5 (suite)
L’hiver est arrivé, gris et lourd de boue. Cette fois, les violettes tapissaient les sous-bois, au fond des flaques brillaient des pâquerettes. J’arrachais dans le potager des bouquets de carottes à moitié dévorées. Avec les ruisseaux qui dévalaient les déclives, le brouillard du soir, le toit déversant son compte-goutte, l’île semblait se noyer.
Pour oublier les vagues, je me couchais parfois dans les mares qui se formaient entre les arbres. Mon visage surnageait et j’écoutais, au creux de mes oreilles submergées, la terre boire. Quand j’avais trop froid, je rentrais en zigzaguant entres les empreintes de mésanges et de renard. A l’intérieur, il faisait noir. Une pipistrelle avait élu domicile derrière un des volets : nous avons décidé de ne plus toucher à cette fenêtre. Pendant ces longs mois d’hiver, je n’avais que deux peurs : découvrir l’océan au pas de ma porte et réveiller la chauve-souris. Comme elle, nous sommes entrés en hibernation. A la lumière du feu, Aritz me racontait le continent et je lui récitais les contes dont je me souvenais. Il chantait dans des langues inconnues en caressant sa guitare qui sonnait faux, tout doucement, pour ne réveiller personne. On dormait, on grignotait de temps en temps : on a survécu de racines, d’œufs et de champignons, d’histoires et de musique. Lorsque le feu mourait, on tirait le rideau pour observer la pipistrelle dans l’ombre du volet. Elle était à peine éclairée par les rayons de lune qui s’infiltraient par une brèche du bois. La fourrure battait tout doucement. A quoi pouvait-elle bien rêver ? J’aurais dû écouter son histoire.
Dehors, l’océan observait, murmurait, digérait. Loin d’ici, les derniers morceaux de glacier s’apprêtaient à fondre dès les premiers rayons du printemps.
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