Détail d'une seconde pour l'esprit d'une vie
Il ne s’agit pas simplement d’une petite chose qui a façonnée une partie de moi, il s’agit d’une phrase de quelques mots qui a donné le sens que j’ai donné à ma vie. C’est, au delà d’un récit, une histoire vraie.
2007, salle du CDI comme on l’appelle, autrement dit la bibliothèque du collège. Je suis jeune, de la ferraille aux dents, aussi timide qu’un flamant rose au milieu de flamants bleus. Mes cheveux tombent sur mes yeux, rebelle, rock’n’roll dans les oreilles mais les manières et le respect sont mes premières armes.
Un homme d’un certain âge rentre dans la salle, lunette sur le nez et sourire en coin, j’imagine déjà le grand-père que je n’ai jamais eu. Son habit est simple, il est pourtant la représentation d’une sagesse extrême et d’une bienveillance perdue car dans le reflet de ses yeux se cache l’horreur de l’humanité.
L’homme s’assoit en face de la classe, le silence nous dompte sans un bruit car à notre oreille, notre sagesse d’enfant nous dicte communément le respect. Silence.
- Bonjour mes petits chéris !
À partir de ce moment, j’ai su qu'il serait mon grand-père spirituel.
Il est venu nous enseigner le devoir de mémoire, la sagesse de l’esprit et, dans mon cas, façonner une philosophie de vie. Le récit de Sam Braun, de son nom, fut passionnant de vie et d’ironie, nous n'étions que des enfants, et pourtant, j’ai commencé à comprendre ce qu'était un être humain à cette heure : une bête intelligente prête aux pires atrocités pour convenir à des idéaux. Que le monde dans lequel j'avais accouché n’était pas une terre promise où l’abondance de bienveillance nourrit nos soirées mais bien une terre de combat perpétuel et que même malgré l’amour incessant de mes parents, ce n’était plus un jeune adolescent qu'ils allaient voir grandir, mais un combattant.
Sam Braun a délié sa parole et nous a confié son histoire en tant que déporté juif dans l’enfer d’Auschwitz.
Je ne saurais vous compter les nombreuses anecdotes, ma mémoire étant engourdie par les années qui passent. Seulement, il y a dans son récit, une phrase dont je me souviens les termes exacts et qui résonne encore des décennies plus tard. Elle n’aura de sens pour vous seulement si vous plongez profondément dans le contexte que j’évoque.
Imaginez ce vieille homme en face de vous, pleins d’espérance, le visage taquin mais l’esprit en sang, lacéré par une vie d’horreur, et qui, à la fin de son discours heureux, vous regarde et d’un ton qui tranche de l’humeur joviale et vous dit :
- Il vous faut rétablir ce qui vous semble juste au sacrifice de votre vie.
Tout le réseau électrique de mon cerveau s’est emballé, j’avais face à moi l'équation de ma vie. C'est alors qu’un immense nœud s’est formé pour protéger cette phrase contre les lâches, les pessimistes et les ignorants car je savais, ô combien, cette phrase allait me poser problème. Elle est ici, juste là, vous pouvez la voir à travers moi si vous me voyez.
Alors, j’en appelle aux témoins de témoigner.
Témoignez votre vie, de l’histoire la plus insipide à la plus dramatique pour que dans l’encéphale de vos enfants se construisent l’équilibre entre le bien et le mal. Que vos témoignages soient l’essence de nos vies.
Alors, j’en appelle aux ignorants de s’éduquer.
Il ne résonne dans votre triste pensée, le simple vide que vous laisserez à votre disparition. Votre attachement à la haine des autres n’est autre que la preuve de votre faiblesse d’esprit. L’ignorance tue, il vous faut vous renseigner, reconstituer l’histoire de votre pensée, ouvrez les portes de la bibliothèque de votre âme et demandez vous les sources de votre haine. Interrogez-là, parlez-lui, ne laissez pas l’adage de certains vous transformer car il est lui même l’adage d'un autre et vous n'êtes au final que le bout d’une chaîne. Reprenez la force de votre esprit en vous inspirant, la haine ne vous rend pas plus fort, elle vous rend inexistant pour les siècles des siècles, car a l’heure de votre enterrement, seul vous et votre cercueil seront les plus bruyants.
Le détail d’une seconde a forgé l’esprit d’une vie.
A cette heure, je pourrais enfin répondre à la question la plus déstabilisante pour un jeune enfant :
- Que feras-tu quand tu seras grand ?
- Rétablir ce qui me semble juste au sacrifice de ma vie.
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