Ch2 - partie 1
« Une partie de jambes en l’air au pied levé ? »
(H. Iké)
– Hilde !... Hilde !... Où es-tu ? appela la jeune femme qui courait à perdre sa laine sur le sinueux sentier aux senteurs sylvestres menant à la cabane de la devineresse.
Arrivée devant la maison, elle s’arrêta pour de ne pas foncer dans la porte. Puis, comme vous, elle retint sa respiration haletante pour écouter... Le silence de la forêt régnait, à peine troublé par le frémissement des feuilles sous la brise. Seul un gazouillis de moineaux témoignait d’une présence dans les environs. Dans cette banale ambiance, elle scruta alentour... Pas de Hilde, ni même l’ombre de sa chatte qui l’accompagnait habituellement. Et qui ne faisait pas beaucoup d’ombre de toutes façons.
Soudain, un craquettement la surprit. Elle leva la tête. Sur la cime d’un vieil arbre, à deux pas, trônait un énorme nid dans lequel un couple de cigognes s’affairait. Comme ça Ferré les fera partir à l’heure.
Quelques rémiges tournoyèrent vers le sol moucheté de fientes blanches.
N’y tenant plus, elle s’accroupit au pied de l’arbre et urina.
Le claquement des becs se tut alors qu’elle se rhabillait, laissant ouïr un bruit faible et régulier, celui de sabots sur le sol terreux.
Sans hésiter, elle tira la chevillette ; la bobinette chut. Elle poussa la porte et entra promptement dans la maison. Personne. Elle se dit qu’elle pourrait peut-être s’y cacher, mais il n’y avait qu’une seule pièce et il aurait vite fait de la débusquer. Elle avisa un coffre de bois, en souleva le couvercle d’une main et glissa l’autre sous son pourpre pourpoint d’où elle retira un objet cylindrique qu’elle y jeta prestement.
Cependant, le galop se rapprochait, l’incitant à ressortir. Elle courut pour tenter de fuir. Trop tard ! Le cavalier l’aperçut juste avant qu’elle n’eût pénétré la sylve. En quelques tagadas, il fondit sur elle, sauta de sa monture et la plaqua au sol (la jeune femme, pas la monture). Elle se débattit avec force coups de poings sur le poitrail et coups de pieds dans les couilles de son agresseur qui, pourtant, finit par l’immobiliser, allongée, sous son poids. Puis il introduisit une main sous le vêtement de la jeune femme, sentit la chaleur de sa poitrine, palpa, puis la ressortit pour la glisser dans les braies (celles de la jeune femme, pas de la monture puisque c'était un cheval et que seuls, les ânes braient). L’humidité ambiante ne le perturba pas davantage.
Visiblement courroucé, il se redressa, restant assis sur le bassin de sa victime, et lui demanda dans une langue qu’elle ne comprenait pas, mais que je vous traduis pour que vous, vous puissiez saisir le sens de la scène :
– Où est-il ?
Elle savait toutefois ce que le cavalier recherchait, et lui répondit en secouant la tête.
L’homme brandit alors une dague dont il appuya la pointe sur la gorge de la femme tandis que, de l’autre main, il défit le cordon maintenant le bas (les susnommées braies ou le pantalon, dirait-on aujourd’hui). Il s’en servit pour lui lier les mains qu’il attacha au pied d’un arbre en s’aidant de la corde récupérée sur la selle de son cheval broutant paisiblement à proximité. Puis il n’eût qu’à tirer sur le vêtement pour le faire glisser le long des jambes de la jeune femme.
Il reposa la question.
Elle secoua une nouvelle fois la tête.
Pourquoi une telle réaction ? Ignorait-elle la peur ? Avait-elle des carences sexuelles ou des fantasmes inassouvis ?
Il abaissa son propre bas en peau de je-ne-sais-quoi.
Elle sourit.
Pour quelle raison ?
Il n’eût pas le loisir de s’en enquérir.
On entendit un bruit sourd, celui d’un gourdin de bois sur un crâne. Le sien.
Il s’effondra, la tête venant se ficher en haut des cuisses blanches de la jeune attachée.
– Eh bien, ma belle, te voici fort dépourvue ! Tu fus attrapée comme un lièvre et mise à nu. Encore un peu et il s’en prenait à ton cul !
– Cesse donc, toi, de parler comme un manuscrit, et aide-moi à me libérer des entraves que cette montagne de chair poilue batave m’a mises afin de m’avoir à sa merci.
– Il n’est point Batave. J’opterais pour un Turc.
– Comment le sais-tu ? As-tu compris ce qu’il dit ?
– Oui. Mais aussi, il a une tête de Turc et, en plus, tu vois bien qu’il bande comme un Turc...
Ainsi parla Hilde en libérant la jeune femme.
Elle ajouta, en soulevant la tête de l’homme par les cheveux :
– J’ai dû frapper fort, du sang s’écoule de son nez.
– C’est pas le sien, c’est le mien... Mais que fait ce Turc ici ?
– Tu devrais le savoir, Mesch, c’est après toi qu’il en a.
– Je sais pourquoi il me poursuit mais pas ce qu’il fait là. Je ne connais d’ailleurs pas ce peuple...
– Étrange, il est vrai... Les Byzantins ont plutôt tendance à aller vers l’Ouest pour conquérir des terres... Maintenant, qu’est-ce qu’on va faire de lui ?
– On l’attache à l’arbre...
– Pas question, rétorqua Hilde, je ne veux pas de voisin ! On va le tirer jusqu’à la corniche et on le poussera...
– Et moi, je récupère son cheval, conclut Mesch en finissant de se rhabiller.
Les deux femmes retournèrent ensuite le bonhomme comme une crêpe, le saisirent tel une pièce de boeuf, mais sans feu et chacune par une jambe, puis terminèrent leur besogne en le faisant dévaler la pente abrupte, enveloppé dans ses vêtements beiges en peau de...
– Chèvre !
... merci Hilde, de chèvre : un yufka géant roula et s’enfonça dans les broussailles avec fracas, 5 mètres en contrebas.
Leur besogne accomplie, les comparses regagnèrent la demeure de la devineresse.
– Tu n’as pas entendu mon appel, tantôt ? demanda Mesch. Je criais ton nom tout en courant ! Où étais-tu ?
– En haut d’un chêne, en train de cueillir, avec entrain, du gui.
– Je te savais devineresse ; ainsi, tu es aussi druidesse !
– Je progresse !
– Et... peut-être... maîtresse ?
– Je le confesse !
– Princesse ?
– Trêve de politesse, je ne suis même pas duchesse ni comtesse ; rien de tout cela ne m’intéresse.
– Qui sait ! Peut-être, un jour, finiras-tu déesse !
– Plutôt diablesse, au volant d’une Mercedes !
– Qu’est-ce ?
– Trop long à expliquer... Laisse...
Elles n’avaient de cesse d’utiliser des esses ; d’ici que s’y accrochât une histoire de fesses...!
– Et ça t’angoisse ?
Non, je voudrais simplement que l’histoire progroisse, quoi...
Ben ça ! Je viens d’avoir un nouvel échange avec Hilde ! Vous avez lu !? Elle m’avait déjà fait le coup de la chèvre, juste avant ! Aurais-je laissé la porte de l’armoire ouverte ? Et même...!
– Non, ça ne m’angoisse pas.
– Je ne m’adressais pas à toi, Mesch.
– À qui, alors ?
– Peu importe... Dis-moi, où est-il ?
– À qui parles-tu ?
– À toi, voyons, La Rebelle !
– Ah, bon !
Un silence.
– Alors ?
– Quoi ?
– Où est-il ?
– Qui ?
– Tu le sais très bien. C’était la question que t’a posée le Turc. C’est pour cela qu’il te poursuivait !
– Dans le coffre.
– Lequel ?
– Celui-ci, fit Mesch en indiquant le conteneur de bois.
Hilde l’ouvrit et s’exclama, sans originalité :
– Ça alors ! Le Grand Manuscrit ! C’est donc toi qui l’avais !
– Bah, grand... grand... Ce n’est tout de même qu’un rouleau...! répondit Mesch sans regarder.
– Tu appelles ça un rouleau ? s’étonna encore Hilde en présentant un gros livre à la visiteuse.
– Ça, je vois bien que c’est un livre, mais ce n’est pas à moi !
– Mais alors, d’où vient-il ?
– Je ne saurais te dire ! Tu devrais savoir mieux que moi ce qui se trouve chez toi !
– Si ce n’est ça, quel est alors l’objet que tu as mis dans mon coffre ? À part le manuscrit, je ne vois rien de plus, annonça Hilde en scrutant le coffre.
Il faut dire qu’il y avait de quoi scruter car il ne faisait pas très clair dans la demeure de Hilde : en ce temps-là, on connaissait les baies du mûrier mais on n’avait pas encore inventé les baies vitrées.
– Regarde bien, je t’ai dit qu’il s’agissait d’un rouleau, un parchemin enroulé, pour être précis.
– Regarde toi-même ! Tu me racontes des faussetés ! Tu me vois niaise ? s’énerva Hilde.
Mesch, qui n’aimait pas se faire allumer, s’approcha du coffre, vérifia et admit :
– Tu dis vrai. Mais je ne comprends pas ! Je suis sûre d’y avoir jeté le rouleau, tantôt ; puis je suis ressortie pour essayer d’échapper au Turc. Il est peut-être entré ici le récupérer, juste avant de me sauter dessus...!
– Non. Il ne t’aurait pas demandé où il est, dans ce cas... Et qu’a-t-il de spécial, ce rouleau ?
– Aucune idée...
– Et l’homme, tu le connais ?
– Pas vraiment.
– Fais pas la bêta, Mesch, on n’est pas chez Arthur. Si tu es venue jusqu’à moi, c’est pour me parler...
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