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Le monstre allait sur ses six ans. Gérard avait oublié une seule chose, c’est qu’un enfant grandit moins vite qu’on vieillit. Il commençait à en avoir assez d’attendre, surtout que le mioche, en dehors de ses ailes, était aussi chiant qu’un autre. Le géniteur voulut profiter de la fête de fin d’année de l’école pour sortir son jeu et commencer à récolter de la bonne graine. Il driva donc son rejeton pour que, lors du final, il batte des ailes. Il avait même entaillé le t-shirt pour que ce soit possible. Manque de bol, l’archange n’était pas plus grand que les autres et, situé au deuxième rang, personne ne fit attention, chaque parent ayant les yeux braqués sur son nain, le seul digne d’intérêt pour ses débiles et égoïstes. Même la maitresse, une sous-traitante de la remplaçante d’ordre deux, plus préoccupée par son prochain intérim que par des mouflets sans avenir qui l’avaient gonflée pendant un an, ne vit rien.
Un seul parent le félicita pour le déguisement de son fils. Il rentra, désespéré, abandonnant écran plat et véhicule tout terrain, avec ce gamin bon à rien sur les bras. Il allait se défouler sur lui quand on frappa à sa porte.
Surprise ! C’était Matou, la femme du troisième gauche. Il l’avait repérée dès leur emménagement, car il était sensible aux belles fesses et Matou en exposait de magnifiques, dans des pantalons si moulants qu’on voyait tout. Il avait tenté sa chance, se montrant aimable, souriant, espérant un retour et ne récoltant que dédain, preuve que c’était une crâneuse de traînée. Pourtant, c’était vraiment son genre de femme, celles qui avaient un effet immédiat, de ceux qui font mal. Il avait persisté, surtout depuis qu’il était seul, collectionnant les râteaux. Elle avait deux fils, dont l’aîné avait tourné dans la nouvelle religion et pas de mari, on n’en savait trop rien sur le pourquoi. Une affaire ! Malheureusement inaccessible.
Et là, elle était toute souriante qu’il en perdit ses moyens et la laissa entrer. Quelques flatteries faciles permirent à la vénus callipyge de vérifier qu’elle avait bien vu : le rejeton de ce corniaud avait bien des ailes. Il y avait un truc formidable à faire avec ce machin. Le phénomène fut renvoyé devant ses dessins animés, sa spécialité, tandis qu’elle entreprenait d’amadouer le géniteur. Elle se montra réticente, ne voulant pas afficher son savoir-faire de femme tarifée, avant de céder devant le charme irrépressible de son nouvel amant. Une fois vidé, et avant qu’il s’endorme, elle entreprit de lui éveiller l’esprit. Délesté de ses pulsions, il se montra apte à suivre un raisonnement simpliste. Bien sûr, cela ne la concernait absolument pas, mais la mise en valeur du petit ange était possible… Le père, encore sous le coup de son fiasco scolaire, et de sa brillante réussite sexuelle, haussa les épaules, déjà découragé des efforts à envisager.
Elle s’enquit d’abord de l’histoire et des caractéristiques du miracle, pour constater qu’il n’y avait rien de particulier, hormis ces appendices de volatile. Elle n’aimait pas les ailes dans le poulet et l’apparente absence de doigt divin ramenait cette curiosité au niveau de la monstruosité. Pas sotte, elle se disait que si un dieu existait, il aurait choisi n’importe qui d’autre que cet imbécile comme père : le casting était nul. En plus, le Tout-Puissant aurait travaillé le produit, avec de belles plumes blanches, pas cette couleur grisâtre de pigeonnier. Une photo soumise à LIA avait apporté la vérité : pigeon biset (Columba livia). Elle ne remarqua pas la faiblesse de son raisonnement, car parmi Ses créations, beaucoup se montraient foireuses. C’était secondaire.
L’Ange n’était pas non plus d’une blancheur et d’un blondinet absolus, un peu mélangé, quoi. Malgré son dégout, elle comprit vite qu’il fallait transformer ces défauts en signes providentiels. La première chose à obtenir était la notoriété. Il fallait qu’on parle du surnaturel. Il fallait aussi monter un message un peu plus élaboré qu’un mouton à cinq pattes ou qu’un gamin avec des ailes. Le nom de l’archange la surprit, car elle dénotait une prise de conscience du père, donc méfiance ! L’imbécile n’était peut-être pas aussi sot qu’il le paraissait. Même si le mener par le bout de sa queue paraissait évident, il fallait lui laisser l’impression de maitriser, les hommes en ont besoin, et ça ne coute rien de leur laisser le croire. Pour le préparer à la discussion, elle le calma à nouveau, ce qui ouvrit légèrement plus l’esprit du père, par un système de vases communicants bien maitrisé par la gent féminine.
Elle se proposa pour lancer l’affaire. Le père, trop heureux de se trouver déchargé de la stratégie, de la tactique et du saint-frusquin acquiesça, espérant payer la bienfaitrice uniquement par ses ardeurs, dont elle avait apprécié la grande valeur par des cris très expressifs.
C’est ainsi que le lendemain, sur Toctoc, la vidéo d’Uriel déployant ses ailes fit cinq mille vues, avant d’en faire cent mille le jour suivant. La rumeur se répandit que Dieu, devant les désastres, dont, finalement, il était un peu responsable, avait envoyé un Ange. Tel notre Présidente-À-Vie, il allait tout résoudre. Matou, très subtilement, avait bien caché la véritable identité et la localisation de l’Envoyé, mais multiplié les preuves que ce n’était ni un fake, ni la génération d’une quelconque imagination artificielle. Elle avait sollicité LIA pour finaliser sa communication. Cette frustration publique d’inaccessibilité parcourut le Monde, renforça les interrogations, satura les médias et fit entrer en convulsion tous les gourous religieux, effrayés d’avoir, pour la première fois depuis la création de l’Univers selon leur cosmogonie, à rendre des comptes à une entité qu’ils manipulaient si facilement en y croyant à peine.
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