L'instant gelé
Il y a quelque chose dans l’air.
Le vent se faufile sous mon manteau. Un à un, mes poils se hérissent, en un frisson qui ondoie jusqu’à ma nuque. Je relève mon col pour protéger mes oreilles. Il y a quelque chose dans l’air. Ce n’est pas le froid.
La bise secoue les branches, mais les feuilles ne bruissent pas, figées dans leur écrin gelé. Le chat fait sa ronde matinale, mais nul son ne trahit son passage. Au loin, un chien aboie, immédiatement imité par un second. Ce n’est pas ça.
La lumière du jour peine à dissiper les ombres ce matin. Le ciel est bas, les couleurs sont encore éteintes, fondues dans une étroite palette de gris. Rien pour attirer l’oeil, exceptées les taches orangées des réverbères.
Le givre recouvre le jardin. Les brins d’herbe sont saisis dans la position que leur a donné le vent, auréolés de particules glacées. Une toile d’araignée, qui se voulait discrète, est soulignée par les gouttelettes transies.
La porte s'ouvre et les enfants sortent dans une flaque de lumière, tirant leur cartable à roulettes. Ils s’immobilisent près de moi. Ils l’ont senti eux aussi. Ce quelque chose dans l’air.
Je prends une grande inspiration pour mieux sentir, mais ce n’est pas une odeur. Le nez au vent, immobiles sur le perron, trois marmottes à l’affût.
Là !
Les petits doigts désignent le premier flocon qui volète paresseusement.
“ Maman, il neige !”
Et l’instant gelé, silencieux, gris, est passé, dissipé par les cris de joie des enfants.
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