Récapitulatif au cimetière
Les enterrements m’ont toujours inspiré. Ok, je l’avoue, c’est assez macabre comme affirmation, mais elle n’en reste pas moins vraie, au risque de passer pour un psychopathe ou un déviant mental. Mais il n’en est rien ! Les funérailles sont toujours chargés d’émotions, et pas celles auxquelles on pense forcément. Bien évidemment, la première est la tristesse, celle de la famille, des proches, de ceux qui regrettent le mort. Mais d’après mon expérience personnelle, elle ne représente même pas la moitié des émotions ressenties. Il y a aussi l’excitation, principalement de revoir famille et proches (comme pour les mariages en fait), la jalousie causée par la richesse de l’événement, la reconnaissance d’appartenir à un groupe, la satisfaction d’être encore vivant, la rancœur des histoires familiales, etc… Bref, un cocktail très enivrant dont je savoure chaque goutte.
Ceci dit, je ne peux pas me permettre de montrer mon état de béatitude ; il s’agit de l’inhumation d’une des tantes préférées de Marie, mon amie qui travaille au restaurant avec moi. Marie est au premier rang, face au cercueil. Elle est pâle et son visage laisse transparaître sous son voile noir - si, si, ça se fait encore les voiles noirs… - la marque de larmes abondantes et récentes. De mon côté, malgré ma proximité avec Marie et sa famille, j’ai préféré me mettre en retrait pour profiter de l’ambiance.
Bon, arrêtez de penser que je suis un monstre, c’est plus fort que moi ! Je suis un magicien, un pratiquant de l’Art comme nous disons dans notre branche, et mon domaine est l’émotion. Parfois des centaines me submergent et m'affectent, comme maintenant. C'est assez gênant. Ceci dit, elles m’ont sauvé récemment, donc je ne devrais pas trop me plaindre.
Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Ah, désolé… Au cas où vous n’auriez pas lu ma précédente aventure, je m’appelle Perceval Guilhem – mes amis m’appellent Persée - et je viens juste de sortir de l’hôpital. Non, je ne vous donnerais pas mon deuxième prénom, pas la peine d’insister !... Un mois plus tôt, ma bonne âme m’a poussé à assister le propriétaire d’une ancienne bâtisse de la rue Magnant, Pierre Belot, à résoudre un problème de fantôme. Avec l’aide d’une potentielle cliente, Elisabeth, qui contre toute attente acquit la bâtisse après-coup, mes émotions et moi avons défait un esprit maléfique qui hantait son ancien corps zombie. Cela n’a pas été sans peine et j’ai failli y passer ! Pierre, qui avait été kidnappé, s’en est heureusement sorti. Elisabeth « a joué la fille de l’air », après m’avoir envoyé cinq mille francs pour « service rendu » et donc j’ai pu acheter quelques accessoires pour mon nouvel appartement et même un nouveau lave-vaisselle pour le boulot. Oui, encore un oubli, je viens juste d’arriver en ville et je suis le gérant d’un restaurant du Quartier Ouest de Méandres, avec mon chef basque Evaristo et ma serveuse préférée, Marie (la susdite devant le cercueil).
Je peux vous dire que cette expérience avec cet esprit-zombie m’a laissé un goût amer dans la bouche. Elle m’a surtout fait réaliser que mes capacités offensives étaient franchement faibles. En résumé, je manque de punch ! J’ai donc décidé de me faire un programme de remise en forme, à la fois physique et spirituel. Comme mon Art repose entièrement sur mes émotions, j’ai concocté un programme sport/télé motivant qui va booster mon potentiel offensif : Rocky, Commando et Le Seigneur des Anneaux entre autres ! Une dizaine de films environ que je prévois de regarder sur deux semaines. Entre temps, après le dernier service au restaurant, je vais au club de gym… Je déteste tout ce sport ! Jamais été mon truc ! En plus, hier, lorsqu’Evaristo m’a vu avec mon sac et mes baskets gris, il a tellement ri qu’il a failli s’en étouffer ! J’en étais fou !
Côté spirituel, j’ai appris que je pouvais canaliser mes émotions violentes en sorte d’éclair d’énergie. Un peu comme le "Kamehamea de Son Goku", mais en moins classe... Je dois m’entraîner à focaliser cette force et la rendre plus puissante. Mais il me manque la discipline mentale nécessaire et je pense avoir trouvé comment l’acquérir ! L’autre soir, alors que je sortais, trempé de sueur, de la salle de gym, un homme s’approcha de moi. Fin de trentaine, pas très grand - ceci dit, je ne le suis pas non plus du haut de mon mètre soizante-quinze… - cheveux longs attachés, habillé décontracté. Il me tendit un dépliant et me dit : « L’endurance n’est pas votre fort. Trouvez un autre moyen de vous renforcer. » C’était de la pub pour un cours de sabre donné par un certain Gart Langfellow (nom américain ?). Clairement, ce n’était pas un prospectus fait par un professionnel. Probablement ce Gart avait décidé d’ouvrir sa propre association ou d'arrondir ses fins de mois. Du sabre… Comme les hussards, les ninjas et… les Chevaliers Jedi ! De quoi me laisser rêveur ! Et parfait pour ma discipline. Le premier cours est dans une semaine, j’ai hâte !
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