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Pendant que le complot commençait à s’ourdir, la mise en place du retour absorbait toutes les énergies. L’endroit avait été choisi démocratiquement, faute d’une conversion par la parole. En fait, Matou, membre obligatoire du SAS rappelons-le, avait envie de visiter Rome. C’est sa voix qui fit la différence. Rome imposait la réouverture de l’ancienne basilique, abandonnée depuis la virtualisation du pape. Tout l’environnement avait été délaissé, puisque, par exemple, il n’y avait plus d’élection. Un petit tourisme subsistait, constitué essentiellement de locaux, puisque les déplacements de loisirs étaient interdits depuis longtemps.

Un énorme travail de remise en état était nécessaire. Plutôt que de le financer sottement, solliciter l’engagement des fidèles était apparu comme une solution plus judicieuse. Elle s’inscrivait dans une démarche plus large, conçue par Van Minh, un ex-communicant chez HDP, arraché à la misère avec un pont d’or.

Une campagne préparatoire avait été menée : « Et si l’Envoyé n’avait pas disparu ? », ou « Uriel n’a pas dit son dernier mot ». L’attrait pour l’Ange était immédiatement reparti, tel le feu couvant sous les cendres d’un incendie. Les cataclysmes se calmaient, rendant à nouveau les esprits disponibles pour l’art et le merveilleux. Le besoin en révélations et en Envoyés rassurants, pour l’instant au nombre de un, était de nouveau là !

La phase deux de cette campagne révéla donc le lieu de la prochaine apparition et la nécessité de préparer un cadre grandiose et pour chacun, de préparer son cœur et son esprit en participant généreusement à cet avènement.

Van Minh voulait dépasser son ancien mentor. Il estimait nécessaire une mise en scène grandiose, susceptible d’être filmée et revendue dans le monde entier. Leur référence avait marché sur l’eau, très bien. Il s’agissait ici d’un ange, donc de l’air et d’envol : l’Envoyé devait descendre des cieux, en fait de la coupole, au-dessus de l’assemblée émerveillée. Matou donna son accord, à condition que toutes les sécurités soient prises pour préserver l’intégrité physique de l’enfant.

Un double du dispositif fut installé dans le monastère pour habituer Uriel à voler et à se réceptionner. Les trois gamins étaient enthousiasmés à l’idée de ce nouveau jeu, en le voyant construire. Hector voulut l’essayer en premier. Cette idée fut acceptée par tous, car lui était parfaitement remplaçable, l’engin et son utilisation n’ayant jamais été testés. Le testeur en revint les yeux pleins de larmes de bonheur : cette voltige était simplement formidable. L’idée avançait bien, mais tous, y compris lui-même, ignoraient qu’Uriel était sujet au vertige. Les hurlements poussés quand il fut hissé à un mètre de haut incitèrent Van Minh, qui avait des lettres, à formuler : « SAS, we have a problem ! ».

Pendant que tout le monde réfléchissait dans le vide, Hector consolait son ami, touché par la peur intense qu’il avait montrée.

— J’aime pas voir le vide !

— Je comprends !

— Si je ferme les yeux, ça va.

— Pourquoi ne les as-tu pas fermés ?

— J’y ai pas pensé !

— On reprend ! hurla Hector.

Avec un bandeau sur les yeux, Uriel jouit complètement de son véritable premier vol. Des ajustements de harnais furent nécessaires, mais, au bout d’une semaine, il accompagnait son vol de battements d’ailes : l’effet était saisissant.

Le moral revenait dans l’équipe et la victoire d’Hector désactiva momentanément l’ourdissage d’une mauvaise action à son égard.

Tout était prêt. Les répétitions débutaient par des sonneries de cors, des roulements de tambours, des lâchers de drones-colombe. Une épaisse fumée envahissait le site, avant que le Servant ne descende du ciel. Il avait insisté pour être inclus dans l’utilisation du matériel, soulignant qu’une première apparition différente de l’Envoyé apporterait une tension bienvenue. Van Minh s’appropria l’idée. Une fois à terre, Hector retrouvait son rôle d’annonceur. Il le jouait à merveille, d’autant qu’il s’était laissé pousser les cheveux, ce qui le rendait encore plus gracieux.

Enfin, avec un éclairage soulignant l’éther de l’Ange, ce dernier descendait dans de longues et lentes circonvolutions. Une fois posé à côté de son Servant, ce dernier lui ôtait le bandeau pour lui permettre de voir le Monde. Uriel lâchait « Le temps est venu ». Un nouveau nuage masquait la repose du bandeau, pour ne laisser voir que l’envol élégant de l’Envoyé. Pour tous, le résultat était saisissant.

La date fut annoncée largement à l’avance, pour que toutes les télévisions et réseaux du monde puissent déprogrammer pour laisser le créneau ouvert au direct. La basilique et la place étaient suffisamment vastes pour accueillir la ville entière et tous les pèlerins qui voudraient faire le déplacement.

La cérémonie débuta à l’heure précise. La première partie se déroula parfaitement et Hector, beau comme un dieu grec, leva les yeux pour accueillir l’Envoyé. La foule suivit son regard et admira un quart de cercle admirable, avant qu’un des pitons d’attache ne lâche, faisant chuter Uriel, avant que le dispositif de sécurité ne le relance vers le haut. La foule admira cette prouesse, alors que les organisateurs serraient les fesses. Uriel atterrit finalement auprès d’Hector, grâce à un savant jeu de cordes qui passa inaperçu. Un peu sonné, il en oublia son texte, alors que les caméras devaient le fixer en gros plan. Hector resta impassible, Uriel sourit bêtement. Heureusement, le nuage de fumée arriva, ce qui permit d’escamoter la star par un escalier dérobé. Le ratage avait été rattrapé de main de maitre, puisque les analyseurs de foule enregistraient un record d’extase.

Les commentaires sur l’apparition furent unanimement élogieux. Un seul point avait été négligé, révélé par le gros plan : le changement d’aspect de l’Envoyé. Aussitôt, le bruit se répandit : « Ce n’est pas Uriel ! », « C’est un autre Ange ! », « On veut celui qu’on connait ! », « On nous fait du cinéma pour nous tromper ».

Il fallut le reconnaitre : cette cérémonie avait été un bide complet, car les différentes théories et explications bataillaient, au détriment de l’essentiel : l’Envoyé, complètement hors champ de l’intérêt.

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