans l’autre moitié, c’était la partie salon. Elle était formée : d’un canapé, d’une table basse, d’une télévision, d’un baby-foot et de quelques étagères. La décoration était sommaire pour le moment, il la peaufinerait avec le temps. Dans la chambre, son lit deux places était imposant et laissait peu d’espace pour le reste. Sur le meuble de chevet, le Dream Journal était là. Il prit le temps de le feuilleter, son regard se figea sur un paragraphe. En lisant quelques mots griffonnés à la hâte, des images, des odeurs lui revinrent à l’esprit. Il perdit pied et bascula dans son imaginaire.
Son rêve revenait à la surface. Au cœur d’une forêt dense, Edward était en fuite. Ses assaillants étaient trop nombreux et ils se rapprochaient dangereusement. Épuisé par cette course-poursuite, il espérait trouver un refuge. Son regard s’arrêta sur un baobab creux, une cachette idéale. Il se glissa à l’intérieur, mais le répit fut de courte durée. Il se rendit compte qu’il était encerclé par les archers belliqueux. Il n’y avait plus d’issue possible. Piégé, il envisageait sa mort avec une certitude déconcertante. Au cœur du tronc, un grignotement l’interpella. En se rapprochant du bruit, il décerna un écureuil. L’homme et la bête échangèrent un regard complice. Puis le rongeur confia une pierre à Edward et baragouina :
— Voici ton échappatoire. Avec, où tu veux être, tu seras .
Hésitant, le jeune homme s’empara du caillou. Après avoir effectué un clin d’œil magistral, l’écureuil fila à toute vitesse. Envahi par un espoir de liberté, Edward serra la pierre dans sa main. Sa paume dégagea une chaleur apaisante puis il disparut. Edward venait d’apparaître, plus loin, hors de danger. À l’écart, il regardait les guerriers prendre d’assaut le baobab. Incrédules, ils peinaient à comprendre que l’arbre était vide.
La pierre de son enfance si spéciale à ses yeux, il en avait rêvé le mois dernier ! Le songe était encore très présent dans son esprit, tenace, indélébile. Il fonça en direction du placard mural pour ouvrir un carton, puis il fouilla frénétiquement à l’intérieur. Après avoir longuement brassé des Pogs, des coquillages et des billes, ses doigts se refermèrent sur un objet. Il tenait dans sa main la pierre de son rêve. Il n’y avait pas de doute, cette forme, cette couleur, il ne pouvait pas l’oublier.
Son téléphone vibra et après un SMS reçu, c’était le retour à la réalité. Marianne était en bas dans la rue. Pour Edward, elle était incroyable. Il ne l’avait pas charmée, c’était elle qui l’avait séduit. Elle était espiègle, curieuse, pétillante, audacieuse et il avait succombé. Il mit la pierre dans la poche arrière de son jean, puis il descendit calmement les escaliers et il traversa la cour intérieure pour déboucher sur le hall. Elle était en face et profitait des bouquets et plantes qu’exposait le fleuriste. Elle était petite et ses cheveux bouclés descendaient juste au-dessus de ses épaules. Elle humait délicatement des roses. Échange de regard, sourire réciproque, joie de se retrouver, elle se jeta dans ses bras pour l’embrasser. Ils restèrent enlacés un moment, puis Edward l’invita à découvrir son appartement.
En principe, ils se retrouvaient un week-end sur deux. En ce moment c’était plus décousu, car sa belle était en vacances durant l’été et elle était souvent en vadrouille avec ses copines. Marianne étudiait à Lyon dans une école de comptabilité. Un milieu complètement étranger et abstrait aux yeux d’Ed qui travaillait dans l’industrie.
Un cri de victoire résonna dans l’appartement, Marianne venait de gagner au baby-foot. Avec une mimique narquoise et la langue tirée elle murmura :
— Je t’ai laminé mon cœur.
En faisant la moue, Edward répondit :
— Je n’aime pas perdre.
Marianne s’approcha de son homme. Un câlin réconfortant, c’était la meilleure des solutions pour oublier une défaite. Avec grâce, elle lui caressa les épaules, et ses mains délicates descendirent doucement le long de son dos musclé, pour s’arrêter sur ses fesses, puis elles glissèrent dans les poches du jean. Ses doigts frôlèrent un objet. Curieuse, elle le tâta puis regarda Edward en souriant :
— C’est une pierre ?
Il acquiesça d’un mouvement de la tête et l’embrassa fougueusement. Elle s’agrippa à lui pour enrouler ses jambes autour de sa taille et approcha ses lèvres pulpeuses de son oreille pour lui susurrer ses désirs. Il la porta dans la chambre. Envie intense, corps entrelacés, plaisir charnel, apothéose.
Allongé sur le côté, Edward caressait le dos de sa chérie qui de temps à autre, frissonnait. Marianne brisa le silence :
— Ed, pourquoi cette pierre est dans ta poche ?
— Avec, je suis invincible !
— Non sérieusement ?
Edward s’allongea sur le dos puis il raconta son rêve et Marianne écouta son récit avec attention. Il hésita puis nu, il se leva pour fouiller son jean et lui présenter la pierre.
En tenant le galet à deux doigts, il entonna :
— Avec, je sens que je peux me téléporter.
Incrédule, Marianne ricana :
— Dans tes rêves seulement !
Vexé, il lui jeta la pierre au visage. Trop lentement, elle l’intercepta et sourit.
— Je la tiens dans le creux de ma main et je pense très fort à un lieu, c’est ça ?
Elle serra la pierre, ferma les yeux, se concentra sur une destination. Rien ne se passa, elle était toujours sur le lit. Durant un instant, elle y avait cru, une vague de désillusion la gagna, elle rit jaune et d’une pichenette elle envoya valdinguer le caillou à l’autre bout de la chambre. Sèchement, elle annonça :
— Les songes restent des songes Edward… Et puis tu as plus important à faire ! On doit préparer ta pendaison de crémaillère.
D’un signe de la tête, Edward acquiesça.
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