- Abby réveille-toi ! Mais c’est pas vrai ! Debout !

Je gémis. Meg est en train de me secouer les épaules. Encore…

- Mmmh quoi ?

- Tu étais complètement agitée et tu criais ! Bon sang, tu vas nous la jouer semi-somnambule à chaque fois que tu dors ? Parce que si chaque nuit c’est comme ça, on n’aura jamais nos heures de sommeil ! T’es au courant qu’il y a cours dans quelques jours ?

Le ton brutal qu’elle emploie m'affole. Je me redresse instantanément. La luminosité du plafonnier est beaucoup trop forte. Je regarde le réveil. La même heure. Encore… Les larmes qui recouvrent mes joues doivent certainement l’aider à apaiser sa colère, car en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’entends l’eau couler et vois Meg sortir en trombe de la salle de bain.

- Tiens, bois un peu, me dit-elle de façon bienveillante en me tendant un verre d’eau. Bon sang, mais t’es trempée !

Retrouvant à peine mes esprits, je constate que mes draps sont mouillés et que des gouttes de sueur perlent sur mon front.

- Ben dis donc, ça devait être sacrément flippant là-dedans, affirme-t-elle en désignant ma tête.

Elle prend un air grave.

- Tu as rêvé de ton père, c’est ça ?

Je ne suis pas certaine de ce qu’elle attend de moi.

- Non je… je ne sais pas vraiment. C’est assez étrange.

- Tu peux tout me dire, tu le sais bien.

J’inspire profondément en regardant dehors. Les reflets de la lune inondent l’allée d’une douce lueur. Rien à voir avec celui de mon imagination.

- Ce n’est pas vraiment un rêve sur papa. Mais depuis sa mort, il m’arrive régulièrement de faire des rêves étranges, bafouillé-je.

- Comme quand tu étais petite ? Tu veux m’en parler ?

La voix de Meg s’est adoucie, mais je prends le temps de bien mesurer les mots que j’emploie.

- Mes rêves sont décousus. Je suis incapable de me rappeler de tout ce qu’il s’y passe, mais je me retrouve régulièrement dans le même endroit.

Je ne sais pas si je dois continuer ou non. Ma remarque suivante pourrait être mal interprétée, mais elle me ronge de l’intérieur. Les souvenirs de sa voix et de son regard me retournent l’estomac à chaque fois que je pense à Matt. Il faut reconnaître que mes émotions ont quelque chose de stupide. Il ne s’agit que d’un rêve. Mais rien n’échappe à Meg. Elle me connaît depuis qu’on s’est rencontrées dans le bac à sable et est suffisamment armée pour identifier la moindre de mes cachotteries.

- Et j’y rencontre régulièrement la même personne. Le même garçon…

Son silence en dit long. Je me mords la lèvre.

- Ce n’est pas tout. Regarde l’heure.

Meg, un peu décontenancée regarde les chiffres lumineux à côté d’elle.

- C’est pas la même heure que la nuit passée ?

- Exact. Et ce n’est pas la première fois, dis-je submergée par un nouveau flot inexplicable de larmes.

Quand je vois le visage de mon amie blêmir, je décide de tout lui expliquer dans l’ordre chronologique. Mes notes illustrant les événements de façon détaillée, je sors mon carnet et reprends point par point chaque image qui me revient, à commencer par le rêve qui s’est produit la veille de notre départ. La falaise, l’horloge, le banc, Matt…

À la fin de mon récit, je me sens vraiment soulagée, libérée d’un poids qui écrasait de plus en plus mes épaules. Mais pas elle. Elle est aussi pâle que si elle venait de croiser un fantôme. Les traits de son visage se durcissent à nouveau. Elle me regarde d’un air sévère et inquiet à la fois. Je sais ce qu’elle va me dire. Je le sais très bien mais j’espère qu’elle ne va pas aller au bout de sa démarche, car cela signifierait qu’elle ne se sent pas la capacité de m’aider plus qu’en étant une simple oreille attentive.

- Abby… Je pense que tu devrais appeler ta mère.