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Elle fut très impressionnée d’être invitée au cœur de la capitale, dans un quartier normalement interdit. Elle n’avait pas pensé à cet aspect des choses et fut refoulée, avec sa mise qui trahissait ses origines. C’est HDP lui-même, qui vint débloquer la situation au poste de garde. Elle regardait partout en pénétrant dans cet hôtel de grand luxe, ne se rendant même pas compte qu’une nuitée n’aurait pas entamé son capital. Ce n’était pas chez elle, simplement. La salle était vaste, avec autour d’une immense table, une vingtaine de jeunes hommes et de jeunes femmes, tous habillés de noir, les cheveux ras ou tirés en arrière, comme sortis d’un moule unique. Plusieurs étaient colorés, comme elle, mais cela ne la rassura pas pour autant. Elle s’assit au milieu, face à HDP qui avait un sourire trop grand pour être franc. Il causait en employant des mots incompréhensibles, mais faisant hocher la tête de ses employés. Gentiment, il résuma en indiquant qu’ils s’occupaient de tout et que, pour le reste, on s’arrangerait. Matou avait une pièce emplie de valises et, apparemment, cela allait se multiplier. Elle osa demander si la gestion de sa fortune personnelle était prise en compte. Pour autant que cela soit possible, le sourire d’HDP s’élargit encore, avant de balayer de la main ce petit souci.
Leur diagnostic, facturé, était que le phénomène était intéressant, mais très mal dégrossi. La liste des choses à faire, et à ne pas faire, se déroula pendant plus d’une heure. En plus, il fallait sortir de la zone délaissée, faire du père un entrepreneur, même à ne rien foutre, bref un taf d’enfer qui justifiait largement les 90 % sur recettes brutes, les frais étant pris en compte. Devant le business plan, le planning, le return on investments, Matou trouva l’affaire rentable pour elle, sans en être trop sûre, même si elle devait encore partagé avec l’autre imbécile, non convié à la réunion. Elle insista bien pour que ce soit elle qui signe le contrat avec le père.
Un accord amiable fut donc vite trouvé avec HDP ! Matou avait été fort impressionnée par leur professionnalisme. En rentrant, elle alla trouver le père, pour lui expliquer que des changements allaient se produire. Complètement largué et trop heureux de s’en remettre à la clairvoyance de sa future femme, espérait-il toujours, il accepta, pressé d’aller retrouver la jeune remplaçante de la remplaçante de la remplaçante de Matou. Il ne comprenait pas pourquoi ces charmantes filles avaient sans cesse besoin de se faire remplacer par une autre.
Elle oublia de signaler son ancien accord avec Jo avant la signature, le précisant in extremis au nouveau prestataire. HDP calcula brièvement dans sa tête et hocha son accord. Décidément, elle avait encore mal négocié ! Mais comme elle ne savait plus comment dépenser sa fortune, elle haussa les épaules. Quoique, maintenant, débarrassée de la gestion, elle allait pouvoir se donner du bon temps, et le bon temps, l’air de rien, ça coute cher !
La bande d’HDP prit les choses en main immédiatement. Il y avait urgence et le moyen de lancer avec faste la nouvelle ère. La Présidente-À-Vie, la PAV, pour tout le monde, avait fait comprendre par des messages ampoulés sur le site qu’il lui semblait inévitable que l’Ange, pour sa réapparition, s’intéresse au plus important personnage de l’histoire. Il ne comprenait pas pourquoi l’Ange ne venait pas rendre visite à l’homme parfait et supérieur que le pays avait l’immense chance d’avoir à sa tête pour longtemps. Il n’avait pas de message à recevoir, bien entendu, mais des conseils à prodiguer à l’envoyé sur la gouvernance du Monde, de l’Univers et de l’Au-delà. Autrement dit, entre Désignés par Dieu, autant copiner.
Matou était heureuse d’avoir pu éviter cette organisation, une des raisons de sa délégation à plus compétents.
Le débarquement des vingt aides de camp dans l’appartement du père, accessoirement du phénomène, ne s’avéra pas une bonne idée. D’abord, il n’y avait pas la place pour plus de cinq personnes et le petit ange fut effrayé par ses mens in black.
Un repli stratégique fit place à une seule envoyée, suivi de deux autres, car leurs rapports étaient accablants : si le monstre était bien pourvu d’ailes réelles, il était con comme ses pieds, feignasse, sale et de mauvais caractère. Il ne comprenait pas l’intérêt qu’on lui portait ni les singeries qu’on lui faisait faire avec ses ailes ni les costumes qu’on lui faisait enfiler, le distrayant de son activité principale. HDP en personne se déplaça pour jauger de la situation, ne voulant reconnaitre qu’un diagnostic plus poussé aurait été un préalable indispensable. De toute façon, il allait falloir faire avec et il avait déjà tordu le cou à des difficultés autrement importantes. Sa surprise principale fut l’organe démesuré d’Uriel, que les envoyées avaient omis de signaler. Leur envoi immédiat ne donna pas lieu à contestation. HDP porta un intérêt poussé à cet aspect de son nouveau produit, se demandant comme l’exploiter autant que les ailes. Malgré son aspect repoussant, ce phénomène présentait beaucoup d’atouts attrayants. HDP, malgré son attirance particulière, mais secrète, se garda bien de tout geste ou de toutes paroles, pour ne pas effaroucher l’enfant. C’était un filon, mais pour plus tard.
L’urgence donc était de rendre le gamin présentable pour la PAV et de lui faire accepter la rencontre. La pression était énorme, car l’intérêt pour le phénomène dépassait les frontières et les plus débrouillards arrivaient à contourner les restrictions aériennes pour venir tenter de découvrir le repaire de l’Ange. La cité restait l’endroit privilégié des chercheurs, malgré la surveillance et la protection des sbires de JO, dont les avocats avaient longuement négocié avec les lawyers de HDP.
Exfiltrer le môme, lui faire rencontrer la PAV, puis aller le planquer étaient les priorités.
Un commando d’une psychologue, dune esthéticienne et d’une costumière fut délégué auprès du chérubin, soudainement enthousiasmé d’être le centre d’intérêt de ces jolies jeunes femmes, lui qui n’avait jamais connu sa maman. Cela prit un peu de temps, notamment la négociation sur la nécessité du lavage intégral. Une fois mises devant le nu de l’enfant, les trois déléguées se battirent pour savoir qui le savonnerait. Cette douce friction à six mains lui fit douloureusement ressentir l’absence de caresses de sa maman.
Si la préparation physique avançait, HDP craignait surtout pour la préparation psychologique. En lisant les rapports et selon son propre jugement, toute tentative d’explication ou de directives déboucherait sur un fiasco. Le gamin devait rencontrer un inconnu dont il n’avait jamais entendu parler dans les dessins animés ou les publicités et se tenir correctement. Le danger était immense : si la PAV décrétait que c’était une supercherie, tout son investissement partait en fumée ainsi que son complément conséquent de fortune à venir. Un seul moyen : bien faire comprendre au demeuré qu’il fallait qu’il ferme sa gueule et se contente de sourire en hochant la tête. Uriel n’a jamais compris pourquoi ces instructions lui furent répétées des vingtaines de fois. Il n’était pas stupide ! Et on lui avait promis une belle promenade si ça se passait bien. Sa première promenade en dehors de la cité !
D’un autre côté, HDP s’était activé pour accélérer toutes les procédures, normalement impossibles, pour passer du statut de délaissé à celui de citoyen : on ne pouvait laisser la PAV côtoyer un rebus.
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