L'odeur voyage plus vite que la lumière des fois

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Après un trajet particulièrement laborieux, j’arrive enfin, essoufflé, devant la clinique du vétérinaire. Il faut dire que celle-ci n’est pas dans notre Quartier Ouest donc, n’étant pas heureux possesseur d’un moyen de locomotion motorisé, aussi connu sous le nom de « voiture », j’ai dû endurer de la course, des transports en commun non-synchronisés puis enfin de la course à nouveau. Il est passé neuf heures du soir lorsque j’arrive et bien évidemment, la clinique est fermée la nuit… Mais qu’à cela ne tienne, je ne vais pas me laisser décourager pour autant ! Je commence à tambouriner sur la porte, espérant que le véto, qui habite un appartement au-dessus de la clinique, m’entende. Ce qu’il fait en final puisque je vois un volet à l’étage qui s’ouvre et une tête qui en sort.

« C’est pour quoi ? Vous avez une vache qui met bât ? » me crie le bonhomme.

Je reste perplexe deux secondes. Quelle est le rapport avec la vache ? Puis soudain, je percute ! Ceux qui ont un tant soit peu de mémoire se souviendront que je suis habillé en salopette de travail et bottes en plastique vertes… Une tenue type du monde agricultural et le véto en a fait un raccourci…

« Non, Docteur, je viens pour voir mon chat qui est en convalescence ici. Il s’appelle Terreur. » répondis-je.

Le cher monsieur n’a pas l’air content. Je vois sa silhouette s’agiter depuis sa fenêtre.

« Ça ne va pas la tête ?!? C’est fou de déranger les gens au milieu de la nuit pour des conneries ! Les visites sont de dix heures à dix-huit heures. Revenez demain ! »

Sur ce, le véto disparaît et le volet se referme en claquant.

Je proteste véhément en criant, expliquant que c’est très important et urgent, mais je n’obtiens aucune réponse. De rage, j’essaie d’ouvrir la porte d’entrée mais celle-ci est bien évidemment fermée à clé. Je fulmine !

Il me vient soudain à l’idée de défoncer la porte mais mon surmoi reprend le dessus et me rappelle les notions de violation de propriété privée et autres délits passables d’une grosse amende ou même de temps en prison qui me dissuadent d’agir. Alors, frustré au plus haut point, je donne un coup de pied magistral à la poubelle dans la petite ruelle à côté, accompagné d’une bordée de jurons qui ferait pâmer les bigotes du quartier.

« Oh ! Oh ! Il faut te calmer mon vieux ! Si tu continues à me taper, tu vas voir ta gueule !... » retentit alors.

Quoi ? La poubelle se rebelle ? C’est pas le moment ! Je m’apprête à reprendre ma volée lorsqu’une silhouette se dresse devant moi. Et wow !

Les scientifiques ont démontré que la lumière va plus vite que tout. Et bien pour une fois, je peux vous affirmer que ce n’est pas le cas : bien avant d’apercevoir le bonhomme, je suis frappé de plein fouet par une odeur horrible ! Le mélange d’arômes de pisse, sueur et crasse est tellement agressif que mes yeux en pleurent et je dois faire deux pas en arrière pour ne pas m’évanouir. La figure de l’heureux possesseur de ce parfum loin d’être délicat n’est pas mieux ! Hirsute est l’adjectif qui le qualifierait le mieux. Puis menaçant aussi. Une bonne raison pour reculer encore. Mais mon interlocuteur ne l’entend pas de cet avis. Il franchit rapidement la distance qui nous sépare et m’attrape par le col :

« Tu vas la fermer ta gueule ! J’essaie de dormir, moi ! »

Ce ne sont que les premiers mots d’une longue tirade à laquelle je n’accorde aucune attention tellement que je lutte pour ne pas m’évanouir. Non seulement l’odeur est horrible, mais de cet individu exsude une colère irascible et, à mon grand étonnement, un désespoir sous-jacent et profond. Emotionnellement et olfactivement, j’en ai le cœur au bord des lèvres !

Je me dégage tant bien que mal et essaie de le calmer :

« Désolé, je ne voulais pas vous blesser ! Je ne savais même pas que vous étiez là ! Je voulais juste entrer dans la clinique…

- Laisse le doc’ tranquille ! C’est un bon gars : régulièrement il me donne quelque chose à bouffer. Tire-toi !

- Non, mais vous ne comprenez pas ! Je dois absolument voir mon chat ! C’est ma petite fille… »

A peine ai-je prononcé ces deux derniers mots que je le sens changer soudainement d’humeur. Il me regarde et bien plus calmement me dit :

« Ta petite fille ? Quel âge elle a ?

- Cinq ans, mentis-je. Elle est à la maison et ne peux pas dormir ce soir sans son petit chat.

- Ah… Elle est triste alors ? »

Imaginez le principe des vases communicants : il vient juste de s’appliquer à mon interlocuteur ! Alors que la colère dominait et le désespoir était sous-jacent, les deux sentiments viennent juste d’échanger de place. J’en ai presque l’impression qu’il en sent moins mauvais… Enfin, c’est une impression ! Je continue :

« Je voulais juste faire une vidéo du chat qui dort pour la lui rapporter et qu’elle puisse enfin dormir. »

Sur ses mots, je concentre mon Art pour exacerber les sentiments du clochard. Cela fonctionne car je vois ses épaules s’affaisser et son regard se faire plus sombre.

« Ben, fallait le dire que c’était pour une bonne raison. T’as essayé d’ouvrir la porte ? »

Mais avant que je puisse répondre, il s’avance sur le palier et actionne la poignée. La porte s’ouvre sans problème.

« Elle était ouverte. Le véto garde les animaux dans la pièce à gauche. Ton chat devrait être là. Bonne chance. »

Et sans en dire plus, il s’éloigne. Je le regarde puis regarde la porte ouverte, puis encore lui s’éloignant dans la nuit. Est-ce que je ne viens pas d’essayer de l’ouvrir, cette fichue porte ? Elle était fermée, non ?

Le clocher d’une église environnante me rappelle alors à l’ordre. Il sonne dix heures et je me dis que je ferais mieux de dépêcher.

Je pénètre dans la clinique le plus silencieusement possible. Suivant les indications de mon ouvreur de porte, je longe le couloir et trouve la pièce susdite. Je suis sûr que si j’y rentre comme ça, tous les animaux vont s’exciter et faire un tel raffut qu’il réveillera tout le quartier. Alors, devant la porte fermée, je concentre à nouveau mon art et siffle une douce berceuse. Même si je ne peux pas voir de l’autre côté de la porte, j’entends des bâillements canins, des ronronnements félins et tous autres petits bruits m’indiquant que mon chant du sommeil fait effet. Au bout de même pas une minute, je pénètre dans la pièce où je trouve toute une ménagerie endormie, même une paire de poissons rouges qui tournent indolemment dans leur bocal. Je fais rapidement le tour de la salle et trouve Terreur, le chat de Gérard. Lui aussi dort, mais ce n’est pas différent de la dernière fois que je l’ai vu. J’ouvre sa cage et le prends dans mes bras. Son pelage doux et ses moustaches chatouillant mon bras me donnent des frissons. Espérons que cette petite créature me tire de ce mauvais pas…

Mission accomplie ! Je rentre au cimetière, tout en faisant bien attention de verrouiller la porte derrière moi.

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