Avec tous regrets.
Daniel,
Si je t’écris cette lettre, c’est que tu nous as quitté. Alors oui, peut être aurais-je du l’écrire avant, ou peut être pas, mais de toute façon aujourd’hui la question ne se pose plus . Tu n’es plus là.
Je sais pas si cette lettre servira réellement à quelque chose. Il n’y a pas de raisons concrètes pour lesquelles j’écris ces mots. Peut être pour me vider, m’ôter un poids, espérer que peut être, peut importe ou tu sois, si cela existe comme tant de gens le disent, tu la liras. Ou peut être que je me fais juste des situations purement utopiques dans ma tête. Tout ça n’est que rhétorique évidemment. Et puis même si ça ne l’était pas, qui y répondrait ?
Nous sommes mercredi 29 novembre et il est 22h31. Cela fait deux jours que ton coeur s’est suicidé. Je l’ai appris par maman, au téléphone. Elle ne m'a pas eu du premier coup alors elle m’a laissé un message. Sauf qu’elle ne laisse jamais de messages, alors j’ai tout de suite su. Je peux pas te cacher que j’ai pleuré. Je suis rentrée a la maison a pied sous la pluie sous la nuit et j’ai pleuré.
C’est compliqué de réaliser et de se dire que je ne te reverrais plus. Que la mort me fera oublier peu à peu ton visage, ta voix, ton odeur, et tout ce qui faisait de toi Daniel.
Avec la plus grande objectivité possible, je me dis que c’est peut être mieux comme ça. Je me dis que personne ne dure éternellement et surtout pas dans de telles conditions.
A Noël cela va faire un an que je t’ai vu. Un an que je suis passée devant toi sans même te reconnaître. Tu étais la devant moi, les pommettes creuses, les jambes fragiles, les yeux vides, le visage ridé. Je sais pas si tu t’en souviens mais je vais quand même te raconter d’accord ? On a du rester 1h30/2h a tout casser. On discutait avec Christiane et toi tu étais la, assis, la tête lourde et le regard indéchiffrable. Ils diront que tu n’étais déjà plus là, qu’il n’y avait que du vide. Qu’une simple enveloppe physique, que ton esprit ne demeurait plus. Ils diront qu’un espace lacunaire s’était installé dans ta tête, que les souvenirs s’étaient déjà envolés. Ils diront que tu n’étais déjà plus. Mais moi je leur dirais tout le contraire. Je leur apprendrais que tu étais là, certes bien caché, bien enfouis mais que tu étais là. Tu respirais, ton coeur battait, tes yeux se baladaient et tes oreilles traînaient. Tu étais là. Des fois je le crois et d’autres j’en suis sure. Tu n’as pas été constamment présent, mais tu as eu ces moments de lucidité qui m’ont donné l’espoir et l’envie d’y croire. De croire que rien n’était fini, que ton esprit était encore là. Encrer dans un espace temps, les souvenirs étaient toujours présents. Je l’ai vu, je l’ai senti. Sinon pourquoi tu aurais poser tes yeux insistant sur mon visage ? Pourquoi aurais tu chercher mon regard ? Pourquoi aurais tu pris ma main pour l’embrasser ? Moi je pense que tu étais là, et que d’une manière ou d’une autre tu demeuras, ton âme et ta pensée resteront auprès de moi.
Je sais ce qu’il va se passer. Je vais faire la route samedi pour te faire un ultime au revoir. Le dernier de toute une vie. Je vais venir et te rejoindre au point de rendez vous. Les Charmes, ta maison, ta si belle maison dans laquelle je ne pense pas un jour pouvoir y entrer encore une fois. Je vais me rendre a l’endroit ou tu me disais au revoir d’un signe de la main. Je vais m’y rendre et ça sera insoutenable. Je vais me retrouver dans l’incapacité totale de me retenir de verser mes larmes. Je partirais avec l’image de ton au revoir d’un signe de main, et tu partiras avec mon au revoir par écris. Tu le sais pas et tu le sauras jamais, mais je ne m’exprimerais jamais aussi bien qu’a l’écrit, tu ne sauras pas non plus que j’adore ça. De ton au revoir jusqu’au mien, je vais marcher. Je partirais des Charmes pour arriver au cimetière. Je sais pas combien de temps cela durera réellement. Émotionnellement cela dura une infinité de minutes. Alors oui y’a des infinis plus grands que d’autres, mais celui là sera le plus long. Et pendant cette infinité de minutes, je vais regarder les gens autour de moi. Je vais me remémorer ces moments a tes côtés. Je me souviendrais de ton potager, des cours de piano de Christiane, de l’heure des poubelles avec toi et plus particulièrement d’un soir a Reichshoffen sur tes genoux. Je me souviendrais de tes étreintes douces et légères, de tes baisers d’amour et de ton cœur immense. Je me rendrais compte alors que ces moments ne demeureront plus qu’a un seul endroit : dans les tiroirs de ma mémoire. Je me prendrais alors une immense claque en prenant conscience que tu n’es plus et que tu ne seras plus que dans ma tête et mes souvenirs seulement. Cette marche funèbre me paraîtra alors transcendante. Je me dirais que j’aurai du te dire des tas de choses sur moi, que ces moments étaient au final trop courts et que je n’ai pas assez profiter. J’observerais les gens et leurs expressions. Je réfléchirais au sens de la situation. Arriver sur les lieux de mes au revoir je me dirais alors que cette infinité de minutes était au final trop courte. Paradoxal non ? Je suis d’accord. J’arriverais sur les lieux de mes au revoir à reculons. J’aurais alors le désir de figer la situation. De prendre la télécommande de la vie et de la mettre sur pause. Je demanderais a Mrs Temps de m’accorder quelques une de ses filles les minutes. Je lui expliquerais que j’ai besoin de souffler, d’inspirer profondément l’air frais de la Dordogne pour expirer ma douleur. Je lui expliquerais que je suis essoufflée et que j’ai besoin de ce second souffle. Que j’ai besoin de lui, que j’ai besoin de temps. Il m’enverra balader comme à chaque fois et il finira par m’échapper toujours. Avec son doux rictus il s’écoulera et je tenterais en vain de lui courir après. Au final je souffrirai d’une chose que je ne pourrais jamais perdre ou gagner, parce que seul les choses que tu peux posséder se perdent ou se gagnent. J’écouterais les gens parler, renifler, pleurer. Je fixerais ce cercueil dans lequel tu te décomposeras tôt ou tard. Et à cet instant précis j’aurais juste envie de mourir pour ne plus rien ressentir de tel. Cette pensée s’évadera très vite dans l’univers lacunaire quand je penserais aux gens autour de moi. Je ne suis pas seule, tu ne me laisses pas seule ne t’en fais pas. J’ai plein de monde autour de moi, un monde qui m’aime pour ce que je suis, un monde qui mérite que je me batte pour demeurer. Un monde auquel je fais la promesse de n’avoir que le ciel comme seule limite.
Alors le moment viendra de déposer cette lettre sur la boîte qui renfermera ton corps meurtri. Cela me demandera un courage et une force surhumaine, mais a tes côtés je ne l’ai jamais réellement été, et j’espère ne l’être entièrement jamais. Je regarderais ton corps s’enfouir sous la terre.
Je te mentirais, si je te disais qu’il n’y aura pas de moments difficiles. Y’en aura, plus d’un. Des coups de blues des coups de mou. Des moments ou je me sentirais incapable de m’en sortir, mais c’est comme tout : le temps, les gens, les moments, tout n’est que passager, alors ces moments ou je broierais du noir le seront aussi. Ça ira, je te le promet. Tu peux partir serein. Souviens toi de moi, souviens toi de nous. Et je garderais toujours en moi une partie de toi. Pour toujours et a jamais tu seras un barreau de l’échelle de ma vie. Celle que je grimperais pour toucher le ciel.
Mon chère Daniel, je te laisse partir, prend bien soin de nous et si tu la croises embrasse la très fort de ma part et dis lui que je la porte sur moi tout les jours.
Je t’embrasse, et t’aime très fort.
Aïnhoa.
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