J'ai seize ans. Je suis interne dans un lycée. Mes parents sont en pleine séparation et tout se passe mal. Depuis mes quatorze ans, je raconte dans un cahier le monde avec mes yeux d'ado. Avec deux copains, on va au ciné voir un film. Je ne sais pas qui a eu l'idée mais le film a une sacrée gueule. Les premières minutes nous mettent dans l'ambiance. Un mec et une nana font l’amour. On ne voit que ça sur l’écran. J’ai l’impression de voir un film de cul, comme les images sur les magazines qu’on regarde à l’internat.

   En 86, l’internat, c’est une grande pièce avec des lits et des armoires par box de 8. Il devait y avoir 6 box. Presque 50 garçons, 15-16 ans, à dormir les uns à côté des autres. Avec un surveillant d’internat planqué derrière un rideau. Le film, je ne pige pas tout à l’époque mais je sens que c’est une bombe. Avec les copains, on retient les scènes de sexe. Dalle est électrique. Anglade, j’ai l’impression d’avoir été aimanté par sa bite tout le long du film. J’ai 16 ans et je me cherche une vie sexuelle, comme les copains qui pourtant me racontent tout pendant les heures de permanence où l’on n’a rien à faire.

   Mes parents lisent beaucoup, d’ailleurs dans la maison il y a toute une pièce garnie de bibliothèques. Ma mère lit surtout des polars. Mon père, c’est un joyeux bordel. Tout y passe. La philo, les sciences, la poésie, les biographies, des romans, même la religion alors qu’il est athée. Je noircis des pages sur des cahiers et lit ce que l’on met dans mes mains. Ma mère me file des Higgins Clarck, mon grand-père des livres sur la psychologie (Jung et Freud), mon père ne me file rien alors je me sers. Je fouine, comme tous les ados.

   Des fois je tombe sur des titres sans savoir qu’ils ne sont pas de mon âge comme ce mystérieux type qui s’appelle Sade. Je sens bien que les livres ont beaucoup à m’apprendre. En relisant le journal de mes quinze ans, je découvre (je l’avais oublié) que j’ai écrit des nouvelles érotiques, détruites plus tard, vers l’âge de 17 ans.

   Quand je pense au livre de Manu Causse interdit aux mineurs par Darmanin, je revois Béatrice et Jean-Hugues, leur histoire cinglée, leur amour fou (le terme est particulièrement adapté) et j’imagine le film sortir aujourd’hui. J’entends déjà les protestations des coincés et les manifestations médiatiques des bas du front. Zorg aimait Betty, c’est pour ça qu’ils faisaient l’amour. Ça, je l’avais bien compris quand j’ai vu le film l’année de mes 16 ans.